Bulletin 51 / Décembre 2014

Filiations célèbres des Dardel de Suède

par Robin Moschard

La famille DARDEL est mentionnée à Saint-Blaise dès le 16e siècle déjà. C’est avec Alexandre de DARDEL-LEWENHAUPT (1775-1863) (fils de David DARDEL-D’IVERNOIS (1740-1831) alors pasteur à Neuchâtel et reçu bourgeois de Neuchâtel en 1763, que l’on doit la branche suédoise [1]. Quant à sa sœur, Uranie DARDEL (1779-1863), elle épouse Paul-Louis Carbonnier (1763-1844) installé à Wavre, dont la descendance se reliera aux familles patriciennes neuchâteloises Du Pasquier, Robert-Tissot (branche des  industriels FHF), De Merveilleux, Röthlisberger (branche des artistes de Wavre), De Meuron, De Montmollin [2].

Pour revenir à Alexandre sur les circonstances de son attachement à la Suède, il rejoint d’abord le Régiment de Meuron à Madras en 1798. Capitaine en 1803, il voyage sous cette qualité en Suède où il est engagé au recrutement en prévision de l’expédition Nelson en mer Baltique. En 1808, il se marie avec Sophie Lewenhaupt (1778-1858) née à Stockholm et décédée à Neuchâtel, issue de la haute aristocratie suédoise.
Le roi de Suède Charles XIII a anoblit Alexandre en 1810 et l’a agrégé à la noblesse suédoise en 1812. Pour l’anoblir, on aurait dû lui reconnaître des services rendus à la Suède, mais n’y en avait pas puisqu’il avait surtout travaillé pour les Anglais. Aussi dans sa lettre d’anoblissement l’est-il pour services rendu au Roi d’Angleterre, sous le nom Dardel tout court. Cette noblesse est reconnue par le Roi de Prusse et Prince de Neuchâtel en 1816, et est entérinée en 1818. Cet anoblissement lui a valu ainsi qu’à sa descendance le préfixe von ou de. Le choix est laissé entre von Dardel, de Dardel ou Dardel.
En 1816, Alexandre de Dardel-Lewenhaupt rentre à Saint-Blaise avec sa famille et s’y établit définitivement. Son fils Fritz de Dardel-Silfverskjöld (1817-1901) lieutenant-colonel, artiste et mémorialiste né à Neuchâtel et décédé à Stockholm, s’installe en Suède et devient l’auteur de la branche suédoise avec ses sept enfants tous nés à Stockholm [3].

Le fils aîné, Frédéric de Dardel-Norlin (1847-1943), propriétaire terrien en Suède, a trois enfants dont :
Fredrik de Dardel-Wising (1885-1979), notaire et directeur de l’hôpital Karolinska, qui épouse, en 1918, Maria Sofia (dite Maj) Wising (1891-1979) veuve de Raoul Wallenberg père (1888-1912) officier de la marine suédoise. Ils s’étaient mariés en 1912, mais Raoul meurt 3 mois avant la naissance de son fils unique prénommé aussi Raoul, qui suit [4]:

Raoul Wallenberg le Juste (1912-1947) est né le 4 août 1912 à Kappsta près de Stockholm, est issu d’une des plus puissante famille suédoise d’industriels et de financiers.
Après des études d’architectures aux Etats-Unis en 1931, il séjourne en Afrique du Sud pour une compagnie suédoise, puis à Haïfa pour le compte d’une banque, et revient en Suède en 1936 où il travaille dans une compagnie d’import-export.
Pour la suite, Simon Wiesenthal dans son ouvrage « Justice n’est pas vengeance » écrit : « En 1944, à la suite de nombreuses informations révélant le génocide dont les juifs étaient victimes, le président Roosevelt avait demandé au War Refugee Board de faire tout son possible pour aider au moins les juifs hongrois auxquels la solution finale commençait tout juste à être appliquée. Les Etats-Unis se trouvant en état de guerre avec la Hongrie, il fallait trouver un intermédiaire relevant d’un état neutre, la Suède. L’ambassadeur américain en Suède, Herrschel Johnson, s’adressa alors à Raoul Wallenberg qu’il connaissait personnellement, et lui demanda s’il était prêt à se charger de cette dangereuse mission qu’il accepta ».

