Bulletin 24 / 2004

"Fleur de Louis"

De la "Fleur de Louis" à la "fleur-de-lis", une confusion entretenue par les héraldistes

par Eric Nusslé, généalogiste & héraldiste

Du latin lilum, lui-même issu du grec λειρον (délicat, tendre), le lis est mentionné sur une tablette sumérienne datant de 5000 ans. La mythologie chrétienne le fait même remonter à la Genèse. Une légende raconte en effet qu’une des larmes d’Eve, chassée du paradis terrestre après avoir croqué le fruit défendu, fit pousser un lis. Le Cantique des Cantiques, poème d’amour très antérieur à la rédaction de la Bible évoque également cette fleur mythique : « Je suis la fleur des champs et le lys des vallées » (Cant. 2, 1). La traduction de ces textes très anciens pose toutefois beaucoup de problèmes de traduction, en particulier en ce qui concerne l’identification des plantes, et ce lys originel pourrait être n’importe quelle grande fleur poussant au Moyen-Orient en ces temps reculés de notre histoire. Le verset suivant reprend : « Comme un lys au milieu des Epines, telle est ma Dame au milieu des lys » (Cant. 2, 2).

Le lys devient plus tard, associé à l’iris — représentatif de la chrétienté sans doute de par sa forme trilobée — le symbole de la pureté et de la virginité de Marie, mère de Jésus, ceci dès le IIIe siècle de l’ère chrétienne. L’iris, autre fleur symbolique, a été rapporté de Syrie il y a trente-sept siècles par le pharaon Toutmosis Ier.

On retrouve cette fleur stylisée sur de nombreux bas-reliefs dans l’Egypte ancienne et chez les Grecs pour qui la texture de ses pétales « irisés » évoquaient l’arc-en-ciel.

Lys
Iris versicolor

C’est pourquoi ils lui ont donné le nom de la déesse Iris, messagère entre les dieux et les hommes, que la mythologie représentait ceinte d’un arc-en-ciel. Le lys ne serait donc qu’un usurpateur et la « fleur de lis » héraldique serait en fait un iris. Il suffit d’ailleurs de regarder de près la silhouette d’un iris de marais (Iris pseudacorus L.) pour s’en convaincre. Ses pièces florales se composent de trois sépales — étroits et horizontaux à la base et s’élargissant abruptement pour retomber à la verticale — et de trois pétales, plus petits et alternés avec les précédents, tout d’abord dressés en ogive avant de s’écarter en fin de floraison. Les pièces sexuées, également divisées en trois parties, se trouvent au-dessus des sépales.

La légende attribue l’introduction de l’iris des marais — comme figure pré-héraldique — à Clovis, roi des Francs. Pourchassé dans des marécages par les Wisigoths, Clovis se serait dissimulé derrière des touffes d’iris. Sauf et victorieux grâce à ce stratagème, il aurait substitué des iris aux crapauds qu’arborait alors son écu. Le style chargé de l’art roman pouvait même permettre, avec un peu d’imagination, de voir un batracien vu de dessus dans la représentation de l’époque…

C’est Louis VII le jeune, de retour le la 2ème croisade en 1147, puis à son tour Charles V, qui adoptèrent l’iris stylisé comme symbole de la royauté sous le nom de « Fleur de Louis », puis « fleur de lux » (lumière), pour devenir abusivement « fleur- de-lis ».

Le lys est toutefois aussi utilisé en héraldique sous le nom de « lis au naturel » ou « lis de jardin » ; l’ancienne graphie, pour ces deux fleurs bien distinctes, a été maintenue.

La controverse a été récemment réactivée par le Québec qui déplorait être la seule province du Canada à ne pas arborer le symbole d’une plante indigène sur ses armoiries qui se blasonnent toujours « d’azur à la croix d’argent cantonnée de quatre fleurs de lis du même ». Elles rappellent par conséquent l’origine française des Québécois… Une loi édictée en 1989 substitue maintenant officiellement l’iris versicolore (Iris versicolor L.) — qui pousse spontanément au bord des ruisseaux et marais canadiens — au lys blanc (Lilium candidum L.) qui pousse plus volontiers au Moyen-Orient. Si cela ne change rien dans le langage héraldique, c’est toutefois un peu, pour les Québécois, comme si l’orignal avait enfin pris la place du dromadaire comme emblème de la « Belle Province »…

Sceau de Philippe II Auguste avec une fleur de lys dans la main droite