Bulletin 2-3 / Avril-Juin 1996

Marius Fallet

Marius Fallet (1876 - 1957)

(Recherches par Georges Fallet, présentation par Pierre Arnold Borel) 

 

Edouard Marius Fallet était un homme très mince, long, muni été comme hiver d’une écharpe. Notre conférencier, Pierre Arnold Borel, connaissait bien cette silhouette caractéristique de La Chaux-de-Fonds. Ce journaliste s’occupait d’histoire horlogère et gérait les archives de sa cité. Ses recherches sont restées en partie inédites, ce qui est fort dommage, car son travail était toujours fait très sérieusement. Malheureusement, son écriture, illisible, ne permet plus de recourir à ses notes.

Il descend de Jean (né vers 1622, mort avant 1694), cité plus haut, par la filiation suivante ; Jean allié Monnier, David allié Diacon, Abraham (1740-1808), Abraham (1764-1830), Aimé (né en 1787), François (1821-1886), Louis Edouard (né en 1845) et enfin Marius Edouard (Grenchen SO 17 décembre 1876 – La Chaux-de-Fonds 24 juillet 1957).

A son décès, son fils eut l’excellente idée d’écrire une brève biographie de ce personnage, qui serait sinon resté méconnu. Il s’y employa le dimanche 26 janvier 1958. Voici de larges extrait du résultat de ce travail dominical :

« Fils de l’horloger neuchâtelois Louis Edouard Fallet et de Léontine née Schumacher, (…) Marius Edouard Fallet naquit le 17 décembre 1876 à Granges (Soleure). Son père, excellent pivoteur, s’établit à Granges en 1869, s’y maria et y séjourna plusieurs années. »

« Marius Fallet avait eu à peine trois ans lorsqu’il perdit, en janvier 1880, sa mère chérie qui était aussi horlogère. Ses tantes devaient souvent aller chercher le petit garçon au cimetière où il pleurait sur la tombe de sa mère trop tôt disparue. »

« Quelques temps après ce décès, le père retourna avec ses trois enfants – Marius avait encore une sœur aînée, Hedwige, et un frère cadet, Hermann – à Dombresson, sa commune d’origine. Il s’y remaria avec une veuve qui avait à son tour déjà plusieurs enfants du premier lit. Les choses ne tournaient pas rond dans le nouveau ménage et les trois enfants de Louis Edouard Fallet durent quitter bientôt l’un après l’autre la maison paternelle. »

« C’est ainsi qu’âgé de dix ans, Marius Fallet fut placé chez un paysan bernois, un nommé Dasen, qui exploitait depuis quelques années une ferme à Dombresson et fonctionnait notamment comme bûcheron de commune. Ici, le jeune garçon devait vaquer à tous les travaux de la ferme et des champs dès la première heure du matin jusque tard dans la nuit pour gagner sa vie (…). »

« A Dombresson, Marius fréquenta pendant six ans l’École primaire. Ses maîtres aimaient beaucoup ce garçon vif, intelligent et sérieux (…). En juin 1889, âgé à peine de treize ans, Marius résolut, de son propre chef, d’aller apprendre la langue allemande à Granges, son lieu de naissance, où des tantes avaient déjà accueilli sa soeur Hedwige (…). A Granges, Marius fréquenta (…), d’août 1889 à avril 1891, les deux dernières classes (Vile et Ville) de l’École primaire (,..). En quittant l’école au printemps 1891, il possédait déjà fort bien la langue allemande et (…) fit de très grand progrès dans les autres branches. « C’était un élève très intelligent, très appliqué et très courtois (…). »

« Comme il ne trouvait pas de place (d’apprentissage) tout de suite, il travaillait durant l’été 1892 dans la carrière communale où son premier patron le frustra pour ainsi dire complètement de son salaire durement gagné, cuisant souvenir que Marius n’oubliera jamais. En automne 1892, il commença son apprentissage dans la fabrique de boîte démontres Gygi et Cie(…). Pour commencer il ne devait faire qu’un apprentissage de six mois en qualité de faiseur d’assortiments et apprendre plus tard aussi les autres branches de la fabrication de boîtes de montres (le tournage, le finissage et l’achevage) (…). N’ayant pu, pour des raisons économiques, suivre les cours de l’École secondaire, (…) notre jeune apprenti monteur déboîtes employait ses heures de loisir à colleter son instruction (…). Il fréquentait aussi assidûment la Bibliothèque scolaire, lisant et étudiant de préférence des ouvrages scientifiques (…). »

« Le jeune homme aurait tant aimé embrasser la carrière pédagogique. Cependant, les demandes d’admission adressées à l’École normale neuchâteloise à Peseux et à l’École normale bernoise de Hofwil restèrent sans succès (…). Aussi, le pasteur Dick fit-il des démarches afin que son catéchumène pût au moins entrer à l’École des chemins de fer de la Suisse occidentale rattachée au Technicum de Bienne. Marius Fallet fréquentait cette école de 1893 à 1895 tout en habitant à la cure de Longeau où le pasteur Dick, homme plein de charité chrétienne, l’avait accueilli si aimablement (…). »

