Bulletin 50 / Août 2014

Alphonse François Lacroix (1799-1859)
Un Neuchâtelois missionnaire en Inde

par Lyle Flechter

En décembre 2013, Lyle FLECHTER, de Newport Beach, en Californie a sollicité la SNG pour obtenir des informations sur son arrière grand-oncle par alliance, Alphonse LACROIX, missionnaire neuchâtelois.
En 2007, Erika HUNTER, de Lerwick dans les Îles Shetland, s’était elle aussi intéressée à l’ascendance d’Alphonse Lacroix, le grand père de sa grand-mère. Elle avait alors sollicité l’aide de la SNG pour retrouver ses racines suisses.

Le texte suivant, qui nous a été envoyé par Lyle FLECHTER, est un résumé de la biographie écrite par Joseph MULLENS, gendre d’Alphonse LACROIX, intitulé « Brief memorials of the Rev. Alphonse François Lacroix » et publié en 1862.

Alphonse François Lacroix est né le 10 mai 1799 à Lignières. Il a été élevé depuis sa toute petite enfance par son oncle maternel, Jean Pierre Chanel, qui lui a donné “l’affection la plus tendre et la plus paternelle qui soit” et souhaitait le voir embrasser une carrière pastorale (5) [1]. Mais Alphonse voulait être soldat et sollicitait avec insistance la permission de s’enrôler dans un régiment suisse en France. “Devant ses demandes répétées et son insistance”, son oncle
finit par lui donner son accord “bien qu’à contre cœur”. 

Aussitôt, sac au dos, Alphonse se met en route pour Berne où il voulait s’enrôler (10-11). “En chemin, il fait un détour par Aarberg, afin de rendre visite à sa mère et prendre congé d’elle”. Charlotte Chanel, sa mère, l’a supplié, elle aussi, de ne pas s’enrôler, mais Alphonse reprend malgré tout sa route en direction de Berne (11). Pendant ce temps, son oncle priait. Alors qu’Alphonse approchait de sa destination, “brusquement, il lui sembla sentir une main sur son épaule et une voix résonna au plus profond de son cœur : ‘Que fais-tu ici ? Rebrousse chemin’. Il s’arrêta, obéit et se hâta sur le chemin du retour ; son dessein [de s’enrôler] s’était évaporé pour toujours. Se jetant dans les bras de son oncle en pleurant il s’écria : ‘Ah ! cher oncle, vous avez prié pour moi, je le sais. Vous m’avez rappelé vers vous et me voici !’. Il avait juste 15 ans” (12).

Charlotte Chanel, sa mère, n’avait pas épousé l’homme qui était le père d’Alphonse, un soldat français du nom de Lacroix. Pourtant, “la fièvre militaire coulait si fortement dans ses veines” qu’il avait fallu plus que les supplications d’un oncle dévoué ou de sa mère pour le détourner de la vie militaire (10).

Mais Alphonse était revenu, et dès ce moment, il poursuit son éducation chrétienne à “un plus haut degré”. Après avoir lu une biographie de Stilling [2], Alphonse “décida de se donner au Christ, son Sauveur, pour le servir comme son maître et se soumettre à sa divine volonté”. Le livre de Stilling “fut toujours un des livres favoris de M. Lacroix” (12-13).

Johann Heinrich Jung-Stilling avait ressenti si profondément en lui la puissance de Dieu qu’il en avait éprouvé non seulement un grand bonheur, “mais une invincible inclination à vivre et mourir en se consacrant entièrement à la gloire de Dieu et au bien de ses semblables. Son amour pour le Père des hommes et pour le Rédempteur divin, ainsi que pour tous ses semblables était si grand, à ce moment-là, qu’il aurait sacrifié sa vie avec joie si cela lui avait été demandé”.

