Bulletin 32 / Septembre 2007

Première course d'école de deux jours
(école secondaire du Locle)

par Roland Vuille

Paul André VUILLE, né le 18 février 1888 au Locle, est décédé le 29 novembre 1961 à Rio-de-Janerio. Il est le fils de Paul Auguste né le 12 septembre 1853 à Saint-Blaise et de Lina Huguenin-Virchaux née le 13 février 1859 à La Sagne; Instituteur (1906), professeur de français en Asie Mineure, négociant à Paris, puis à Rio de Janeiro, où il décède. L’ascendance est connue jusqu’au début de l’arbre vers 1400.

Paul Vuille a quinze ans, sa composition du 14 septembre 1903 relate sa course scolaire. (Cours de M. Auguste Sarbach)

Notre course scolaire au Brünig

Si le XIXème siècle fut un siècle de progrès dans l’industrie et dans le commerce, le XXème s’annonce par un progrès dans les plaisirs accordés aux écoliers. C’est du moins le cas pour nous, élèves de l’école secondaire du Locle, car, pour la première fois, nous avons fait cette année une course de deux jours. Qu’on se figure notre joie, quand, un beau matin, les professeurs nous annoncèrent que dans quelques jours nous passerions le Brünig. C’était plus que nous ne souhaitions; nous ne nous attendions qu’à une simple excursion d’une journée.

Après maintes conférences, le départ fut fixé au 26 juin. C’était un vendredi, et nous aurions donc le dimanche pour nous reposer. Tout allait à souhait et, le beau temps aidant, nous avions la perspective d’un magnifique voyage.

Le jour impatiemment attendu arriva enfin. Le soir précédent, on avait avec un grand zèle fait ses provisions de bouche et on les avait préparées dans les sacs, de manière que tout fût prêt le lendemain. On connaît assez l’agitation qui s’empare des écoliers, surtout des plus petits, à la veille d’une course scolaire; et si un œil indiscret pouvait ce soir-là voir au fond de tous les logements, il assisterait à bien des scènes curieuses. Le lever s’opéra avec autant d’empressement qu’on en a mis à se coucher; on se donne à peine le temps de prendre un léger déjeuner et on court à la gare, où l’on arrive bien avant le départ du train.

Le nôtre partait à 6h48. M. Raymond, qui nous accompagnait ainsi que trois de ses collègues, fit l’appel, et nous montâmes, mieux vaut dire nous sautâmes en nous bousculant, dans le train. Une fois commodément installés, et débarrassés de tout bagage, une joie unanime éclata. Un certain nombre d’entre nous traduisirent leur enthousiasme par des chants. Nous nous mîmes aux fenêtres pour crier un adieu général à toutes les personnes qui se trouvaient sur le quai, et qui n’assistaient pas à notre départ sans un certain regret d’avoir autre chose à faire qu’à partir avec nous.

Le train s’ébranle enfin, et nous voilà partis pour des régions sublimes de notre belle Suisse.

Jusqu’à Neuchâtel, le paysage n’offrait rien de bien nouveau pour nous: des forêts de sapins et de hêtres, de gracieux petits villages éclairés par les rayons naissants du soleil, des vignobles, la ville de Neuchâtel et la nappe tranquille et bleue du lac du même nom.

Mais à partir de là, le pays devient plus plat. On avance un moment entre le lac, à droite, et la chaîne de Chaumont, à gauche, puis on franchit la Thièle. Dès lors, l’express nous emporte avec une plus grande célérité, ne rencontrant plus, comme dans les montagnes, les accidents de terrain impropres à une circulation rapide. Après avoir laissé derrière lui quelques villages sans importance, dont le principal est Kerzers, le train passe sur un second pont, assez haut et long, celui de la Sarine. De là à Berne on ne trouve rien de  particulier.

Nous descendîmes du train à Berne. Comme nous avions plus d’une heure devant nous avant de reprendre celui de Lucerne, nous en profitâmes pour visiter un peu la ville fédérale. En sortant de la gare, nous nous trouvions en face du nouveau palais fédéral; nous n’entrâmes que dans le corridor inférieur, sans en visiter les différentes pièces; mais ce corridor, la façade magnifiquement sculptée et les jardins suffirent pour nous donner un avant-goût de ce que doit être l’intérieur de ce bâtiment imposant.

