Bulletin 4-5 / Décembre 1996

Famille Guinand

La famille Guinand, des Brenets, bourgoise de Valangin

par Pierre Arnold Borel

Les origines de la famille

La famille Guinand descend de Besançon Guinand, qui vivait à la fin du XVe siècle aux Brenets. Ce personnage est mort avant 1519. Son fils, Etienne, reconnaît ses biens le 3 décembre 1510. En 1534, il remplit la fonction de juré dans son village et meurt avant le premier avril 1531 (?). Marié deux fois, il a de ses deux femmes dix enfants, sept de la première et trois de la seconde. Dès lors, la famille se divise en de multiples branches. Le prénom Pierre étant souvent utilisé, les homonymies sont légion. Le travail du généalogiste devient délicat et même certaines fois impossible. Sa tâche est d’autant plus malaisée qu’à certaines occasions deux frères se prénomment Pierre, simplement différencié par leur surnom, le Vieux désignant l’aîné, le Jeune le cadet.

Pierre le Jeune, fils d’Etienne, était un brave laboureur qui testa le 11 septembre 1553. Son fils, Jacques, achète le 25 avril 1590 une terre à L’Augemont (Logémont). Il appartient à la condition de franc-habergeant des Montagnes. C’est de lui que descendent les branches dont nous allons parler ci-après.

Les ancêtres de Georges Emile Guinand

Pierre Guinand, fils de Daniel, petit-fils de Pierre, est né aux Brenets en 1699. Le 23 avril 1720, il reçoit le brevet de lieutenant civil de l’Honorable Justice de cette localité. Mort en 1745, il laisse de sa femme, Elisabeth Marguerite Perret-Gentil, six enfants, dont un certain Jonas, un horloger qui ira s’établir à La Chaux-de-Fonds.

Daniel, fils dudit Jonas, remplit aussi la profession d’horloger. Né en 1779, il s’engage en 1805 dans le Corps d’artillerie et fait sans doute partie du régiment des Canaris au service de Napoléon. Servant sous les ordres du comte Frédéric de Pourtalès, il participe à la Campagne de Russie. En récompense de son courage et de sa fidélité, il reçoit le 5 mai 1821 la médaille de Sainte-Hélène donnée par l’Empereur à ses compagnons.

Son descendant, Georges Emile Guinand (1895-1969), est très connu en Suisse et à l’étranger. Il s’agit d’un maître orfèvre, joaillier, dinandier, diamantier qui a professé à l’École d’art de La Chaux-de-Fonds. Cet artiste a participé à de nombreuses expositions en Helvétie et en Europe. Son fils, Jean Paul, suit ses traces.

La branche de l'opticien Pierre Louis

Sources

  • article de Paul Ditisheim, dans Nouvelles Etrennes Neuchâteloise 1925
  • F.-A.-M. Jeanneret, Biographies neuchâteloises. Le Locle 1863.
  • Messager boiteux de Neuchâtel.
  • Recherches P.-A. Borel.

Louis, fils de Jacques dont nous avons parlé ci-dessus, reste établi à L’Augemont (Logémont), au Cernil Girard. Il y reconnaît ses biens le 5 juillet 1660. Son fils, Pierre le Vieux (mentionné de 1660 à 1706) et son petit-fils, Pierre le Jeune (mentionné de 1706 à 1741) lui succèdent dans cette ferme. Le dernier cité, Pierre le Jeune, par ailleurs hôte de l’auberge du Lion d’Or, remplit pendant de nombreuses années la charge de juge suppléant, puis de juré en la Justice des Brenets.

Le fils de ce dernier, Pierre, naît le 13 janvier 1695 au bord du Doubs. Il se consacre à une carrière militaire. Un déplacement aux Archives de la guerre à Vincennes nous apprend qu’il a commencé son service comme enseigne de la compagnie Locher et Widmer le 13 avril 1710. Sous-lieutenant le 25 avril 1712, lieutenant de la compagnie Lahire au régiment de Castella le 13 octobre 1713, il devient capitaine-lieutenant le 16 mars 1714. Il végète ensuite à ce poste jusqu’à sa retraite prise le 22 février 1747. Ayant abjuré la foi protestante en 1739, il peut être nommé chevalier de l’ordre de Saint-Louis en mars 1745, honneur réservé uniquement aux catholiques à l’époque.

La vie militaire n’empêche pas Pierre de revenir régulièrement aux Brenets. En 1711, il y fait sa première communion. Il y lutine aussi les filles, en particulier une certaine Anne Marie Billon, dont il a un enfant naturel nommé évidemment Pierre. Cet enfant, baptisé au bord du Doubs le 1 février 1712, reconnu par son père, légitimé par le Conseil d’État le 22 septembre 1724, va habiter aux Ponts-de-Martel dont il deviendra communier le 2 mars 1770. De sa femme, il aura quatre enfants, dont Pierre Louis, objet de cette conférence.

