Bulletin 22 / 2004

Trois parcours Vuilleumier

Trois parcours d'une branche de la famille Vuilleumier, de La Sagne et de Tramelan

par Jean-Philippe Vuilleumier

La Sagne au XIVème siècle

Le peuplement des Montagnes neuchâteloises date du XIVème siècle, époque à laquelle le seigneur de Valangin concède aux habitants de La Sagne le droit de disposer de leurs terres. Selon l’historien Jean-Pierre Jelmini, les familles nouvellement installées venaient du Littoral neuchâtelois ou en voisins du Val-de-Morteau, ce qui paraît d’autant plus plausible que le territoire de Morteau était, à l’époque, sous la protection de Louis de Neuchâtel et que, pour la famille Vuilleumier par exemple, des indices intéressants de cette
possible origine valent d’être signalés :

Au début du XIVème siècle, dans la région de Morteau, des Villemin et des Willemin sont enregistrés.

Des Vuillemez, qui vivent actuellement dans le canton, sont originaire du Cerneux-Péquignot, commune française jusqu’en 1814.

Enfin, toujours en France voisine, entre le poste de douane du Gardot, – vallée de La Brévine – et le village français de Montlebon, à proximité du hameau du Rondot, existe un lieu-dit, « Les Vuillaumiers », porté sur la Carte nationale 1:25’000, Le Locle.

Cure de La Sagne

Veuve de Léonard d’Orléans, Marie de Bourbon, devient régente de Neuchâtel, exerçant la tutelle de son fils, puis de son petit-fils, mineurs. Elle dirige le comté en remarquable femme d’Etat.

Pour offrir une cure au pasteur de La Sagne, elle fait acheter en 1599 un immeuble sis à La Corbatière à la famille Vuilleumier. L’acte est conclu le 10 juillet 1599 et le prix est fixé à 2000 livres, monnaie coursable de Neuchâtel. Pour la famille, les vendeurs sont Guillaume, oncle de Jean, qui va s’établir à Tramelan, et David, frère de Jean. Selon Jean Courvoisier, ancien archiviste de l’Etat, cette maison était dans un piteux état et fut refaite en 1683-1684. De 1599 à ce jour, elle a toujours servi de cure.

Actuellement, Sagne-Eglise N° 138 (voir photo).

« Il y a dans l’acte d’achat un mandement de la Seigneurie du 10 juillet, qui ordonne au ministre de bien maintenir et rendre en bon état ladite maison de cure toutes les fois qu’il en sera requis, ce qui ne s’entend sans doute que de la maintenance à laquelle un honnête locataire est tenu, et non pas des choses qui s’usent par caducité et vieillesse, ce qui aurait été déraisonnable. »

Extrait des « Annales historiques du comté de Neuchâtel et Valangin », Jonas Boyve, tome III, 1854 – 1861.

Cure de la Sagne

Branches ultérieures, à Tramelan

Jean s’est établi à Tramelan dans les années 1610 mais a obtenu une lettre de congé de La Sagne, le 20 octobre 1621 « pour séjourner dans l’étranger au lieu dit à Tramelan, évêché de Bâle ». Les Vuilleumier s’inscrivent alors dans ce mouvement d’émigration de familles des Montagnes neuchâteloises (les Droz, Ducommun, Mathez, Nicolet et Vuille partirent aussi dans la première moitié du XVIIème siècle vers les terres plus fertiles de l’Evêché).

Voir aussi le fascicule n° 17, automne 2001 , de la Société neuchâteloise de généalogie: Jean-Philippe Gobat, de Moutier, donne quelques informations sur une branche de la famille Wuillemier (Vuilleumier), communière de Tramelan, également communière de La Sagne et bourgeoise de Valangin.

Bref parcours de la famille Vuilleumier

A Tramelan, Jean Vuilleumier s’est établi au Cernil ès Chatelain [1] et devient bourgeois de la localité en 1642 « luy et ses hoirs legitiment procrés en loyal mariage, ormis et excepté Moyse son fils que n’est pas en ménage indivis avec luy ». Moyse, vraisemblablement l’aîné de la famille, était alors établi à la Montagne du droit de Renan. Il revient plus tard à Tramelan, dont il obtient la bourgeoisie après son père et ses frères. Il décède en 1691.

