Bulletin 26 / 2005

Du patronyme à la généalogie

par Janine Giraud vice-présidente du Cercle d'Allier généalogique, Vichy

Faisons un bond de plus de mille ans dans le passé. Après la période de prospérité gallo-romaine, le pays franc traverse quelques siècles d’histoire mouvementée.

Flux et reflux des invasions avec pour conséquences des déplacements de population et l’implantation de nouvelles tribus; successions royales litigieuses qui entraînent des partages de territoires et des règlements de compte musclés… Tout cela affaiblit le pouvoir royal et crée, dans les provinces, un climat d’insécurité qui, avec l’aide d’épidémies importantes, peste ou choléra, aboutit à la ruine de l’économie du pays.

L’empire de Charlemagne avec son organisation administrative en comtés et vigueries sombre dans le désordre. 

Comtes et viguiers en profitent pour devenir tout-puissants dans leurs fiefs qu’ils essaient d’agrandir en prenant par la force celui du voisin. C’est la naissance du pouvoir féodal. A la même époque, l’évangélisation du pays est faite et de nombreuses abbayes sont nées, qui possèdent des terres. La grande peur de l’an mille provoque un élan de dévotion extraordinaire et fortifie le pouvoir clérical. Ces deux pouvoirs sont concrétisés dans chaque fief par la présence du château, parfois d’une abbaye et de l’église paroissiale. C’est
l’image classique du village que nous voyons encore de nos jours.

Pour se protéger, les bourgs s’entourent de remparts et deviennent des places fortes. Les paysans, eux, n’avaient qu’une solution: se mettre à l’abri dans l’enceinte des châteaux et des abbayes.

En échange de cette protection dont ils avaient tant besoin, ils étaient au service du seigneur ou de l’abbé, donc de condition servile et soumis au droit de mortaille, appelé encore droit de main morte, droit de poursuite et droit de taille et aux corvées.

A partir du XIème siècle, les conditions de vie sont meilleures, un climat favorable entraîne de bonnes récoltes donc un recul temporaire des épidémies et de la disette. Ceci a pour conséquence une forte augmentation de la population. Pour différencier les nombreux Pierre, Paul, Guillaume, Jacques vivant dans les mêmes villages, chacun reçoit un surnom qui, par la suite, entre le XIIIème et le XVème ou même le XVIème siècle, va se transmettre héréditairement. C’est donc à partir des surnoms ou des  noms de baptême que se sont formés les patronymes, d’abord dans les familles nobles, puis chez les bourgeois et enfin chez les paysans, parallèlement à l’affranchissement des serfs.

Donc avant le XIIIème siècle, quand un enfant naissait, quelle que soit sa condition sociale, il était baptisé le jour même ou le lendemain. Il recevait à cette occasion un nom de baptême que nous appelons aujourd’hui le prénom. Certains de ces prénoms sont devenus des patronymes. On choisissait les prénoms mis à la mode par les nobles qui les portaient, ou par le culte des saints ou par les romans de chevalerie. Il y avait aussi les prénoms chrétiens d’origine biblique et les prénoms germaniques souvent devenus chrétiens.

A l’époque des premiers registres connus, nos ancêtres avaient déjà hérité de leur patronyme et le premier du nom n’est pas répertorié. Je peux vous donner tout de même un exemple de la formation d’un patronyme, pris dans ma famille maternelle suisse.

Cette lignée, originaire de Rochefort, canton de Neuchâtel, est intéressante car on y découvre le premier du nom, puis la souche de ce nom. L’acte d’état civil connu le plus ancien est celui du mariage de Jean Renaud dit Louis en 1697 avec Suzanne Frasse. Pour la période antérieure à cette date, les informations proviennent des terriers du seigneur de Rochefort, c’est à dire les documents décrivant les propriétés, nommant leurs tenanciers et établissant les redevances foncières. Ces terriers existaient aussi en France et sont
consultables aux archives départementales. D’autres noms figurent dans des documents de justice.

En Suisse les recherches généalogiques sont plus faciles que chez nous car chaque patronyme a une commune d’origine, celle où est né le premier du nom répertorié. Il n’y a, dans le canton de Neuchâtel, qu’une seule famille Renaud dit Louis, donc pas d’erreur possible.

Ma grand-mère a été déclarée sous le nom de Jeanne Renaud. C’est en faisant sa généalogie que j’ai découvert son patronyme exact. Nous remontons donc de dix générations jusqu’au premier du nom Jean Renaud dit Louis, marié à Regnauld Regnaulda. Il a reconnu ses biens en 1603. Les quatre générations au dessus hésitent entre deux patronymes: Regnaud et Jacon. Jacon Regnaud cité en 1466 a eu trois fils: Jean, Pierre et Jacquet qui ont donné naissance à trois familles différentes, Les Renaud, Les Renaud dit de l’Hostel-Neuf et les Renaud dit Louis. Nous remontons encore et nous trouvons toujours des Regnaud et des Jacon. Par exemple, le frère de Junod Jacon, Renaud, est à l’origine de la famille Jaquet.

L’ancêtre le plus lointain, Perrin Jacon, né, sans doute entre 1310 et 1320, cité vivant en 1368, est décédé entre 1368 et 1371, puisque ses deux fils Regnaud et Perronnet se sont disputés au sujet de l’héritage. Perronnet a retourné le champ de blé de Regnaud. Il a été condamné à payer vingt sols bâlois. Sans doute insatisfait de la sentence, l’année d’après, Regnaud lui a rendu la monnaie de sa pièce en lui coupant son froment contre sa volonté. C’est grâce à ce litige que nous les connaissons. De Junot Jacon, vivant au hameau de La Gratte, descendent, par les fils, plusieurs familles différentes: les JACON, les JACQUET et les trois familles RENAUD. Il y a encore actuellement une famille Renaud-dit-Louis, propriétaire au hameau Les Grattes de Rochefort. Cela représente donc une lignée de vingt trois générations connues implantées dans ce hameau.

Le village de Rochefort de nos jours