Pierre Louis baptisé au Locle le 28 avril 1748

Pierre Louis est né à La Sagne, au quartier de la Corbatière, mais est baptisé au Locle le 28 avril 1748. D’après l’un de ses biographes, Paul Ditisheim, il reçoit à peine les premiers éléments de l’instruction, car, dès son plus jeune âge, il doit aider son père à la menuiserie familiale. Déjà ébéniste à 14 ans, il fabrique des cabinets de pendules. Il apprend aussi à fondre et à travailler divers métaux. A 20 ans, il s’essaie à usiner des boîtes de montres. Restant le cabinotier préféré des Jaquet-Droz, il se rend souvent chez ces derniers, « sur le Pont », à La Chaux-de-Fonds pour y livrer son ouvrage. Lors d’une de ses visites, il remarque un très beau télescope anglais à miroir qui excite sa curiosité. Il demande à Pierre Jaquet-Droz de pouvoir le démonter et l’examiner à loisir. Le célèbre constructeur d’automates accède à sa demande et lui met même entre les mains un premier traité d’optique. Sachant à peine lire et ne parlant que le patois, Pierre Louis déchiffre laborieusement l’ouvrage qui lui ouvre des horizons nouveaux. Ayant déjà bricolé des verres pour ses propres lunettes (A ce propos, Mme de Charrière écrit le 17 février 1793 : « Vous ignorez l’histoire de Pierre Louis Guinand, des Brenets, que le seul désir d’avoir des bonnes lunettes l’a rendu excellent opticien »), il arrive à copier exactement ce télescope. Entre 1784 et 1790, il acquiert des notions de chimie utiles à ses essais de vitrification. Il emploie alors une partie de ses soirées à fondre dans son fourneau à vent plusieurs kilos de verre. A chaque, expérience, il a soin de noter les teneurs et les composants, les temps de fusion et le degré de chaleur. Coordonnant ensuite les résultats successifs de ses essais, il cherche la cause des défectuosités, afin d’y obvier à l’avenir.

A plus de quarante ans, il quitte sa profession de monteur de boîtes de montre pour celle, plus lucrative, de faiseur de timbres pour horloges à sonnerie. Il peut alors amplifier ses expériences. Ayant acheté un terrain au bord du Doubs, il y construit un four pour y fondre des masses de verre. Après bien des déboires, il parvient à faire des disques parfaitement homogènes de 30 cm ou de 50 cm de diamètre, performance exceptionnelle pour l’époque. Sa grande découverte fut d’avoir songé à agiter le verre pendant le refroidissement à l’aide d’un doigt d’argile que l’on nomme depuis le guinand. Petit à petit, il contribue à augmenter le pouvoir des instruments astronomiques et des lunettes marines, grâce à l’excellence de ses productions. Il obtient un flint-glass si parfait qu’il surpasse en qualité et en volume ce que l’Angleterre peut produire. Sa renommée s’étend au loin et reste encore bien vivace aujourd’hui, surtout à l’étranger.

Pierre Louis, reçu communier des Brenets et des Ponts-de-Martel, est aussi incorporé dans les bourgeoisies de Valangin et de Neuchâtel. Le 8 février 1770, il épouse Elisabeth Jacot, veuve de Jean-Pierre Bourquin, qui meurt en couches le 11 janvier 1771, en laissant deux jumeaux. Le jeune veuf se remarie vite le 17 septembre 1771 avec Marie Madeleine Jean-Richard-dit-Bressel. L’union durera pendant dix ans environ, jusqu’au décès de Marie Madeleine le 28 avril 1781. Trois enfants en sont issus. Pierre Louis se remarie une troisième fois avec Marianne Jeannot. Mauvaise décision, car sa troisième épouse fut une horrible mégère. Ce mariage représente une telle catastrophe que Pierre Louis compte les jours de leur vie commune : un an neuf mois et sept jours. En 1798, il obtient un divorce basé sur une antipathie insurmontable entre les époux. Un enfant sera cependant issu de cette union mal assortie. Le 14 mai 1806, Pierre Louis se remarie une quatrième fois, avec une jeunette du nom de Rosalie Bouverat, qui lui survivra jusqu’en 1855.

Parmi ses enfants, nous pouvons citer Henri, issu du premier lit, né le 19 décembre 1771. Cet aîné supporte mal la cohabitation avec son père, qui lui fait continuellement des remarques plus ou moins acides. Ainsi, il quitte très jeune le domicile paternel et s’en va s’établir en Île de France où il ouvre en 1828 une verrerie à Choisy-le-Roi. Il y produit des disques de flint-glass allant jusqu’à 35 cm de diamètre, sans stries ni bulles. Il meurt en 1852.