Nous nous retirâmes ensuite déjà enthousiasmés pour aller satisfaire plus loin notre curiosité. Après avoir circulé quelque temps dans les rues étroites et tortueuses de la ville, bordées d’arcades, avec leurs antiques maisons aux longs avant-toits, et possédant presque toutes une grande et élégante fontaine, après avoir vu sous les arcades les interminables suites d’étalages de toutes sortes, après avoir remarqué l’ours gravé sur la façade des maisons de molasse, ornant les fontaines, dessiné sur les enseignes des magasins, ceux qui voyaient Berne pour la première fois purent se faire une idée de l’aspect féodal de cette ville. Elle a gardé quelque chose de son ancien état de ville fortifiée. Campée sur une haute presqu’île que l’Aar entoure de trois côtés, avec ses vieilles tours, elle semble défier ses ennemis. 

Nous nous arrêtâmes ensuite devant la cathédrale, superbe édifice de style ogival, haut de cent mètres. Devant elle se trouve le monument de Rodolph d’Erlach, le vainqueur de Laupen, et derrière, dans une grande cour ombragée, la statue de Berthold V de Zähringen, fondateur de la ville. Puis nous poussâmes, par l’un des ponts, jusqu’à la célèbre fosse aux ours, et nous assistâmes là à une scène comique, où les jeunes ours luttaient en gymnastes accomplis. Nous vîmes encore l’original Hôtel de ville, avec son haut perron garni de plantes et de fleurs.

Mais il était temps de retourner à la gare, d’où le train nous emporta rapidement vers Lucerne. Ce fut dans ces wagons que nous dînâmes; et vraiment jamais repas pris dans la plus confortable salle à manger ne fut absorbé avec autant d’appétit et ne parut meilleur que celui-ci. Du reste le paysage commençait à prendre un peu de vie et de couleur. Après avoir franchi la Grande Emme, on aperçoit à maintes reprises les cimes neigeuses des Alpes Bernoises. La ligne suit un petit cours d’eau, l’Ilfis, affluent de la Grande Emme, et on remarque là un fait curieux: tandis que ces eaux coulent en sens inverse de la marche du train, au bout d’un court instant, les ayant perdues de vue, si l’on se porte de l’autre côté du wagon on s’aperçoit qu’on roule de nouveau le long d’un ruisseau, mais dont les eaux s’écoulent dans la même direction que nous. C’est qu’en réalité on vient de franchir la ligne de partage des eaux de la Grande Emme d’avec celle de la Reus.

On entre alors dans l’Entlebuch, dont on rencontre les jolis villages: Escholzmatt, Schtipfheim, Entlebuch. Puis la ligne fait un coude à Wolhusen et se dirige vers Malters. Peu après, environ une demi-heure, on entre dans un tunnel qui précède immédiatement Lucerne. A la sortie de ce tunnel, on voit se dresser à sa droite une haute colline, au sommet de laquelle est un bel hôtel; on peut y monter à pied, mais un funiculaire y transporte les voyageurs depuis la ville.

Enfin nous arrivons, un peu fatigués de ce roulement continuel. Nous sautons prestement du train et nous mettons immédiatement en route pour visiter Lucerne. Mais à peine sommes-nous sortis de la gare que toute fatigue est oubliée. Il nous semblait vraiment que nous sortions d’un rêve, et que nous étions tout à coup transportés dans un océan de lumière et de beauté. Le coup d’œil était en effet d’une clarté presque éblouissante, et d’une variété étonnante: le lac des Quatre-Cantons, d’un bleu sombre magnifique, les montagnes qui le dominaient de toutes parts et se reflétaient dans sa nappe tranquille et limpide, le port, avec ses majestueux vaisseaux immobiles, un autre bateau qui manœuvrait lentement sur les ondes, les barques légères attachées sur le bord et balancées doucement par le flot qui venait expirer sur la rive; à côté de cela une promenade touffue, des routes blanches, des ponts presque à fleur de l’eau, où se côtoyaient des représentants de presque toutes les nations de l’Europe, les deux tours élancées de la cathédrale, et, à l’arrière-plan, le massif du Righi, nettement dessiné sur le bleu de l’air, tout cela produisait un effet presque féerique. Malheureusement le temps nous manquait pour voir tout en détail. Nous franchîmes le pont couvert, si intéressant avec ses vieux tableaux, et de là nous nous dirigeâmes vers le lion. Là encore, devant cet imposant monument, l’enthousiasme éclata. Un des gardiens, en notre faveur, ouvrit le grand jet d’eau, qui en temps ordinaire reste fermé.

