Bulletin 18 / Printemps 2002

Girardin devenus Chambrier

Un exemple de mutation patronymique

Quand et pourquoi les GIRARDIN sont-ils devenus des CHAMBRIER

par Eric-André Klauser

Originaire et bourgeois de la ville de Zürich, l’auteur de ces lignes appartient à une ancienne famille de médecins et de pharmaciens des bords de la Limmat qui a subi, au bas Moyen âge, une mutation patronymique. Un phénomène qui ne saurait laisser indifférents les généalogistes. Et pour cause ! D’où ces quelques propos.

Primitivement appelée Scherer (= barbier-chirurgien), la dite famille est devenue Clauser à la fin du XVe siècle et Klauser au commencement du XIXe siècle. Ce changement semble avoir été opéré par Anton, pharmacien, reçu bourgeois de Zürich en 1491, dès lors cité tantôt comme un Scherer, tantôt comme un Clauser, prévôt de la corporation du Safran en 1511, conseiller de guerre à Dijon en 1513 et à Marignan en 1515 – où il mourut – et père de Christoph (+1552), médecin de la ville de Zürich dès 1531 et ami de Paracelse. Il devait être un descendant direct du chirurgien Ulrich Scherer, d’Eglisau, reçu bourgeois de Zürich en 1401. Au demeurant, les armoiries des Scherer (deux rasoirs posés en sautoir) semblent avoir inspiré le premier blason des Clauser (deux lancettes de médecin posées en sautoir), remplacé plus tard par un lion rampant d’or tenant un pilon soutenu d’un mortier du même sur fond d’azur, le mortier et le pilon étant les attributs significatifs des apothicaires. Pour l’heure, on ignore pourquoi Anton Scherer, peu avant la Réforme, a choisi ce nouveau nom de Clauser, possible dérivé de l’allemand « Klausner » = ermite, ou inspiré par le populaire saint Nicolas ou Santa Claus, évêque de Myre, en Lycie (sud de l’Asie mineure), au début du IVe siècle, fêté le 6 décembre, et patron de la Russie, des mariniers, des avocats et des jeunes, voire par Nicolas de Flüe ou Bruder Klaus (1417-1487), le « saint vivant » du Ranft, beatifié en 1669 et canonisé en 1947. Etait-ce par piété, par admiration pour un des ces élus de Dieu ou afin de différencier nominalement sa branche familiale des autres Scherer ? Ou pour une tout autre raison ? (1)

En pays de Neuchâtel, de telles mutations patronymiques se sont aussi produites. Par exemple, une branche des DuPasquier, de Fleurier, est devenue peu après 1400 des Jequier, par mutation du prénom Jaquier porté par un de ceux-là en patronyme (Jecquier, puis Jequier, voire Jéquier, en 1951 seulement, pour ceux du bas du canton); des Magnin, de Môtiers, sont devenus à la fin du XVIe siècle des Boy de la Tour, reçus bourgeois de Neuchâtel en 1749 et anoblis en 1750 (2); Claude Petitpierre (+1552), fils de Girard Petitpierre et de Jeanne Baillod, soeur d’Antoine Baillod (+1509, châtelain du Val-de-Travers), est devenu Claude Baillod (anobli en 1538, châtelain du Val-de-Travers et conseiller d’Etat) en héritant, aux dépens de Clauda Baillod, fille naturelle de celui-ci – qui n’avait pas de descendance mâle -, les biens immobiliers et le patronyme de son oncle maternel (3); des Wunderlich ou Wondrelic, originaires de Rötelen en Brisgau et établis à Neuchâtel dès le début du XVe siècle, sont devenus par francisation de leur nom des Merveilleux, anoblis en 1529 et bourgeois de Neuchâtel en 1554 (4); des Girardin, originaire de Traves, Aroz et Moutherot (Haute-Saône), fixés dans la première moitié du XVe siècle à Neuchâtel dont ils acquirent la bourgeoisie, sont devenus des Chambrier au début du XVIe siècle, anoblis en 1537 du fait de l’obtention du fief de Gruère au Val-de-Ruz par l’un des leurs, Benoît, chanoine, puis maire et receveur de Neuchâtel et conseiller privé du souverain.

