Bulletin 36 / Décembre 2008

Un espion bernois au lendemain de la Réforme :
Pierre Barrelet, ancien curé de Vautravers

Lors de notre rencontre du 29 septembre 2008, nous avons eu le plaisir d’entendre Céline Favre Chasle nous parler de la vie mouvementée de Pierre Barrelet, curé espion, originaire du Val-de-Travers. Notre secrétaire nous brosse, ci-dessous, un résumé de cette intéressante conférence.

Anne-Lise Fischer, présidente, ouvre la séance en saluant l’assemblée et présente notre oratrice, Mme Céline Favre Chasles, qui était déjà venue ici nous parler d’un autre curé, Etienne Besancenet, dernier curé du Locle. Ce soir elle nous présentera Pierre  Barrelet [1], ancien curé de Vautravers, auquel elle a consacré son mémoire de licence en histoire.

Lorsque le comté de Neuchâtel adopte la Réforme, en 1536, le curé Pierre Barrelet se trouve dans la même situation que son collègue du Locle, Etienne Besancenet : soit – comme lui et d’autres encore – quitter le pays pour rester catholique, soit devenir pasteur.

Aucune de ces deux solutions ne lui convient et il va trouver une autre voie : il va entrer au service des Bernois comme espion. Dix lettres et rapports d’espionnages, conservés aux Archives d’État de Berne (huit rapports) et à la Bibliothèque des Bourgeois de Berne (deux lettres), témoignent de ses voyages et de son activité.

Le contexte historique

On est au début du 16e siècle, à un tournant en matière de diplomatie. Jusque là, chaque message était porté à son destinataire par un messager, sorte « d’envoyé spécial », et le dialogue se faisait pour ainsi dire « directement ».

Mais entre Charles Quint et François 1er, les tensions sont énormes et l’équilibre entre eux toujours précaire. Il vaut donc mieux avoir un intermédiaire permanent, qui peut jouer le rôle de médiateur. On va donc instituer des ambassadeurs permanents (qui seront à l’occasion aussi des espions !) dont le rôle est de transmettre des informations politiques, économiques, militaires nécessaire au maintien de l’équilibre des forces.

Les Suisses n’ont pas les moyens d’engager des ambassadeurs… mais ils vont avoir des espions !

Pierre Barrelet

Il est né dans le Val de Travers vers 1480. Il est mort vers 1559, à l’âge d’environ 80 ans.

Depuis le début du 16e siècle, il est curé à Môtiers, paroisse de Vautravers, et il y restera environ trente ans.

En 1536, il fait partie du clergé de la cathédrale de Lausanne, ce qui témoigne déjà de son ambition. Cette année-là, les Bernois envahissent le pays de Vaud qui passe à la Réforme. C’est à ce moment-là qu’il a ses premiers contacts avec les Bernois. Il exercera la fonction d’espion de 1539 à 1546. Il a donc près de 60 ans lorsqu’il se met à voyager à la recherche d’informations à offrir aux Bernois.

En 1546, il épouse sa servante, dont il a déjà un enfant.

Curieusement, jusqu’à la fin de sa vie, il se fera appeler et signera « curé de Vautravers ».

C’est à peu près tout ce qu’on sait de sa personne (hormis quelques affaires financières et autres traces dans différentes archives).

Voyager au 16e siècle

Les voyages sont une entreprise périlleuse. Ils se font à pied (c’est seulement plus tard qu’on verra apparaître les diligences) donc lentement. On n’a ni guide ni carte pour trouver sa route. Le voyageur court le risque de rencontrer des brigands ou de traverser des régions en guerre, il s’expose aux épidémies. Aussi, pour courir moins de risques, on voyage en groupe et toujours muni d’une lettre de recommandation d’un prince ou d’un seigneur (sorte de passeport).

On ne peut voyager que de jour et il faut trouver un logement chaque soir, avant la fermeture des portes des villes. Les récits de voyages nous apprennent que les auberges n’était pas toujours fréquentables et souvent infestées de puces et autres cafards.

C’est dans ses conditions que Pierre Barrelet va voyager jusqu’à septante ans !

Les méthodes de l’espion

Pour obtenir les renseignements qu’il souhaite, Pierre Barrelet va écouter attentivement ce qui se dit autour de lui, observer ce qui se passe, inventer des histoires pour extorquer des informations..

Ainsi par exemple au Pays de Montbéliard, qui est acquis à la Réforme, il prétend qu’il est un ami de Guillaume Farel, lequel souhaiterait ardemment avoir des nouvelles de ce qui se passe à Montbéliard… mais c’est aux Messieurs de Berne qu’il fait son rapport à son retour.

Une autre fois, à Revero, près de Trente, il va compter les soldats de l’armée du pape Paul III qui défilent en rang devant lui. Il en compte 12’000. Un chiffre confirmé par l’historien Alain Tallon [2] qui dispose d’autres sources et qui écrit « Paul III envoie à Charles-Quint en juillet douze mille fantassins et huit cents cavaliers ».

Il réussit aussi à se procurer des copies des dispositions du Concile de Trente qu’il fait parvenir aux Bernois.

On a plusieurs preuves que les informations qu’il fournit aux Bernois sont fiables et on sait que les Bernois en ont tiré bon usage. Une seule fois, il commet une erreur, en prétendant que Charles Quint réhabilite les autorités de la ville de Gand qui avait adopté à la Réforme.

Conclusion

Pourquoi Pierre Barrelet a-t-il fait le choix de devenir espion ? Par fidélité à sa foi catholique ? Pour voyager ? Pour l’argent ? Par ambition politique ? Rien dans ses écrits ne permet de répondre à ces questions.

Si l’on connaît assez bien ce qu’il a fait, on ne sait rien de ce qu’il pensait, de ses motivations, de sa personnalité.

Le seul objet personnel qui nous soit parvenu de cet étrange personnage, c’est son sceau, sur lequel on distingue à droite et à gauche un « P » et un « B ».

Notes

  1. A l’origine de ce travail, un article d’Henri Meylan: « Un agent secret de MM de Berne : le curé Pierre Barrelet », paru dans le Musée Neuchâtelois en 1964.
  2. « La France et le concile de Trente (1518-1563), Rome, 1997