Au Cernil ès Chatelain, était déjà installée une des plus anciennes familles de Tramelan: les Chatelain. Les Vuilleumier et les Mathez viennent s’y établir entre 1610 et 1620. Barthélémy Mathez est le beau-père de Jean Vuilleumier. Abraham Mathez, fils de Barthélémy, obtient aussi la bourgeoisie de Tramelan en 1642.

Ces deux familles et les Chatelain, proches voisins, ont des liens étroits et les mariages entre ces groupes sont particulièrement nombreux. Ainsi, de 1681 à 1717, tous les mariages des fils Mathez sont avec des filles Vuilleumier. En 1715, les maisons du Cernil ès Chatelain et, de façon plus générale, de La Chaux-de-Tramelan appartiennent aux trois familles.

Aujourd’hui encore (photo ci-dessous) une des fermes typiques de l’endroit porte les initiales d’Abram Vuilleumier, fils de Jean, très vraisemblablement le justicier, qui l’a construite en 1663.

[1] Le Cernil ès Chatelain (La Chaux de Tramelan) se situe à 2 km au nord-ouest du temple de Tramelan 

Ferme du Cernil

Généalogie

Le notaire Henry Monnin dit s’être rendu au Cernil ès Chatelain, le 27 mars 1678, « dans la demeure et résidence de Jean Vuilleumier « , pour y entendre ses dernières volontés et rédiger son testament.

Nous n’allons pas nous occuper ici d’Abraham le justicier et de Moïse, qui eurent une nombreuse descendance, mais de David I, un de leurs frères.

Pour les premières générations issues de David I, l’histoire de la famille est classique, banale même, puisqu’on ne trouve pas de faits significatifs méritant d’être relevés. Ainsi, dans la lignée:

Jacques I, fils de David I, épouse Eve Ducommun ;

David II, né en 1684, fils de Jacques, épouse successivement Marie Chatelain en 1705, puis Susanne Etienne en 1714 ;

Jacques II, né en 1710, fils de David II, épouse Elisabeth Lorius en 1732 ;

Abram, né en 1736, fils de Jacques II, épouse Lydie Nicolet en 1759. Ils eurent neuf fils dont Daniel I, né en 1771, et Philippe, né en 1784.

Les descendants de Daniel I, 1771, dans l’Eglise adventiste

Daniel I, né en 1771, fils d’Abram, épouse Marie-Madeleine Etienne en 1796 ;

Frédéric-Henri, né en 1807, fils de Daniel I, épouse Anne-Marie Joly en 1829. Ils eurent six fils.

L’aîné, Albert Frédéric, né le 8 mai 1835, épouse en 1863 une jeune Bâloise, Wilhelmine Bider, dont il avait fait connaissance alors qu’il passait une année en Suisse allemande. Il emmène Wilhelmine à Tramelan, construit une maison et y installe un atelier d’horlogerie. De son côté, Wilhelmine, Suissesse allemande industrieuse, ouvre bientôt une boulangerie. Le destin de la famille semble tracé dans le village jurassien.

C’est à ce moment, en août 1866, que s’installe à Tramelan, un certain Michel Czechowski, ancien prêtre polonais de retour des Etats-Unis où il s’est converti à l’adventisme. Ce prédicant, désirant diffuser les idées de la nouvelle église, organise des réunions à Tramelan; ses explications éveillent un vif intérêt. Des discussions animées ont lieu auxquelles participent le pasteur et les notables de la localité, un des sujets essentiels des rencontres étant l’observance ou la non-observance du Sabbat.

Czechowski fait des émules et, en août 1867 à Tramelan, huit personnes prennent l’engagement de servir Dieu et d’observer fidèlement le Sabbat. Albert Frédéric, selon les registres, devient le 6ème membre de la fraction européenne de l’Eglise adventiste.

Respectueux du Sabbat, Albert Frédéric et sa femme ferment la boulangerie le samedi. Les affaires périclitent et la famille va s’établir à La Coudre (Neuchâtel) où Albert Frédéric poursuit son métier d’horloger tout en consacrant beaucoup de temps à l’évangélisation avant d’entrer complètement au service de son église, en 1885. Il est alors envoyé dans le midi de la France puis en Italie. En 1891, il revient évangéliser à Genève, se rend ensuite aux Etats-Unis où il demeure huit ans. Il termine ses jours à Gland, dans l’établissement de La Linière, à la fois clinique et centre missionnaire adventiste.

