Bulletin 25 / 2005

Généalogie et médecine

par Jean-Marc von Allmen

Nos premières recherches généalogiques sont souvent dirigées vers nos origines paternelles. Habituellement, nous portons le nom de famille de notre père et nous nous sentons principalement liés à cette famille. Pourtant, l’influence de la mère est tout aussi  importante.

L’une de mes arrière-grand-mères, domiciliée à La Sagne, à qui l’une de ses amies se plaignait de ne pas pouvoir voter, répliqua « Pourquoi te plaindre? Moi, je peux avoir 5 voix: celle de mon mari et celles de mes 4 fils! » L’influence de la mère au travers de ses différents rôles à l’intérieur du couple et dans l’éducation des enfants est ici anecdotique, mais sur le plan de l’hérédité, nous héritons de la moitié de nos caractères génétiques de chacun de nos parents et en toute égalité. La couleur des cheveux, la couleur des yeux ou les particularités physiques de famille se propagent et proviennent à parts égales de chacun de nos parents.

Notre deuxième fils, par exemple, possédait une incisive supplémentaire (parfaitement régulièrement implantée) qui est apparue uniquement dans ses dents de lait. Cette anomalie aurait pu passer inaperçue, mais elle faisait sa fierté. En questionnant les diverses branches de la famille nous avons trouvé que cette dent de lait supplémentaire est génétiquement liée à la famille de sa maman:

Figure 1 : garçon = rectangle, fille = cercle, une incisive supplémentaire = figure noire

En recherchant dans les sources de données médicales actuelles, nous apprenons que 1 à 6 personnes sur mille possèdent une prémolaire supplémentaire [1]. Par contre, aucune publication ne donne la fréquence d’incisives supplémentaires. Deux cas sont mentionnés [2] mais cette particularité semble encore moins fréquente.

Tout en respectant les questions d’éthique (protection de données), des renseignements médicaux tels que les causes de décès que nous trouvons lors de nos recherches généalogiques sont potentiellement très importants. Certains détails apportent parfois des indices, parfois des indications intéressantes, non seulement pour la famille mais aussi dans un cadre beaucoup plus large.

Plusieurs grandes industries pharmaceutiques s’intéressent en effet à la généalogie pour aider au diagnostic précoce des maladies héréditaires et même pour mettre au point de nouveaux médicaments. Ainsi, toutes les données généalogiques du peuple islandais sont analysées et mises en parallèle avec les données médicales de la population du pays. De cette manière, la recherche médicale espère progresser plus rapidement. 

En effectuant des recherches généalogiques, un « cousin » éloigné a découvert qu’une branche de sa famille était touchée par une grave maladie dégénérative du cerveau. Les informations qu’il a récoltées pourraient être un départ très utile pour détecter et lutter contre cette maladie. Le schéma suivant montre une partie de ses données:

Figure 3 : garçon = rectangle, fille = cercle
décès dus à la dégénérescence cérébrale = en gris
décès dans l’incendie accidentel de la maison du malade = en gris clair, hachuré

Dans une famille victime de maladie d’origine génétique telle que ci-dessus, il est possible de prélever des échantillons d’ADN à tous les membres de la famille qui en acceptent l’analyse. Un simple frottis buccal suffira pour prélever sans douleur assez de matériel pour analyser l’ADN (siège de l’hérédité) de chaque personne.

Avec un nombre de volontaires suffisant, il est possible de détecter les différences génétiques existant entre les individus de cette famille et de définir d’où provient la maladie. Il devient donc possible de développer un diagnostic précoce de la maladie et de la détecter avant que les symptômes visibles apparaissent. Avec une telle détection précoce, on peut espérer ralentir la maladie en agissant rapidement.

La généalogie sort ainsi de sa fonction de recherche familiale et historique pour devenir un outil scientifique qui peut aider les vivants à lutter plus efficacement contre la maladie.

Notes

  1. Bull Group Int Rech Sci Stomatol Odontol 2001 Jan-Apr; 43 (1) : 19-25
  2. Journal of Clinical Pediatric Dentistry 1996 Spring; 20/3 : 247-251