Alphonse Lacroix ressent lui aussi un tel amour pour Dieu et pour les hommes, qu’il se met à apprendre le Bengali, afin de pouvoir enseigner le peuple indien dans sa propre langue. Mais parler leur langue ne lui suffit pas. Il veut les comprendre “de l’intérieur” et non comme un étranger, de façon à pouvoir toucher leurs cœurs avec plus de force.
Son autorité et sa voix puissante” alliées à “une prononciation claire et correcte du Bengali, et à un style attrayant” ont fait de lui “le prédicateur le plus éloquent en Bengali” de tout le pays. “Un domestique dit un jour à sa maîtresse que lorsque M. Lacroix prêchait, le cœur de tous les Bengalis tremblait”. (144-145).
Pour parvenir à son but, il utilisait des images simples. Si par exemple ses auditeurs voyaient un bateau mu par six rameurs, Lacroix leur expliquait qu’un cœur éclairé par l’Esprit de Dieu était comme six rameurs ramant tous ensemble à contre-courant pour amener le bateau à bon port, tandis que dans un cœur impie, les passions entraînaient le bateau toujours plus vite dans le sens du courant (154). Ou bien il comparait le paratonnerre (que ses auditeurs pouvaient voir sur la maison voisine) qui protégeait la maison d’éventuels dommages et de la destruction, au Sauveur prenant sur lui toute la souffrance de nos péchés (155). Il présentait ces images dans un “Bengali musical” et “les développait en images vivantes” qu’il accompagnait de “mimes, d’intonations de la voix et de gestes” et de tout ce qui était nécessaire pour les porter “jusqu’au cœur de ses auditeurs”. (156).
Lacroix sentait qu’il devait “ôter la cataracte qui gênait leur vision spirituelle en leur exposant les erreurs de leur système” puisqu’ils n’étaient pas “des chercheurs désireux de la vérité” (158). Il commençait par parler avec les gens des choses du quotidien qu’il savait les intéresser et attirait ensuite progressivement leur attention sur des thèmes plus spirituels. Il disait : “ils doivent être conduit vers ces sujets avec douceur, graduellement et de la manière la plus simple possible” (314-315).
La sympathie évidente qu’il avait pour eux, l’amour avec lequel il leur expliquait et leur montrait leurs erreurs, la façon dont il leur assurait qu’il pouvait leur offrir le vrai salut, suscitait la confiance et lui permettait de gagner les cœurs” (286).

En 1842-1843, il fit un voyage en Suisse, en France et en Angleterre [3]. Lors d’une réunion chrétienne, il parla de sa “détestation profonde de la bigoterie sectaire” et “du peu d’unité vraie et cordiale qu’il y avait entre les différentes dénominations chrétiennes”. Il ajouta “Tout l’esprit du christianisme est un esprit d’amour et de bonne volonté des uns envers les autres ; le Seigneur a clairement indiqué que la principale qualité de son peuple, celle qui devait la distinguer du monde, c’était l’amour qu’ils avaient les uns les autres.”. Mais les chrétiens sont “divisés pour des choses de très peu d’importance,” et ils laissent ces bagatelles “corrompre l’amour qu’ils ont les uns pour les autres” (210-211, emphase du texte original).
Son succès en tant que missionnaire en Inde pendant près de trente ans est éclipsé par l’exemple brillant de sa vie familiale. Une partie de la biographie de Lacroix, écrite par sa fille aînée, Hannah, est consacrée à ce aspect de sa vie.
Joseph Mullens, le mari de sa fille aînée, est l’auteur d’une biographie de Lacroix. Il écrit : “Parmi les joies de [Lacroix] dans la dernière partie de sa vie, je ne pense pas qu’il y en ait eu de plus grandes que les visites occasionnelles de sa fille, dont il se sentait si proche et dont l’amour qu’elle répandait autour d’elle réjouissait tant son cœur” (278).