Le deuxième fils d’Albert Frédéric, Jean, né en 1864 à Tramelan, entre au service de la maison d’éditions de leur église à Bâle. Il y occupe successivement les fonctions d’employé, de traducteur et de rédacteur. On l’envoie ensuite en mission aux Etats-Unis, puis en Argentine. Au début du XXème siècle, il devient directeur de l’école missionnaire de Gland puis, après un long séjour au Canada, revient à Gland. En 1922, il dirige une maison d’éditions religieuses à Dammary-les-Lys (Seine et Marne) et revient finir ses jours à La Linière.

Ces deux personnages ont fortement marqué de leur engagement et de leur empreinte l’Eglise adventiste, en Suisse et à l’étranger. Ils sont arrivés à de hautes fonctions dans ce mouvement et, aujourd’hui encore, leur mémoire est honorée et respectée dans les centres adventistes.

L'Eglise adventiste du septième jour

L’histoire de cette église s’enracine dans les courants dits « de réveil » qui ont marqué le protestantisme au XIXème siècle.

Ainsi, des réflexions sur le retour du Christ sont des sujets prédominants dans les recherches théologiques. A l’origine, le mouvement adventiste avait un caractère interconfessionnel.

C’est en 1861 que l’Eglise adventiste du septième jour s’est officiellement constituée aux Etats-Unis.

La première communauté d’Europe fut créée en Suisse, à Tramelan en 1866, sous l’impulsion du frère M. Czechowski, ancien prêtre polonais.

Les descendants de Daniel I, 1771, à Ravello, en Italie

Deuxième fils de Frédéric-Henri, Daniel II, né en 1837, épouse Anna-Ida Schnyder, en 1864. Il se rend à Londres pour quelques années, ville dans laquelle naissent trois de ses enfants. Il rentre ensuite à Bienne-Madretsch. C’est dans cette ville, en 1883, que naît Edwin-Ariste-Wilfried.

Au tout début du XXème siècle, pour des raisons de santé, notamment des troubles pulmonaires, le médecin lui conseille de se rendre dans un climat plus doux. Il opte pour l’Italie et s’installe à Ravello, province de Salerne, au sud de Naples. Ce climat lui est bénéfique puisque, de 1904 à 1935, en deux mariages successifs, il devient père de dix-sept enfants qui, à des titres et des emplois divers, sont tous engagés dans l’économie touristique.

Edwin est vraisemblablement arrivé à Ravello en 1900 ou 1901. Il séjourne à la Pension Episcopio dont il devient employé, puis copropriétaire à la suite d’un mariage. Etablie dans un ancien évêché, la pension est abandonnée après quelques années et un nouvel hôtel, l’Auberge Palumbo, est ouvert en 1920.

Edwin, intéressé par la viticulture, devient avant l’heure une sorte d’œnologue. Les dix-sept enfants d’Edwin, onze fils et six filles, ont – ou ont eu – des activités dans l’hôtellerie ou la para-hôtellerie. Voici leurs noms et années de naissance :

  • 1904 : Anna IdElisabetta (mêmes prénoms que sa grand-mère Schnyder)
  • 1906 : Daniele Pasquale
  • 1907 : Ida Angela Emilia
  • 1907 : Nora Luisa Susanna
  • 1909 : Marco
  • 1911 : Eduardo
  • 1912 : Paolo
  • 1915 : Maria Angela
  • 1916 : Anna Marcila
  • 1919 : Rosa
  • 1921 : Emilia
  • 1924 : Oliviero Werther (Werther est le même prénom qu’un de ses oncles)
  • 1925 : Mario
  • 1927 : Ida Assuta
  • 1931 : Daniele Corrado
  • 1933 : Bonaventura
  • 1935 : Carolina

Nous avons rencontré à Neuchâtel, en 2003 et 2004, un des petits-fils d’Edwin, fils d’Oliviero Werther, Ranieri, et sa femme Franca, à la recherche de leurs racines familiales.