Puis il fallut de nouveau retourner, afin de nous embarquer pour Alpnach. Nous regrettâmes bien de ne pouvoir visiter le jardin des glaciers, le Panorama, ainsi que tous les beaux hôtels échelonnés le long du lac. Nous nous rendîmes donc au port, où nous prîmes place sur le « Righi ». La traversée fut très belle. En partant, nous avions à notre gauche le Righi et à notre droite le massif du Pilate. La chaleur, qui était devenue excessive, nous empêcha cependant de saisir toutes les beautés de ce voyage en bateau. Le pont tournant de Stansstadt s’ouvrant pour nous laisser passer et se refermant après nous excita notre intérêt.

A Alpnach, nous ne débarquâmes que pour remonter aussitôt dans un train qui nous conduisit jusqu’à Sarnen. De là, nous devions aller à pied jusqu’au petit village de Lungern, où nous attendaient le souper et des lits. Nous partîmes gaîment, quoique la chaleur fût encore très forte. M. Raymond se mit à la tête de la colonne et nous nous mîmes en route en chantant, et d’un si bon pas que les petits se trouvèrent bientôt les derniers. M. Jacot, qui était à l’arrière-garde avec les grands, commanda un arrêt: nous devions attendre MM. Guignard et Clergé, qui s’étaient arrêtés à Sarnen pour acheter un chapeau neuf à l’un de nos camarades (Ecklin) qui avait laissé tomber le sien dans le lac. Nous nous assîmes donc au bord de la route. A quelque distance se trouvait une maison, et nous en vîmes bientôt sortir un petit garçon en costume de paysan, pieds nus, et portant une cruche d’eau. On peut se figurer ce qui arriva: nous nous jetâmes tous sur sa cruche, et, bien que cette eau fût loin d’être fraîche et bonne, le pauvre gamin ne put s’en aller que lorsque tous furent désaltérés.

Ces messieurs ne tardèrent pas à venir, et nous nous remîmes en route. Nous avions jusqu’alors longé le joli lac de Sarnen. Sur les cartes, il nous avait paru bien petit; mais, lorsqu’il fallut le côtoyer à pied, nous nous aperçûmes qu’il était d’une grandeur raisonnable. Arrivés à l’autre extrémité, nous avions fait environ la moitié du trajet. Dès lors la route ne tarda pas à monter; et nous, un peu fatigués de toute cette journée de voyage, chargeâmes ceux qui connaissaient assez d’allemand de demander à chaque paysan que nous
rencontrions si nous n’étions pas bientôt à Lungern. Et toujours nous recevions l’invariable réponse: « Vous avez encore une bonne heure ». Nous crûmes premièrement qu’ils se moquaient de nous; mais nous sûmes plus tard qu’ils avaient raison. En effet, au bout d’une heure, nous arrivâmes enfin vers le lac de Lungern tout petit lac, dont les eaux sont noires et très froides. Nous étions alors seuls avec M. Raymond, les autres professeurs étant restés en arrière. Sur la demande de quelques-uns d’entre nous, nous descendîmes tous au bord du lac et prîmes un bain de pieds rafraîchissant. L’eau était glacée, ce qui ne nous empêcha pas de nous amuser beaucoup.

Mais voici que, tandis que nous étions tout à notre plaisir, MM. Guignard et Clergé arrivent, l’air quelque peu ennuyés. M. Clergé surtout nous commanda de nous dépêcher de remettre bas et souliers, et s’adressa à M. Raymond, lui démontrant l’imprudence qu’il avait commise en nous laissant prendre un bain de pieds si froid quand nous avions si chaud. C’était vrai, et nous le sentions bien; pourtant nous étions maintenant tout reposés et rafraîchis. Il n’y eut du reste ce soir aucun malade, de sorte que tout fut pour le  mieux.

De son côté M. Jacot, qui avait pris les devants, nous faisait demander pourquoi nous tardions tant. Le café était chaud, disait-il, et nous devions nous hâter. C’est ce que nous fîmes, et nous arrivâmes enfin à l’hôtel. Quoique nous eussions bien faim, les sommelières procédèrent tout d’abord à la distribution des logis. Quant à moi, j’eus la chance d’avoir une chambre pour moi seul. Il n’en fut pas ainsi pour tous. 

Après avoir déposé nos effets, nous descendîmes pour le souper, composé de café au lait bien chaud et de grands morceaux d’un pain noir fort appétissant. Puis, après avoir causé encore quelques instants, nous montâmes dans nos logements respectifs. L’air de la nuit était pur et frais, et je m’endormis au bruit que faisait un torrent qui coulait sous ma fenêtre.