« Le 6 avril 1895, il entra au service des Chemins de fer du Jura-Simplon (…) en devenant aspirant au Bureau de l’ingénieur de la voie, Ville section, à Berne (…). Notre jeune aspirant s’y sentait à l’aise et profita de ses loisirs pour prendre des leçons privées de latin et pour suivre les cours de mathématiques, de géométrie pratique et de dessin technique à l’École professionnelle de Berne (…). »

« Après l’école de recrues qu’il accomplit à la caserne de Colombier, Marius Fallet entra au service du Bureau de construction du chemin de fer électrique Berthoud-Thoune, à Berthoud, en qualité d’aide technique et commercial (…). Il y travaillait du premier septembre 1897 au 31 août 1898 (…). Il s’occupait de l’élaboration de plans, de tous les travaux de bureau et de la surveillance de la pose de la voie. Il quitta le service de cette compagnie (qui était le premier chemin de fer électrique à voie normale en Europe) les travaux de construction étant terminés (…). »

« Le 10 septembre 1898, Marius Fallet fut nommé secrétaire de l’Entreprise Maggi-de Micheli-Bottelli et Cie, à Mühleberg (…) qui construisit (…) en particulier le tunnel de Rosshaüsern. Jusqu’à fin 1900, il fut secrétaire-traducteur de l’entreprise qui lui confia aussi une partie de la comptabilité et en particulier les payes des ouvriers (…). Il s* agissait enfin de nourrir et de loger les ouvriers et employés – ils furent temporairement au nombre de 800 sur un parcours de 4 km – dans les cantines et baraques de l’entreprise (…). »

« L’entrepreneur Alfonso Bottelli (…) avait fait venir sa famille à Müihleberg. Il pria le jeune secrétaire de l’entreprise d’enseigner l’arithmétique, le français et l’allemand à ses deux enfants. Marius Fallet suivit la famille en Italie, comme précepteur, au commencement de 1901(…). En Italie, on lui découvrit des aptitudes pédagogiques (…). Il se prépara donc pour l’enseignement, entre autres à l’institut de M. Weinig, alors directeur de l’École cantonale de commerce de Bellinzone où il enseigna le français, l’italien et l’allemand. »

« De retour à Berne où il avait sa fiancée, au commencement de 1902, le jeune pédagogue trouva un emploi à la Librairie scolaire de l’État (…). Il enseigna aussi le français et l’italien à l’École du. soir de la Société des commerçants de Berne. En automne 1902, cette dernière l’appela au poste de secrétaire d’école (…) et, plus tard, elle lui confia les fonctions de maître principal pour l’enseignement des langues (allemand, français, italien) et de branches commerciales (droit commercial, droit de change, géographie économique, science des communications). Il exerça ces fonctions jusqu’à fin janvier 1907%n dirigeant aussi la succursale de Berne du bureau de placement de la Société suisse des commerçants, pendant plus de trois ans. Le Conseil exécutif du canton de Berne le nomma en outre membre de la Commission cantonale d’experts pour la formation professionnelle et les apprentissages (…). S’intéressant vivement à la vie politique, il était en outre plusieurs années membre du Conseil général de la Ville de Berne. »

« Le docteur Gobat, conseiller d’État bernois, chef du Département de l’instruction publique, facilita à Marius Fallet la fréquentation de l’École normale supérieure à l’Université. Aussi, notre jeune pédagogue se fit-il immatriculer le 30 novembre 1903 aux Facultés philosophiques de l’Université de Berne, comme étudiant régulier. Il accomplit ainsi, à côté de son immense labeur, sept semestres d’histoire, de géographie, de sciences romanes et pédagogiques pour se préparer aux examens de professeur d’école secondaire. »

« Au début de 1907, Marius Fallet fut appelé à Bâle comme rédacteur-secrétaire romand de l’Union suisse des Sociétés de consommation qui lui confia la rédaction de La Coopération et de La Cooperazione, ainsi que de la Revue du marché. Il exerça aussi les fonctions de traducteur officiel, de rédacteur des procès-verbaux, de propagandiste en Suisse romande et au Tessin. Son activité à l’USC dura du 4 mars 1907 au 31 mars 1910, période durant laquelle il ne trouva guère de loisirs pour continuer ses études universitaires. »