Issu du deuxième mariage, Olivier, né en 1775, va s’installer en Bavière et épouse une demoiselle Duplaquet. Il contribue à faire de cette région un des centres de l’optique européenne, jusqu’à nos jours.

Philibert, fils de la troisième épouse, naît en 1787. Il reste très attaché à sa mère et, après le divorce de ses parents, vit à l’écart de la famille paternelle. C’est le père d’Ulysse (1810-1885), professeur de géographie à Lausanne et auteur d’ouvrages historiques neuchâtelois. Elie, le fils de ce dernier (1839-1909), est un architecte connu de la région lémanique. Il y a construit en particulier l’hôpital cantonal de Lausanne.

Branche des banquiers de Londres

Sources

  • Article de Juliette Bohy dans le Généalogie suisse, 1 février 1961.
  • Pedigree of Guinand. dans Miscellanea genealogica et heraldica, Londres, juin 1911.
  • Recherches de P.-A. Borel.

Eux aussi descendent de Louis, fils de Jacques, par David (mort entre 1642 et 1643), par David (cité de 1645, mort avant 1680) et par Jacques (mort à Neuchâtel le 11 septembre 1726). Jean Henri (1686-1755), fils de ce dernier, est envoyé en apprentissage en 1703 à Genève chez Jean Perron, marchand, et chez Abraham Borel, il y apprend l’art et la manière de tenir les livres en double partie, ainsi que les échanges d’argent. En 1728, il est marchand et banquier à Londres, associé à son frère Joseph (né en 1703, mort après 1757). Leur établissement se trouve dans Threadneedlestreet, dans la même rue et à proximité de l’église réformée française de la capitale britannique. Ils choisissent d’ailleurs leurs épouses parmi les membres de la communauté huguenote de cette ville. Le 10 juin 1739, Jean Henri est nommé ancien d’église de cette paroisse.

Le 7 avril 1738, le président de la Chambre de charité de Neuchâtel expose au Conseil de Ville que son institution a placé des fonds considérables en Angleterre et que les frères Guinand en ont la gestion. Ces derniers ne se font pas payer les provisions ordinaires et ont même refusé de recevoir un salaire pour leurs peines, car ils s’estiment heureux de pouvoir contribuer à la conservation d’un établissement si utile. Pour les en remercier, la Ville leur octroie, gratis et sans finance, la bourgeoisie de Neuchâtel et obtient l’approbation du Prince le 8 avril 1738.

Cette bourgeoisie s’ajoute à d’autres : le 30 décembre 1710, il est reçu bourgeois de Genève. En outre, il obtient la naturalisation anglaise par acte du Parlement en 1714 et devient « deputy governor » en 1739. Il meurt à Londres le 16 décembre 1755 et est enterré en l’église St. Helen’s à Byshopsgate in North Isle.

De sa femme, Elisabeth Marie Hamelot, est issu Henry (né en 1722, mort après 1782), lui aussi négociant à Londres. Mais il fait faillite en 1769 et part avec sa famille aux Indes pour essayer d’y refaire fortune. Il est cité au Bengale le 21 septembre 1782 et meurt à Puttha dans cette province. John Harry Guinand, son fils (1758-1790), succède à son père. Il tient une manufacture à Pondicherry dans le Bengale, exerçant la profession de négociant indienneur dans les chintz. A ce titre, il est associé à la firme connue en Europe sous la raison sociale « Prinsep, Prinsep et Guinand ». Sa femme, Peretta Ranby, une créole française vivant encore à Pondicherry en 1822, lui donne sept enfants dont trois fils, tous morts sans héritiers, soit, en particulier, Alexander (1786-1813) et Robert Samuel (1788-1810) servant tous deux au Régiment Bengal Artillery, morts célibataires.

Branche des barons von Gienanth

Sources

  • Carl Hollensteiner, Ludwig von Gienanth bayerischer Reichrath, Ritter und Hüttenwerksbesitzer in Schönau, nach seinem Leben und Wirken, Frankfurt 1852.
  • 250 Jahre Gebrüder Gienanth, Eisenberg 1735-1985.
  • GWH gegründet 1742, Gienanth-Werke Hochstein AG Eisen-giesserei.

Cette branche descend d’un certain Pierre, communier des Brenets, qui quitte la principauté de Neuchâtel vers 1650. On ne connaît pas le nom de ses parents. Il se dirige vers le Palatinat, région qui a perdu 80 % de sa population au cours de la Guerre de Trente Ans et des invasions qui suivirent. Il s’installe à Gimmeldingen pour y pratiquer son métier de forgeron. Un acte notarié du 18 septembre 1655 précise qu’il fabrique des fers pour bœufs et pour chevaux, des socs de charrues et divers autres outils aratoires. Cette émigration n’est pas un acte isolé. En effet, le 5 décembre 1653, le Conseil d’État neuchâtelois, craignant le dépeuplement de nos contrées, interdisent à toute personne de sortir de la principauté sans congé, sous peine de confiscation de biens.