Le lendemain, tout le monde était sur pied à cinq heures. Quand je me réveillai, le soleil n’était pas encore visible. J’entendais dehors des voix joyeuses qui résonnaient fortement dans le calme du matin. Quelques-uns de mes camarades étaient donc plus matineux que moi; Je me hâtai de m’habiller et de faire une toilette sommaire; nos souliers étaient encore couverts de la poussière du jour précédent; mais ce n’était pas là un grand sujet d’inquiétude pour nous. Je descendis et rejoignis la joyeuse bande. J’en trouvai qui étaient déjà allés assez loin pour trouver des rhododendrons. Le déjeuner n’était pas encore préparé; nous nous mîmes à explorer le petit pays si pittoresque des environs de Lungern, et nous visitâmes l’église catholique. 

Nous fûmes aussi témoins d’une scène des plus gracieuses, beau trait de mœurs des habitants des hauts villages des Alpes. Nous entendîmes tout à coup le bruit d’un cor, dont les échos se répétaient dans les hauts rochers avoisinants. Nous étant retournés, nous vîmes un petit chevrier, nu-pieds, soufflant de toutes ses forces dans son primitif instrument de musique, jusqu’à ce qu’il eût rassemblé autour de lui les chèvres de tous les propriétaires du village; après quoi, poussant son cor derrière son dos, un bâton à la main, il se mit en route avec ses compagnes à quatre pieds, pour les mener paître sur les hauteurs.

Quand nous redescendîmes, nous dûmes encore attendre un certain temps un groupe composé de M. Raymond et de quatre élèves des classes supérieures, qui, ainsi qu’ils l’avaient décidé le soir précédent, avaient tenté de voir le lever du soleil. M. Raymond fut debout à trois heures. Il dut ensuite appeler les autres, qui se trouvaient logés dans l’une des maisons dépendant de l’hôtel. Il ne savait malheureusement pas dans laquelle, et fut obligé de faire tant de bruit que bientôt quelques paysans en furent réveillés et vinrent fermer leurs fenêtres avec fracas, afin de pouvoir ensuite se replonger dans les délices du sommeil. Pourtant les quatre élèves furent bientôt réveillés; mais quand ils voulurent sortir, nouvelle surprise: un gros chien était couché devant la porte, et les avertissait, par de sourds grognements, qu’ils n’eussent pas à passer par là. Que faire? Ils ne furent pas longtemps embarrassés: ils découvrirent une fenêtre peu élevée au-dessus de la route, et les voilà qui dégringolent l’un après l’autre le long de la muraille et arrivent en bas sains et saufs.

Ils se mirent enfin en route. Ils avaient choisi pour but une haute montagne à droite du village. Ils commencèrent donc à l’escalader; mais au bout d’une heure la pente devint si raide qu’ils ne purent plus monter qu’en s’aidant des pieds et des mains, et en  s’accrochant à tout ce qu’ils pouvaient saisir. Une nouvelle mésaventure devait les retarder encore: l’un d’eux s’égara, et ils perdirent du temps à l’appeler. Quant au héros, constatant qu’il ne pouvait les rejoindre, il était redescendu. Les quatre restants continuèrent à monter, mais en vain: quand ils arrivèrent aux trois quarts de la montagne le soleil colorait déjà de ses feux naissants les sommets avoisinants. Ils n’eurent donc plus qu’à redescendre.

Lorsqu’ils furent arrivés, tout le monde prit alors son déjeuner, après quoi nous nous mîmes en route frais et dispos, mais ayant devant nous un assez long trajet à faire. La route était bordée de chaque côté de forêts, remplies de toutes sortes de végétation, comme celles de notre Jura. Dès le départ, suivant en cela l’exemple de M. Guignard, chacun ne s’occupa qu’à cueillir des plantes, cherchant à en découvrir de rares. Tout le monde fit des gerbes. Mais à peine une demi-heure s’était-elle écoulée qu’on en eut déjà assez, et on les jeta. Et bien rares furent ceux qui, le soir, en possédait encore quelque échantillon.

Nous arrivâmes bientôt au haut du Col du Brünig, ayant pris, pour y arriver, des sentiers de traverse, encore pleins de la rosée de la nuit. Dès ce moment, le spectacle ne cessa d’être magnifique. Nous avions devant nous la vallée de l’Aar, avec sa bordure de hautes chaînes, d’où se précipitaient de grandes cascades d’une hauteur considérable. Nous ne pouvions les entendre, à cause de la distance qui nous en séparait; mais nous les voyions, pareilles à de larges rubans d’argent suspendus au faîte des monts et se déroulant jusqu’à leur pied. Derrière ces premières chaînes, on apercevait des sommets couverts de neiges éternelles, et le gigantesque dôme du Wetterhorn. Les lacs de Brienz et de Thoune nous étaient encore cachés. Un peu plus loin nous aperçûmes, dans un vieux mur, une très grosse vipère, qui ne montrait que le haut de son corps et venait jouir des rayons du soleil» Nous frappâmes dessus à coups redoublés avec nos bâtons, et elle ne tarda pas à passer de vie à trépas.

