Bulletin 19 / Automne 2002

Fritz Wille

Le Sagnard Fritz Wille, filleul de L'Empereur Guillaume II

par Denis Borel

Visite de l’Empereur Guillaume II

Lors de sa visite d’Etat en Suisse du 3 au 7 septembre 1912 (1), l’empereur Guillaume II fut reçu par le commandant de corps Ulrich Wille, originaire de La Sagne (2). Il suivit les manœuvres de notre 3e corps d’armée (près de Wil, dans le bas Toggenbourg] et participa à un repas officiel au domicile du fils du dit commandant de corps, également prénommé Ulrich (3), alors major. L’épouse de ce dernier attendait un enfant et l’empereur, assis à sa droite, offrit de devenir le parrain de l’enfant à naître… et le 2 novembre 1912 naquit Fritz Wille (4), qui est devenu commandant du corps d’armée de montagne 3 et vit encore en pleine santé. Il fut donc le filleul de Guillaume II, souverain de l’Empire allemand jusqu’en novembre 1918, et le dernier filleul neuchâtelois [il était Sagnard] du dernier prince de Neuchâtel [Guillaume II portait aussi ce titre] (5)

Notes de la rédaction

Visite d’Etat en Suisse

(1) « C’est vers 1905 que le haut commandement de l’armée allemande, après de longues études et réflexions, se décida pour l’offensive par la droite, par le Nord. Mais une manœuvre secondaire par le Sud, par la Suisse, pouvait encore être utile. En 1912, l’empereur Guillaume voulut se rendre compte par lui-même de la situation ; il assista aux manœuvres du 3e corps de l’armée fédérale, qui s’accomplirent au mois de septembre, dans la Suisse orientale, sous la direction du colonel Wille. Il fut aimable et séduisant, s’entretint avec plusieurs officiers généraux, parla à de simples soldats. Le langage des chefs le convainquit de la force et de la volonté de résistance qui seraient rencontrées ; celui des soldats témoigna d’une entière confiance. En somme c’était de toutes parts l’affirmation d’une volonté d’être

respecté ; et cette volonté, en effet, fut respectée » (Général P.-E. Bordeaux, La Suisse et son armée dans la guerre mondiale (1914-1919), 1931).

Famille Vuille de la Sagne

(2) « C’est une vieille famille de La Sagne que des actes mentionnent déjà au début du XVe siècle. Le nom a été écrit et prononcé de bien des manières : Vouille, Wille, etc. C’est pour cette raison que l’on trouve encore des Wille à La Chaux-de-Fonds, qui ne sont en fait que des Vuille. Lorsqu’un membre de la famille s’est rendu dans le Palatinat au XVIIIe siècle, il fut appelé non pas Vuille, mais Wille. Cette forme s’est maintenue jusqu ‘à nous. Henri Vuille [*1714], maître-cordonnier à Deux-Ponts, s’y maria en 1741. Il fut le père de six enfants, dont le troisième, Joseph-François, eut pour petit-fils François Wille [1811-1896]. 

François Wille était considéré comme un authentique Allemand : il fit partie, en 1848, du parlement de Francfort, mais la réaction de l’année suivante le contraignit à se réfugier en Suisse. En 1851, il s’établit à Meilen (Zurich). On ne renonçait pas, à cette époque, à son origine primitive, si bien que les Wille, tout Allemands de sentiment qu’ils fussent devenus, pouvaient revendiquer leur indigénat de La Sagne sitôt fixés en Suisse. Ils n’y manquèrent pas, puis, dans la suite, acquirent la bourgeoisie de Meilen.

François Wille fut le père d’Ulrich, le général de 1914, et de Robert-Arnold. Ce dernier, fixé au château de Rikelshausen, près de Radolfzel, au pays de Bade, acquit en 1876 la nationalité badoise et renonça à celle de Neuchâtel. A cette occasion, la préfecture de Constance écrivait en date du 29 février 1876 au Conseil d’Etat [traduction] : « Nous vous informons que nous avons accordé la naturalisation badoise à Arnold-Robert Vuille dit Bille, seigneur du Col des Roches, dit Wille « . On voit que les Wille n’hésitaient pas à se donner du galon en Allemagne. Mais où peut-elle bien être cette seigneurie du Col des Roches ? Au surplus, nous ne croyons pas que ces Wille appartiennent à la branche des Vuille-dit-Bille  » (Léon Montandon, Le Véritable Messager boiteux de Neuchâtel, 1936, 71-72).

Ulrich Wille père (1848-1925), fils de François et d’Eliza, née Sloman, était originaire à la fois de La Sagne, de Meilen et de Zurich dont il reçut la bourgeoisie d’honneur en 1890. Docteur en droit, il fut un officier de carrière et fut nommé général de l’armée suisse le 4 août 1914, charge qu’il conserva jusqu’au 11 décembre 1918. « Par son mariage, il était apparenté à la famille de Bismarck ; il était cousin germain du général allemand von Bissing ; un de ses petits-fils était filleul de l’empereur Guillaume » (Général P.-E. Bordeaux, op.cit.).

Ulrich Wille (1877-1959)

(3) Ulrich Wille fils (1877-1959), également docteur en droit, fut instructeur d’infanterie, chef d’état-major de la 5e division de 1915 à 1918 et lieutenant-colonel en 1917. Après la Première guerre mondiale, promu colonel en 1922, il devint commandant des Ecoles centrales de 1924 à 1928, colonel divisionnaire, commandant de la 5e division en 1928 et chef d’arme de l’infanterie en 1931.

Fritz Wille

(4) Fritz Wille a été successivement instructeur des troupes mécanisées et légères, officier de troupe commandant un escadron de dragons, puis un bataillon et un régiment de cyclistes, chef d’arme, commandant d’une division mécanisée et, de 1968 à 1974, le corps d’armée de montagne 3.

Princes de Neuchâtel

(5) Bien que le roi de Prusse Frédéric-Guillaume IV ait renoncé à perpétuité, par le traité de Paris du 26 mai 1857, «pour lui, ses héritiers et successeurs, aux droits souverains que l’art. 23 du Traité conclu à Vienne le 9 juin 1815, lui attribue sur la Principauté de Neuchâtel et le Comté de Valangin», ses successeurs continuèrent jusqu’en 1918 à porter le titre de « prince de Neuchâtel », soit son frère Guillaume Ier (1797-1888), régent dès 1858, roi de Prusse de 1861 à 1888 et empereur d’Allemagne de 1871 à 1888, et le petit-fils de celui-ci, Guillaume II (1859-1941), empereur d’Allemagne de 1888 à 1918 ; ils reprenaient ainsi la qualification attribuée aux Hohenzollern depuis 1707 quand ils furent choisis comme souverains de Neuchâtel : Frédéric Ier (1657-1713), roi de Prusse de 1701 à 1713 ; son fils Frédéric-Guillaume Ier (1688-1740), roi de 1713 à 1740 ; le fils du précédent, Frédéric II, dit le Grand (1712-1786), roi de 1740 à 1786 ; le neveu du précédent, Frédéric-Guillaume II (1744-1797), roi de 1786 à 1797 ; son fils, Frédéric-Guillaume m (1770-1840), roi de 1797 à 1840 ; son fils, Frédéric-Guillaume IV (1795-1861), roi de 1840 à 1848 en fait et à 1857 en droit ; et le frère du précédent, Guillaume Ier, déjà cité.