Bulletin 50 / Août 2014

Charles Matthey-Henri, un missionnaire neuchâtelois à Madagascar et au Lessotho

En décembre 2013, Stuart et Tersia ROSS, qui vivent en Australie, adressaient à la SNG une demande d’entraide pour retrouver leurs ancêtres neuchâtelois. La biographie de Charles MATTHEY a pu être reconstituée grâce à la complicité de plusieurs acteurs : Tersia ROSS pour les recherches familiales et au Morija Museum & Archives au Lesotho, Paul et Françoise FAVRE aux Archives de l’Etat de Neuchâtel, Françoise PETTAVEL aux Archives de la Société des missions de Paris. L’article qui suit a donc été écrit à plusieurs mains…

Charles MATTHEY-HENRI [1] est né le 20 décembre 1877 à La Chaux-de-Fonds. C’est le second fils d’Auguste MATTHEY-HENRI de La Brévine et du Locle et de Sophie HUGUENIN-DUMITTAN.

Il fait des études à l’École normale évangélique de Peseux, qu’il complète par une année à l’Université de Neuchâtel où il obtient le brevet d’aptitude à l’enseignement. Il enseigne alors pendant une année à l’Ecole normale évangélique de Peseux [2]. Selon ce qui se raconte dans sa famille, « un jour d’hiver, alors que Charles n’était encore qu’un jeune homme, il faisait du bateau sur le lac de Neuchâtel avec un ami, quand s’est levée une tempête aussi violente que soudaine. Tandis que le vent les secouait dans leur petit bateau, menaçant de les jeter dans l’eau glacée, Charles se mit à prier. Il fit à Dieu la promesse de lui consacrer sa vie s’il survivait à cette tempête. Et c’est ainsi que Charles, qui était instituteur, est devenu missionnaire ».

En 1898 (il a 21 ans) Charles est engagé par la Société de Mission de Londres (LMS) qui l’envoie à Madagascar où il enseigne d’abord le français dans un collège de garçons à Tananarive, avant d’être amené à réorganiser l’École normale de la LMS à Ambatonakanga (Tananarive) qu’il dirigera jusqu’à la fin de l’année 1912 [3].

C’est là qu’il rencontre Grace Caroline PEAKE [4], la fille de George et Emilie PEAKE, missionnaires anglais de la LMS, à Madagascar depuis 1870. Charles et Grace se marient au mois de mai 1904 à Tananarive, et c’est là que naîtront leurs deux premiers enfants, Gabrielle (1905) et Hélène (1907). Leur troisième fille, Violette, est née en 1910 à Corcelles-Cormondrèche, sans doute pendant un congé. Charles va passer près de 15 ans à Madagascar, de 1898 à 1913. Durant son séjour sur la Grande Île, en plus de son travail d’enseignant, il est souvent appelé à prêcher. Il s’intéresse aussi à l’entomologie et écrit deux livres sur les papillons de Madagascar, qu’il illustre lui-même de dessins et de peintures.

Malheureusement, Charles souffre d’accès de malaria de plus en plus fréquents et son état de santé se dégrade. A la fin de l’année 1912, il a une attaque de pleurésie. La SML lui enjoint de quitter Madagascar et lui donne un congé de deux ans pour raison de santé. Il séjourne alors en Suisse, puis en Angleterre. Charles met à profit ce temps de convalescence pour lire beaucoup. Il entreprend en autodidacte une formation biblique et théologique et passe avec succès l’examen de théologie demandé par la LMS aux candidats  missionnaires qui n’ont pas fait d’études théologiques [5]. En 1913, il s’embarque pour New-York avec sa famille. Sur le registre maritime, il est inscrit en tant que « missionnaire à destination de Montréal ». C’est à Calgary, en Colombie Britannique, qu’il fera un stage de 18 mois comme « pasteur assistant », jusqu’en août 1915. Selon les lettres de recommandations retrouvées dans les archives de la Société des Missions de Paris (SMP), Charles « a été très estimé comme pasteur (…) il a fait un excellent travail
dans des circonstances nouvelles et difficiles pour lui ».