Continuant notre route, nous arrivâmes à Meiringen, joli village où les beaux hôtels sont construits à côté des antiques chalets de bois. Près du village se trouve une magnifique cascade jaillissant à une cinquantaine de mètres de hauteur, et se continuant ensuite sous forme de torrent. C’est au pied de cette cascade que nous nous installâmes pour prendre quelque nourriture. Nous avions de là une vue splendide sur de colossales montagnes de neige. Le repas fut joyeux, plus agréable encore que le dîner du jour précédent. Nous avions là tout à souhait: de grands sapins pour nous abriter, de l’eau à proximité, des engins de gymnastique de toutes sortes. Après nous être reposés nous retournâmes à Meiringen, d’où nous devions aller visiter les gorges de l’Aar.

Cette visite porta notre enthousiasme au plus haut degré. Cette gorge, d’une longueur de deux kilomètres, est d’un aspect vraiment imposant et grandiose. Il est d’un grand intérêt de constater l’énormité de l’œuvre accomplie par l’eau, et par les débris qu’elle entraîne avec elle. Elle a su, à la faveur de temps incalculables, se creuser un lit d’une profondeur de cent à deux cents mètres, au travers d’obstacles tels qu’il serait impossible aux hommes de les vaincre. C’est certainement la plus pittoresque de toutes les gorges de la Suisse, C’est un chantier naturel, où l’ouvrière accomplit son travail lentement, mais sûrement, en se précipitant en flots tumultueux et avec un élan que rien ne saurait arrêter contre ces immenses parois de rochers qu’elle est appelée pour ainsi dire à scier. Nous nous retirâmes pleins d’étonnement et d’admiration, pour retourner encore à Meiringen. On nous servit là, dans le jardin d’un hôtel, un succulent dîner, après quoi nous prîmes un petit train régional qui nous conduisit, au milieu de la belle vallée du Hasli, jusqu’à Brienz, petit village sur le lac du même nom. Là, nous dûmes attendre un certain temps sur le quai le bateau qui devait venir nous chercher. Nous pouvions voir de là le Giessbach, qui se jetait dans le lac sur la rive opposée. Lorsque notre vapeur arriva, il y avait tant de monde à bord que beaucoup d’entre nous n’eurent pas de place pour s’asseoir et durent rester debout. La chaleur était devenue presque insupportable, pour nous qui n’y étions pas habitués; de sorte que nous ne jouîmes pas autant pendant la traversée de ce lac de Brienz que nous ne le fîmes plus tard sur celui de Thoune.

Nous arrivâmes ainsi à Interlaken. La première chose qui nous frappa en arrivant fut le nombre considérable d’omnibus attendant les voyageurs près du débarcadère. Il y a donc beaucoup d’hôtels; et en effet Interlaken est une petite ville presque toute d’étrangers. Nous avions une heure environ pour nous y reposer, et nous en profitâmes largement. Nous visitâmes premièrement les nombreux bazars, les magasins d’objets en bois sculpté, spécialité de l’Oberland bernois. Puis nous nous assîmes sur les bancs d’une magnifique promenade et pûmes admirer et contempler à notre aise la majestueuse Jungfrau, que nous avions juste en face de nous. L’heure s’écoula bien vite, et nous dûmes nous arracher à nos rêveries pour aller de nouveau nous embarquer.

Cette fois la traversée fut des plus belles. La chaleur avait beaucoup diminué, la vue était superbe, surtout sur l’Eiger, le Mönsch et la Jungfrau, et, de plus, nous entendîmes pendant toute la durée du trajet les chants mélodieux d’un pensionnat de jeunes filles, qui revenaient aussi de course ou de vacances. Après une navigation de plus de deux heures nous arrivâmes à Thoune, que nous ne pûmes malheureusement pas visiter, faute de temps. De là le train nous emporta rapidement jusqu’à Berne. Nous descendîmes encore une fois dans cette ville pour aller prendre une bonne tasse de chocolat, après quoi nous remontâmes dans le train pour y rester jusqu’au Locle, où nous arrivâmes à passé minuit.

Nous rentrâmes tous à la maison, heureux et contents, gardant un souvenir ineffaçable de ce beau voyage de deux jours.

Ah! Si nos petits élèves modernes pouvaient en faire autant… (Le rédacteur)