Ce dernier cas mérite un développement tant par l’origine de cette transformation que par la notoriété acquise par maints porteurs de ce nouveau nom. Rémy Scheurer, ancien professeur d’histoire à l’Université de Neuchâtel, a parfaitement exposé le processus de ce métabolisme anthroponymique : « La famille tire son nom de la fonction même de chambrier exercée auprès des comtes de Neuchâtel dans le courant du XVe siècle par des Girardin. (…) Un Girardin est qualifié de chambrier de Jean de Fribourg en 1428, et vers la fin du siècle, la charge est si ordinairement accolée au nom de Girardin qu’il en résulte une mutation progressive du patronyme, laquelle est accomplie au début du XVIe siècle : dans son testament, rédigé en 1505, Jean Girardin alias Chambrier demande que ses legs pieux soient exécutés sous le nom de Jean le Chambrier parce qu’on ne saurait « qui se seroyt de me nommer Jehan Girardin ». En fait, les notaires utilisèrent encre ce dernier nom, mais de moins en moins fréquemment et pour la dernière fois en 1528. Le patronyme se fixa sous la forme Chambrier; l’article étant repris épisodiquement à la fin du XVIIe siècle et la particule devenant de règle au XVIIIe siècle, comme pour la plupart des familles du patriciat neuchâtelois » (5).

On ajoutera que le substantif « chambrier » – du latin « camerarius » = camérier, chambellan, camerlingue – désignait à l’origine le détenteur d’une des quatre charges de la cour mérovingienne; cet officier administrait les recettes, gérait la maison royale, veillait à la garde-robe et à la sécurité du souverain, et avait la responsabilité des frais de la cour. Cette charge, qui pouvait n’être qu’honorifique, était souvent tenue de père en fils par une famille noble.

(1) G.A. Wahrli, Der zürcher Stadtarzt Dr. Christoph Clauser, 1924, 1-9, et articles « Klauser » et « Scherer » in Dictionnaire historique et biographique de la Suisse.

(2) Article « Boy de la Tour », in Dictionnaire historique et biographique de la Suisse.

(3) Edouard Quartier-la-Tente, Les familles bourgeoises de Neuchâtel, 1903, 32, 184 et 249; Arthur Piaget, article « Baillod » du « Bulletin bibliographique : Familles bourgeoises », in Musée neuchâtelois, 1904, 119-120 ; et articles « Baillod, Antoine » et « Baillod, Claude », in Dictionnaire historique de la Suisse (site Internet : www.dhs.ch).

(4) Edouard Rott, « Les Merveilleux », in Musée Neuchâtelois, 1898, 231 sqq. ; Edouard Quartier-la-Tente, Les familles bourgeoises de Neuchâtel, 1903, 141-149; et Arthur Piaget, article « Merveilleux » du « Bulletin bibliographique : Familles bourgeoises », in Musée neuchâtelois, 1904, 142-143.

(5) Voir Rémy Scheurer, « Pierre Chambrier, 1542 (?) – 1609 », in Cahiers de la Société d’histoire et d’archéologie du canton de Neuchâtel, No 9, 1988, 15 sqq; article « Chambrier », in Dictionnaire historique et bibliographique de la Suisse »; Edouard Quartier-la-Tente, Les familles bourgeoises de Neuchâtel, 1903, 55-80; Arthur Piaget, article « Chambrier » du « Bulletin bibliographique : Familles bourgeoises », in Musée neuchâtelois, 1904, 127-129 ; et articles « Chambrier« , in Dictionnaire historique de la Suisse (site Internet : www.dhs.ch).