Une curieuse coïncidence entre cette famille émigrée et la littérature internationale vaut d’être relevée: En 1902, André Gide, l’homme de lettres français, séjourne à Ravello. Il relate dans l’Immoraliste son séjour et cite l’hôtel dans lequel il a logé: c’est l’Episcopio, ainsi que l’a confirmé Ranieri :

Près de Salerne, quittant la côte, nous avions gagné Ravello. Là, l’air plus vif, l’attrait des rocs pleins de retraits et de surprises, la profondeur inconnue des vallons, aidant à ma force, à ma joie, favorisèrent mon élan. Une ancienne maison religieuse, à présent transformée en hôtel, nous hébergea; sise à l’extrémité du roc, ses terrasses et son jardin semblaient surplomber dans l’azur.

Actuellement, issus de dix-sept enfants, il y a une trentaine de cousins Vuilleumier ou alliés; le patronyme subsiste sans altération mais aux Abram et David ont succédé des prénoms méridionaux. Ainsi que le dit un des fils cadets d’Edwin, Bonaventura: « Ormai i Vuilleumier sono una colonia ! »

Elise, petite-fille de Philippe, né le 9 février 1784, et arrière-petite-fille d'Abram, né en 1736

Elise, née le 27 mai 1831, fille de Philippe et d’Anne-Marguerite Romy, seconde femme de Philippe, mariés en 1824, connaît un destin différent de celui de ses cousins et petits-cousins. Elle épouse, le 9 mai 1857 à Moutier, Julien Rossel, fabricant d’horlogerie puis maire de la commune de Tramelan de 1871 à 1897.

Julien et Elise Rossel ont un fils, né le 19 mars 1858, Virgile qui devient le plus illustre des citoyens de Tramelan. Il est décédé à Lausanne le 29 mai 1933.

Virgile Rossel, après sa scolarité à Tramelan entreprend des études gymnasiales à l’Ecole cantonale de Porrentruy. Il faut son droit à Leipzig, Strasbourg, Berne et Paris. Docteur en droit, avocat à Courtelary dès 1881, puis professeur à la Faculté de droit de l’Université de Berne, deux fois recteur de cette institution, il devient conseiller national radical de 1896 à 1912 et président des Chambres fédérales en 1910. Il est élu juge fédéral en 1912 et préside cette haute cour en 1929.

Auteur d’un Manuel de droit civil, puis d’un Manuel de droit des obligations, Virgile Rossel est aussi romancier, poète, critique littéraire et historien.

Pour conclure

Ainsi, les descendants d’Abram Vuilleumier, né en 1736, ont connu des destinées bien différentes: Albert Frédéric, son arrière-petit-fils, est un membre éminent de l’Eglise adventiste en Suisse et à l’étranger, un autre est président du Tribunal fédéral suisse et, une génération plus en aval, Edwin crée une véritable colonie qui développe l’hôtellerie au sud de Naples.

Certes, on ne saurait parler de gênes communs devant des activités aussi contrastées. Pure coïncidence, sans doute ?

Citons donc, pour terminer et devant cette curiosité de destins, cette phrase de Denis de Rougemont : « Plus l’ancêtre dont on se réclame est éloigné, moins on a de chances de tenir de lui. »

20 février 2004

Sources

  • Chatelain Roger, « Les sceaux en pierre des anciennes maisons de Tramelan », 1938
  • Montandon Auguste, « Histoire de Tramelan », 1899
  • Stähli Roland, « Histoire de Tramelan », 1984
  • Vuilleumier Auguste, « Chronique de la famille Vuilleumier », (manuscrit), 1899
  • Vuilleumier Charles-Auguste, « La guerre au « W » dans le nom de famille des Vuilleumier de La Sagne (Neuchâtel) et de Tramelan-Dessus (Berne), de Bâle et d’Allaman (Vaud) », 1929
  • Archives de l’Etat, Neuchâtel
  • Archives de l’Etat, Berne
  • Archives de La Sagne
  • Archives de Tramelan
  • Archives historiques de l’adventisme en Europe, Collonges-sous-Salève (France)
  • Informations obtenues auprès de M. Rodolphe Mordasini, généalogiste, et de membres de la famille Vuilleumier, de Ravello