Bulletin 30 / Décembre 2006

Les Berthoud-dit-Beillard, de Fleurier

par Pierre-Arnold Borel

Marie Esabeau Yersin donne à l’ancien Berthoud cinq fils et deux filles. L’aînée des filles, Marie Henriette (née en 1762) épouse un certain Paulet, bourgeois de Neuchâtel, tandis que sa sœur (née en 1771) devient la femme de Charles Ferdinand Vaucher, justicier à
Fleurier.

Jean-Louis (1764-1842) est connu dans son village natal comme habile horloger. Plusieurs montres, faites entièrement à la main sont encore conservées dans la famille Berthoud. Il mit beaucoup d’amour dans la création de celle de sa fiancée. Salomé Jequier. la fille du capitaine des milices. C’est un ravissant bijou qui sonne encore actuellement les heures avec exactitude. Les pendules neuchâteloises signées de sa main ne sont pas moins belles. Son frère Jonas sut lui créer un débouché à Paris où ses pendules sont appréciées pour la richesse de leurs ornements. Ces pièces de luxe ornent les salons de l’aristocratie et ceux de la riche bourgeoisie des quartiers élégants.

Jean-Louis a le chagrin de perdre sa compagne après quelques années de mariage. Il se remarie avec Philippine, la fille d’Abraham Perrin-Du Pasquier, ministre du saint Evangile à Buttes. Son beau-père est un grand érudit. Il se passionne pour la littérature du XVIIIe siècle. Lorsqu’il était encore étudiant, il se proposa d’aller faire visite à Monsieur de Voltaire en son château de Ferney. Doutant d’être reçu comme pasteur il se fait annoncer comme officier des milices neuchâteloises.

Le spirituel philosophe qui s’était informé entre-temps de la qualité de son hôte l’accueillit par ces mots: « N’êtes-vous pas Monsieur, plutôt officier de l’Eglise militante neuchâteloise ? » Leur entretien fut des plus cordiaux et le jeune étudiant quitta Voltaire enchanté de sa visite.

Mais revenons à Jean-Louis… Il servit également le Val-de-Travers et son roi comme lieutenant des milices et Fleurier comme secrétaire de commune. Fleurier lui témoigna sa gratitude en lui offrant une pièce d’argenterie où étaient gravés ces mots: «A Jean-Louis Berthoud, la commune de Fleurier reconnaissante».

La mort le surprit lorsqu’il était en train de lire l’avant-dernier chapitre de l’Histoire de Neuchâtel et de Valangin!

On parle peu du deuxième fils de l’ancien, Daniel-Henry, né en 1766. Il s’expatrie à Londres où il fait sa vie dans le négoce.

Le banquier

De Jonas (1769-1853) l’ancien Berthoud disait un jour « C’est bien dommage que Jonas soit un si mauvais sujet et qu’on n’en puisse rien faire de bon ». Piqué au vif par cette remarque il décide de faire encore mieux que ses autres frères. Il prie les siens de lui faire confiance et de le laisser aller à Paris à la place de son aîné négocier les pendules.

Tous les fils Berthoud avaient fait un apprentissage d’horlogerie. Le père désirait ouvrir un comptoir de vente à Paris, mais la mère s’écriait que si son fils aîné devait la quitter, elle en mourrait de chagrin.

Donc toute la famille est enchantée de la proposition de Jonas. L’on fait des préparatifs. On attelle le cheval au vieux char de la maison. Et voilà Jonas qui part à l’aventure. Le voyage dure dix jours. Les huées des gamins du faubourg Saint Antoine l’accueillent lorsqu’il débarque à Paris avec cet équipage par trop provincial. Personne ne se doute que Jonas apporte la fortune dans sa vieille patache grinçante lorsqu’il descend à l’hôtel « Du bon Laboureur ». Il réussit rapidement à s’introduire dans la bonne société où il
vend montres et pendules que sa famille lui fait parvenir depuis Fleurier. Il passe quatorze ans sur les bords de La Seine sans songer à revenir en Suisse. La révolution française le surprend dans la capitale. Sous la Terreur, son commerce de montres se transforme en contrebande d’or. Les émigrants sachant qu’il était étranger le supplient de faire passer leur or en Suisse. Jonas cache d’une manière astucieuse dans sa pauvre guimbarde de grandes quantités de louis d’or. Il dispose sous ses coussins des sommes très considérables et prend tranquillement le chemin de la Suisse comme un simple citoyen. Près de la frontière de la principauté de Neuchâtel il remet des sacs d’or aux paysans qui ont l’habitude de pratiquer la contrebande entre les deux pays. Selon une vieille coutume on ne signe aucun reçu, une parole donnée et une poignée de main suffisent.

Il est dupé une seule fois. Le contrebandier, tenté par une fortune si rondelette la garde pour son usage personnel. Il s’achète une coquette auberge sur la route de Paris et nargue au passage le trop confiant banquier.

Une autre fois, ne trouvant pas de cheval frais pour continuer son voyage, il est obligé de s’arrêter dans un relais louche près de Dijon. Il doit y passer la nuit. Les hôtes de ce coupe gorge ont l’air de bandits et la voiture est bourrée d’or. L’aubergiste lui propose de rentrer la voiture. « Ce n’est pas la peine s’écrie Jonas, cette vieille carriole peut bien passer la nuit dehors. Il fait semblant de se coucher tranquillement mais son inquiétude le tient éveillé jusqu’à l’aube. Il reprend la route rassuré, la misérable guimbarde n’a pas été visitée par les sinistres brigands!

Cette aventureuse période donne à Jonas le goût des transactions. Il abandonne le commerce de l’horlogerie pour se lancer dans les transactions bancaires. La banque qu’il fonde est actuellement la plus ancienne de Paris. Le roi Louis Philippe connaissant ses  grandes capacités lui offre le poste de régent de la banque de France. Jonas refuse cet insigne honneur et cette charge, car pour cela il devrait devenir Français. Lorsque le roi de France lui offre les lettres de noblesse, il répond fièrement aux représentants du roi:
« Veuillez dire, Messieurs, à celui qui vous envoie que je suis Suisse et républicain ! « 

Charlotte Bugnon de Fleurier, sa fidèle compagne lui donne quatre enfants. Son fils Louis allié Ysoz et son petit-fils reprennent la direction de la banque Berthoud à Paris.

Le quatrième fils de Jean-Jacques Henry, Charles Frédéric né en 1776 ne vécut qu’un an. Il fut suivi d’un autre Charles Frédéric (1778-1849) et d’Auguste (1781-1862). Tous deux vont s’établir aux Indes comme négociants. 

Et voilà, cette petite histoire terminée. Les journaux de famille sont très précieux. Ils nous permettent de découvrir la vie quotidienne, simple et même fruste de ceux qui nous ont précédés en cette terre neuchâteloise.