Bulletin 45 / Décembre 2011

Le patois neuchâtelois

notes de Françoise Favre

Exposé de Joël Rilliot
Lundi 5 septembre 2011, à 19 h 30, au Bistrot de l'Arrosée à Neuchâtel

La présidente ouvre la séance en saluant les 22 personnes présentes, puis elle donne quelques nouvelles de la Société. Elle présente ensuite brièvement l’orateur de ce soir, Joël Rilliot, jeune médecin généraliste, qui vient nous parler de patois neuchâtelois.

En introduction, Joël Rilliot nous raconte comment il s’est intéressé puis, très vite, passionné pour le patois neuchâtelois au point d’en faire sa langue d’usage à la maison, avec ses trois enfants. Pourtant, il n’a aucune formation en linguistique ou en dialectologie. C’est plutôt en partant à la recherche de ses racines, lui qui est issu d’une famille franco-suisse aux origines très diverses, qu’il a commencé à s’intéresser au patois. En 1998, il commence d’apprendre cette langue morte, « en se tordant la bouche » pour trouver la bonne
prononciation.

Définition et origines

Selon Wikipedia, le mot « patois » viendrait de l’ancien français patoier, qui signifie gesticuler avec les mains, ou du latin patria.

Le patois neuchâtelois – il faudrait dire les patois neuchâtelois – car il y en avait cinq, différents mais assez proches pour que tous les Neuchâtelois se comprennent entre eux, est une langue morte depuis le tout début du 20e siècle.
C’est le Montagnon, le dialecte des Montagnes neuchâteloises, que parle Joël Rilliot.
Le patois neuchâtelois est un dialecte franco-provençal, un parler qui couvre une zone géographique qui s’étend sur toute la Suisse romande (sauf le Jura nord), le sud de la Franche-Comté, la Savoie et va jusqu’au pied des Monts d’Auvergne. Il se trouve à la limite nord de l’aire franco-provençale et présente des traits communs avec le patois du Jura. 

Historique

Les dialectes franco-provençaux sont attestés dès le 6e siècle par des inscriptions sur des monnaies mérovingiennes. Ils évoluent parallèlement à la langue d’oc et la langue d’oïl. Du Moyen-Âge au 19e siècle, les parlers franco-provençaux sont le véhicule de la communication orale de tous les milieux sociaux ainsi qu’en témoigne l’anecdote suivante : en 1812, J.-L Pourtalès doit faire un discours devant une députation du Val-de-Ruz reconnaissante de la fondation de l’hôpital de Pourtalès. Il commence son discours en bon français, mais on l’interrompt pour lui demander de s’exprimer en patois.

Dès la fin du 18e siècle, la pratique dialectale fléchit dans les villes protestantes pour s’éteindre au début du 19e. La disparition du patois est due à des facteurs concomitants, sociaux, politiques et idéologiques. « Les plus énergiques agents du français ont été l’instruction (les écoles), l’industrie, le service militaire, la religion protestante, en un mot la culture supérieure du 19e siècle, fruit du rationalisme du siècle précédent. » (L. Gauchat, Bulletin du glossaire des patois de la Suisse romande 1902-15)
La fin de l’utilisation du latin dans les actes écrits dès le 13e siècle, fait apparaître le français en Suisse romande qui va s’implanter avec l’introduction de la lecture de la bible en français au lieu du latin. A de rares exceptions, le patois n’a pas été écrit avant le 19e
siècle.
En 1848, l’enseignement primaire en français est devenu obligatoire et gratuit, et à l’école il est interdit de parler patois. L’industrialisation, notamment dans les Montagnes, va attirer de nouvelles populations et l’arrivée du chemin de fer va favoriser la mobilité.
Les idées de la Révolution Française, qui a fait de l’élimination des dialectes un de ses articles de foi en les considérant comme des langues d’arriérés va faire le reste et porter un coup fatal aux dialectes neuchâtelois qui vont progressivement disparaître.

Le Montagnon

C’est le patois parlé dans les Montagnes neuchâteloises. Le Montagnon tel que l’a appris Joël Rilliot est une reconstitution d’après des textes, alors que dans la réalité, le patois se parlait plus qu’il ne s’écrivait.
C’est une langue rude, à la prononciation gutturale, sourde, assez nasillarde, ce qui explique les « tordements de bouche », pour reprendre le mot de notre conférencier. A bien des égards, il est plus rude et plus dur que les autres patois neuchâtelois.
Il se parle comme si on articulait des sons en étant enrhumé.
La prononciation est assez proche du français, les « tch » et « dj » remplacent d’ordinaire le « ch » ou le « j » français – on dit tchacon pour chacun et djamâ pour jamais, etc.
L’accent tonique, comme en français, tombe sur la dernière syllabe non muette, sauf quelques exceptions.
Certaines particularités grammaticales permettent de comprendre des fautes de langage qu’on entend encore aujourd’hui, notamment chez les enfants. Les temps composé se conjuguent avec le verbe être (on disait donc « je suis été ») tandis que les verbes réfléchis se conjuguaient avec l’auxiliaire avoir ( on disait « je m’ai coupé le doigt »).

Les noms de familles

Il n’ont pas échappé aux transformations dialectales et expliquent les variations orthographiques. On en retrouve des traces sur les actes anciens.

Ducommun changé en Ducmoû
Courvoisier Corvésì
Richard Ritché
Girard Dgiré
Robert Roboué
Humbert Omboué
Droz Droû
Sandoz Sandoû
Dubois Duboû
Vuille Vouye
Nüssbaum Nospom
Steiner Schtîn-neur
Dellenbach Talbac

Aujourd’hui

Tout ce qui nous reste du patois neuchâtelois, ce sont quelques textes, un recueil en prose et en vers de Wolfrath de1894, un manuscrit de Célestin Michelin-Bert, quelques tableaux phonétiques de Gauchat, le glossaire des patois romands…
Pourtant, depuis la mort officielle du patois neuchâtelois, il y a toujours eu des locuteurs : Alice Perrier, Jeanne Huguenin, Samuel Zwahlen, Lucien Louradour, Joël Rilliot et ses enfants…
Pourtant le patois persiste dans la toponymie (le Nid-du Crô, les Vignolants, la Poëta Raisse) ; dans les sobriquets villageois (Trîn-na niôla, Margoû, Bélin) ; dans les erreurs de français (je suis été ou chu été) ; dans le parler neuchâtelois sous forme francisée (brôler, cupesser, la dâr, pintoyer).
Et pour les les mots nouveaux ? Comment faire lorsqu’on parle une langue morte depuis 100 ans ? On procède par adaptation, comme cela chaque langue l’a fait de tout temps. L’ordinateur devient « ordenateu » et le portable « portabio ».

Conclusions

L’apprentissage du patois neuchâtelois permet une approche différente de l’histoire de notre région, une approche facilitée de la toponymie, un accès à des racines « perdues », une compréhension facilitée de tous les patois de l’aire franco-provençale, une  communication possible entre patoisants de divers canton (VD, VS, FR, JU) et avec la France limitrophe.

Pour en savoir plus, on peut consulter le site Internet http://patoisneuchatelois.net/patois_neuchatelois/Binvniu.html. 

De plus Monsieur Rilliot est disponible pour toute personne qui serait intéressée s’informer plus avant dans ce domaine.