En automne 1915, sur la recommandation de son beau-père, il prend contact avec la Société des missions de Paris. Bien qu’il soit entièrement rétabli dans sa santé, comme en témoignent les différents certificats médicaux retrouvés dans les archives de la SMP [6], la Mission de Londres, considérant que le climat de Madagascar ne conviendrait pas à Charles, ne veut pas prendre le risque de le renvoyer là-bas, or elle n’a pas de poste à lui proposer ailleurs, alors que la SMP a des champs de mission au Lesotho, où le climat  conviendrait mieux à Charles. Celui-ci pose donc sa candidature pour un poste de directeur d’école au Lesotho. Le dossier conservé dans les archives de la SMP contient une abondante correspondance [7]. A travers toutes les lettres de Charles, on voit le souci qu’il a pour sa famille. La formule « après en avoir causé longuement avec Madame Matthey… » revient souvent. Il insiste pour que Gabrielle, qui vient tout juste d’avoir 10 ans, les accompagne au Lesotho, et obtient finalement une dérogation afin qu’elle soit placée dans un collège au Cap, plus près d’eux, et non en France comme c’était l’usage à cette époque [8]. Il s’enquiert de savoir s’il y aura un médecin proche « un homme ayant une petite famille tient naturellement à savoir si, le cas échéant, il peut compter sur les soins d’un docteur »[9]

La principale difficulté à son engagement réside dans le fait que Charles n’a pas fait d’études de théologie « classique » et n’a pas été consacré pasteur ce qui lui donnerait « une autorité incontestable » au Lesotho. Après bien des atermoiements, il sera finalement consacré le 11 janvier 1916 à Paris (à l’âge de 38 ans) juste avant de s’embarquer avec sa femme et ses trois petites filles le 9 février 1916.

La famille passe d’abord quelques semaines d’acclimatation à la paroisse d’Hermon, près du poste frontière actuel de Van Rooyen’s Gate sur la frontière occidentale. Puis en avril 1916, Charles est nommé directeur de l’Ecole normale « Thabeng » à Morija, une institution de l’Église du Basutoland, poste qu’il occupera durant 3 ans. En mars 1919, Charles est placé à la tête de la paroisse Qalo, tout au nord du Lesotho, comme responsable d’un travail plus vaste dans l’Eglise du district de Butha-Buthe. Plusieurs articles et rapports sur son travail sont publiés dans le « Journal des Missions évangéliques »[10]. A cette époque, il écrit deux petites brochures qui sont publiées par la SMP, « Francis, l’évangéliste mossouto » et « Ntate Mattheus ou le Père Matthieu ».

Au printemps 1921, alors qu’il se rend à une conférence missionnaire en Afrique du Sud, il tombe brusquement malade. Opéré de l’appendicite en urgence, il décède quelques jours plus tard, le 28 mai 1921, à Boksburg, à 44 ans. Après la disparition de son mari, Grâce et ses filles sont restées en Afrique du Sud où une partie de leurs descendants vivent encore…

Quant à Charles MATTHEY, que le Dr. Reuter, de Peseux, décrit dans une lettre à la SMP comme un « compatriote à l’apparence anglaise », les traces qu’il a laissé dans les différents dépôts d’archives consultés témoignent d’un homme fidèle à ses engagements, ouvert à la nouveauté, qui a su faire face à des situations parfois difficiles grâce à ses compétences multiples.

Notes

  1. Il utilisera toujours le patronyme simple MATTHEY.
  2. Lettre de Chs Matthey à la SMP, 7 octobre 1915.
  3. Idem.
  4. Née à Isoavina, près de Tananarive, où son père dirige une Ecole industrielle et sa mère une Ecole de filles (Source Internet – généalogie de la famille Peake)
  5. Lettre de Chs Matthey à la SMP du 7 octobre 1915.
  6. Bibliothèque et Archives de la SMP, 102 Boulevard Arago, Paris 11e.
  7. Parmi cette correspondance, en français et en anglais, se trouvent des lettres de Charles Matthey dans lesquelles il se présente et explique sa situation. On y trouve aussi des lettres de recommandations élogieuses et des certificats médicaux
  8. Lettre de Chs Matthey à la SMP du 28 octobre 1915.
  9. Idem.
  10. A consulter à la Bibliothèque de la SMP.