Hannah commence ainsi l’hommage qu’elle rend à son père : “Mon père ! Mes lèvres tremblent et les larmes me montent aux yeux aujourd’hui encore quand je l’évoque ! Je l’aimais tant ! Tout en lui était si viril, et pourtant si doux, si sensible… Combien était grand ‘le flot d’amour constant qui ne connaissait aucune faille’” (331). Elle parle de l’amour de son père pour les petits enfants, même les tout-petits “tout frais sortis de la main de Dieu”, comme de l’incarnation des “choses les plus pures et les plus précieuses” chacun étant “aussi parfait que la fleur qui précède le fruit” (332).
Hannah disait qu’elle pouvait considérer “ses années de jeunesse en Inde comme une période de très grande joie et de bonheur sans tache.” Son père jouait avec eux, et “de ses mains pleines d’amour,” il leur fabriquait “des petits jouets”. Au lieu d’animaux “bruns et défraîchis, dans notre arche, nos tigres étaient verts, nos lions bleus et nos éléphants d’un rouge brillant !” (334-335). Elle raconte que son père souriait toujours. Il attirait leur attention sur l’humble fourmi, qui transportait quelques grains de sucre et leur faisait remarquer que “le majestueux éléphant n’avait même pas vu ces grains,” leur montrant par là comment certaines personnes ne savent pas tirer de plaisir des choses les plus simples (336-337).
Lacroix s’était pris d’amitié pour un soldat anglais “trop malade et trop faible pour marcher sans aide, qui se relevait à peine d’un accès de fièvre.” Il l’avait aidé et l’avait invité à venir lui rendre visite chez lui, quand il irait mieux. Ce “John Fergusson, ce soldat devint un de nos grands favoris, à nous les enfants” écrivit Hannah. Les enfants lui montrèrent leurs jouets et leurs trésors et lui firent la lecture (338-339).
Hannah dit de son père : “Dieu lui avait donné un physique puissant et un port majestueux, il avait une grande force de caractère, de l’intrépidité et un grand cœur : en un mot, toutes les vertus qui font un véritable homme.” Et elle ajoutait “ces grâces que l’on admire généralement comme féminines, la douceur, la pureté, le sens désintéressé du devoir et la prééminence de l’affection sur les passions paraient son caractère à égalité avec les autres qualités” et “il n’a jamais blessé sciemment les sentiments des autres” (341).
Il aimait raconter [à ses enfants] certaines de ses aventures personnelles, où Dieu était intervenu merveilleusement en sa faveur. Une fois, il avait bien failli être précipité d’une fenêtre, quand une main invisible l’avait tiré en arrière” (342).
Lacroix croyait que cette vie était “la porte de la vie au-delà” car nous choisissons nos punitions ou nos récompenses et notre identité éternelle et notre position dans la vie de l’au-delà par ces choix. Ainsi “les circonstances les plus insignifiantes étaient comme les cordes qui rendaient complète l’harmonie éternelle dont il avait l’habitude de dire qu’elle constituerait le bonheur de ciel” (344-345, 348).
Hannah ajoute : “Mon père était la vie et l’âme de chaque cercle social, et particulièrement du cercle sacré de la maison,” et c’est chez lui “qu’il a exercé ses talents comme un oiseau le fait de son chant, parce qu’il ne pouvait pas faire autrement” quand il était “entouré de personnes partageant les mêmes goûts” (349, 353).

Une lettre de Lacroix à sa fille Laura, en Angleterre, en dit long à ce sujet : “Ma très chère enfant, s’il y a au monde un lieu que tu puisses appeler ta maison, c’est chez des parents plein d’affection, dont le cœur est lié au tien que tu le trouveras ; ils seront en toutes circonstances plein de sympathie, les meilleurs, les plus sincères et les plus tendres amis, auxquels tu pourras à tout moment confier les sentiments de ton cœur, joies ou craintes.” Parlant de sa relation avec son Père céleste, il la met en garde : “les sentiments des meilleurs chrétiens eux-mêmes sont aussi fugitifs que les nuages dans le ciel et on ne peut pas s’y fier ; mais on peut s’appuyer sur la fidélité du Seigneur. Oui, Son amour est éternel et Il veut que tous Ses enfants rentrent à la maison.” (355-356).
Tous les enfants Lacroix, sauf Hannah, ont fait leurs études en Angleterre, et “l’un des plus grands plaisirs de ses dernières années était de nous voir réunis en un cercle intact dans ce foyer véritablement chrétien. Nous étions maintenant tous autour de lui, et il était heureux” (357) conclut Hannah.

(traduit par Françoise et Cécile Favre)

Notes

  1. Les chiffres entre parenthèses renvoient aux pages du livre « Brief memorials of the Rev. Alphonse François Lacroix « de Joseph Mullens consultable en ligne : https://archive.org/stream/briefmemorialsr00mullgoog#page/n6/mo de/2up
  2. The Autobiography of Heinrich Stilling, page 58, at https://archive.org/stream/autobiographyofh00jung#page/58/mode/2up.
    Note de la traductrice : Johann Heinrich Jung-Stilling (1740 – 1817) est un écrivain allemand. Élevé dans le piétisme, sa pensée évolua ensuite vers la théosophie. Il est l’auteur de nombreux travaux glorifiant le christianisme. Il est surtout connu par son autobiographie : « Heinrich Stillings Leben ». (Source Internet)
  3. Note de la traductrice : Ce furent les seules vacances qu’il s’accorda, avec sa famille, durant toute sa carrière.