Dès l’âge de 18 ans, Johann Niklaus Gienanth, petit-fils de Pierre, part en Franche Comté comme compagnon. En 1715, il devient chef responsable à la fonderie de Dudweiler en Sarre. C’est alors qu’il germanise son nom. En 1729, il afferme la fonderie de Wattenheim au comté de Leinigen et, en 1742, construit son propre haut-fourneau dans le comté de Falkenstein à Hochstein, pays déjà connu par les Romains pour ses mines de fer. Johann décède en 1750.

Johann Jakob, son fils, développe les fonderies familiales, à Winnweiler, à Alsenz et à Imbach. Dans la vie civile, il occupe le poste de conseiller de cour (Hofrat) à Berg. Il meurt à l’âge de 64 ans le 31 août 1777 après trois mois de maladie et est enterré dans le temple d’Alsenbrücker.

Ludwig, fils de Johann Jakob, né en 1767, a dix ans à la mort de son père. Son éducation dépend uniquement de sa mère qui possède un sens profond des responsabilités et un grand esprit d’entreprise. Ludwig fait ses premières armes dans l’Oberland bernois, où il dirige une petite fonderie-forge appartenant à la famille. A la mort de son demi-frère, Gideon, il reprend la direction des forges, hauts-fourneaux et fonderies d’Altleinigen, de Trippstadt et de Hochstein dans le Palatinat. En raison de l’occupation par les troupes révolutionnaires françaises, les temps sont durs, mais, au fil des années, Ludwig développe ses activités et ses produits sont reconnus pour être parmi les meilleurs du pays.

Représentant le Palatinat à la cour des Wittelsbach de Munich, premier conseiller de confession protestante, il est anobli par le Roi de Bavière en 1819. En 1836, nouvel honneur, il reçoit le titre de baron héréditaire (Ludwig, Freiherr von Gienanth). Il prend à cette occasion les armoiries de ses ancêtres des Brenets en changeant les couleurs : « d’argent à l’écrevisse de sable » contre (à Neuchâtel) : « de gueules à l’écrevisse d’or ». La devise de la famille sera désormais : « servir ».

A l’âge de 70 ans, Ludwig se retire des affaires et réside dans sa maison de Schönau, continuant toutefois à s’occuper de la fonderie attenante en la modernisant. Il meurt à Schönau le 13 décembre 1848. Homme exemplaire, foncièrement croyant, il laisse le souvenir d’un bienfaiteur pour son personnel, pour les paysans de sa baronnie. Ce fut aussi un mécène et généreux paroissien.

Carl, « Freiherr » von Gienanth, fils de Ludwig, prend la direction des entreprises familiales d’Eisenberg et de Leinigen. Il se spécialise dans les plaques de cheminées et les rails de chemin de fer. Il meurt en 1893, laissant un fils, Eugen (mort en 1893), qui dirige dès 1867 la « Eisenberger Werke », exploitée sous la raison sociale de « Gebrüder Gienanth Gmbh ». Sous son impulsion ses fonderies se sont spécialisées dans les plaques de cheminées en fonte, dans les poêles de fer, dans les éléments de réverbères pour gaz ou pétrole, dans les escaliers en fer, etc.

Carl, fils d’Eugen, fait des études d’ingénieur à Munich et à Hanovre, puis un apprentissage pratique de directeur à Leipzig, à Berlin et à Mannheim. Il vit les temps troublés de la Première Guerre mondiale et de l’entre-deux-guerres. En 1921, la famille transforme ses fonderies en une société « Gebrüder Gienanth-Eisenberg Gmbh », dont Carl prend seul la direction. En 1932, pour raison de santé, il est contraint à renoncer à ce poste. Ses entreprises subissent d’ailleurs de plein fouet la grande crise des années 30, le nombre d’employés passant pendant cette période de 800 à 120. A la fin de la Deuxième Guerre mondiale, on ne compte plus qu’une cinquantaine d’ouvriers. Ils produisent des fourneaux, des poêles en fer, des âtres, des chaudières, etc. Les Alliés mettent ces usines sous séquestre.

Ulrich, fils de Carl, fait des études d’ingénieur à Munich où il obtient aussi une licence d’économie politique. En 1950, le séquestre sur les fonderies et sur la fortune Gienanth est levé. Il s’occupe dès lors des fonderies d’Eisenberg, puis prend la direction des usines « Gebrüder Gienanth-Eisenberg Gmbh » et des fonderies « Gienanth Werken Hochstein AG ». En 1995, la famille possède encore le 35 % du capital actions de ces usines, s’occupant de fonderies depuis au moins sept générations.