« (…) Pour avoir plus de loisirs, il accepta, le premier avril 1910, les fonctions de traducteur-secrétaire de l’Office international pour la protection légale des travailleurs, à Bâle (précurseur du Bureau international du Travail, à Genève) où il eut l’occasion de se familiariser avec les législations sociale, industrielle et commerciale (…). A l’Université de Bâle (…) des difficultés s’étant élevées avec ses professeurs au début de la Première Guerre mondiale (le Suisse romand n’avait pas la partie facile dans un monde imbu de germanophilie), Marius Fallet devait terminer ses études des sciences économiques à l’Université de Zurich où il se fit immatriculer en 1916 (…) tout en conservant son domicile à Bâle. En été 1917, il passa avec succès les examens de doctorat après avoir présenté une magnifique thèse intitulée Geschichte der Uhrmacherkunst in Basel 1370-1874. Ein Beitrag zur Entwicklungsgeschichte der Uhrmacherkunst im allgemeinen, sowie zur Wirtschafts- und Kulturgeschichte Basels (…). »

« Ce n’était d’ailleurs pas la première grande publication de Marius Fallet qui avait été chargé par le Comité d’organisation des Expositions de Zurich et de Bâle du travail à domicile (1909) de rédiger le rapport final intitulé Le travail à domicile dans l’horlogerie suisse et ses industries annexes, rapport de 544 pages qui parut en 1912. La première partie de cet important rapport est consacrée à l’histoire de la mesure du temps et de l’horlogerie en général et inaugura la série-impressionnante des publications de Marius Fallet sur les mêmes sujets. En 1915, il publia dans l’Anzeiger der Basler Gesellschaft für Geschichte und Alterskunde son grand travail intitulé Die Zeitmessung im alten Basel. »

« A Bâle, Marius Fallet prenait aussi une part très active a la vie politique.il était député au Grand Conseil du canton de Bâle-Ville, membre de nombreuses commissions (…) et inspecteur scolaire. »

« (..) Lorsqu’en 1919, le Bureau international du Travail à Genève (…) succéda à l’Office international pour la protection légale des travailleurs, à Bâle, Marius Fallet (…) accepta le poste de secrétaire de la Fédération des employés techniques de Suisse, dont le siège était à Zurich. Il entra en fonction le premier octobre 1919 et se dépensa sans compter pour cette fédération. Le chômage résultant de la première dépression économique de l’après-guerre porta cependant un rude coup à ce groupement d’employés techniques (…). Il ne pouvait plus de ce fait se payer le luxe d’un secrétaire permanent, poste qui fut supprimé à fin 1922. »

« Ce fut un grave revers de fortune, car, pendant ces années (…), un universitaire âgé de 46 ans avait de la peine à trouver un nouvel emploi (…). Au début de 1923, Marius Fallet s’expatria après avoir trouvé une place de traducteur à l’Union syndicale internationale, à Amsterdam, II vivait là (…) plus d’une année (…). Afin de pouvoir tourner, il fallut vendre la petite maison achetée en 1920. »

« Enfin, le premier juillet 1924, une petite porte s’ouvrit au Service de publicité de la Fabrique de montres Zénith au Locle dont Marius Fallet avait été un très fidèle collaborateur durant toute la Première Guerre mondiale, en fournissant régulièrement des articles historiques et scientifiques (…) à la revue Hora publiée par cette entreprise (…). Dans le courant de Tannée 1927, il recouvra son indépendance pour tâcher de gagner sa vie comme journaliste libre, publiciste et traducteur. En 1929, il déménagea à La Chaux-de-Fonds (…). La dépression économique de 1930 à 1936 toucha durement notre publiciste (…) qui gagnait durant ces années moins qu’un ouvrier horloger au chômage. Son épouse, décédée le 19 février 1939, eut toutefois encore la satisfaction de voir revenir des temps plus prospères (…). »

« Pendant les années prospères de la Deuxième Guerre mondiale et de l’après-guerre, Marius Fallet travaillait énormément. Les commandes affluèrent de toutes parts (…). Dès 1951, le Conseil communal de La Chaux-de-Fonds avait la délicate attention de charger Marius Fallet, alors dans sa 75e année, d’élaborer des répertoires de tous les documents des anciennes archives de la Ville et de travailler à la reconstitution de l’histoire de La Chaux-de-Fonds. Ce poste d’archiviste communal et les modestes appointements qui y étaient attachés lui permirent de prendre la vie un peu plus calmement (…) et de s’adonner à ses recherches et à ses travaux historiques (…). Son dernier travail, La passementerie-dentellerie dans le Pays de Neuchâtel et l’ancien Évêché de Bâle aux XVIIe et XVIIIe siècles, ne paru même qu’en novembre 1957, donc quatre mois après sa mort, dans Les intérêts du Jura (…). »

L’histoire de ce self-made-man aujourd’hui oublié a vivement intéressé tous les participants à cette conférence. Cependant, M. Breguet nous signale qu’il est bien connu de tous ceux qui s’occupent d’histoire horlogère, même si certains de ses travaux sont actuellement dépassés.