Le 9 juillet 1944, il se rendit à Budapest avec le statut de secrétaire de l’ambassade de Suède en Hongrie. Sur place, il constata que les Allemands, sentant leur défaite approcher, déportaient depuis quelques mois massivement les juifs au rythme de 12’000 par jour, principalement à Auschwitz.
Dès lors, Raoul Wallenberg appliqua la méthode des sauf-conduits qui consistait à imprimer des passeports de protection qui faisaient passer leurs porteurs comme sujets suédois en instance d’être rapatriés dans ce pays, les empêchant ainsi d’être déportés.

Parmi les nombreuses personnes qui ont aidé Wallenberg, on peut citer les Suisses Carl Lutz (1895-1975) vice-consul suisse à Budapest, et Friedrich Born (1903- 1963) délégué au CICR à Budapest.
On estime que par sa méthode, il sauva entre 30’000 et 100’000 juifs hongrois de Budapest durant l’automne 1944.
Le 16 janvier 1945, l’Armée rouge entra à Budapest, et le lendemain 17 janvier, Wallenberg fut intercepté et remis au maréchal russe Rodion Malinovski (1898-1967) qui le soupçonna d’être un espion au service des Etats-Unis.
A partir de cette date, il n’y a eut plus aucun signe de vie de lui. Des recherches ont été faites. En vain.

C’est seulement 55 ans plus tard, en 2000, que l’énigme s’éclaire. Dans L’Express du 29 novembre 2000, on peut lire l’article suivant : 

« La Russie de Vladimir Poutine s’apprête à réhabiliter la plus célèbre victime occidentale des purges soviétiques : le diplomate suédois Raoul Wallenberg. Une commission russe vient d’en reconnaître l’exécution par le KGB en 1947. Le diplomate a été exécuté dans la prison du quartier général du KGB à Moscou, a reconnu hier la Commission russe pour la réhabilitation des victimes de la répression politique. En 1944 à Budapest, Raoul Wallenberg avait sauvé des milliers de juifs hongrois » [5].
En raison de son rôle exceptionnel pendant la Shoah, l’Etat d’Israël a accordé à Wallenberg le titre de Juste parmi les nations. Il a été aussi fait citoyen d’honneur des Etats-Unis (1981), du Canada et de la Hongrie. Sa mémoire est honorée par de nombreux monuments, rues, parcs, comités et instituts qui portent son nom de par le monde.

De son remariage en 1918 avec Fredrik de Dardel, Maj Wising a deux enfants :

  • Guy de DARDEL-JUNGSTEDT (1919-2009) physicien au CERN, et
  • Nina de DARDEL (1921- ) alliée LAGERGREN, dont une fille
    • Nane Maria LAGERGREN épouse de Kofi ANNAN [6].

Kofi Annan le Neuchâtelois

Dans un article de David Joly paru dans l’Express du 3 novembre 2008, « Kofi Annan honoré pour sa défense de la justice et du droit sur la force », on peut en résumer ainsi le contenu :

Kofi Annan a été élevé le 1er novembre 2008 au rang de docteur honoris causa lors du Dies academicus de l’Université de Neuchâtel. Quelque 550 invités ont rendu hommage à l’engagement de l’ancien secrétaire général des Nations Unies entre 1997 et 2006.
Son engagement inconditionnel « contre la culture de l’impunité » s’est notamment traduit par un soutien sans faille à la création de la Cour pénal internationale. Ainsi, il a su redonner un second souffle à l’ONU, ce qui lui a valu l’attribution du prix Nobel de la paix en 2001.
« Bien sûr, pour moi les racines sont importantes, mais je n’étais jamais venu à Neuchâtel.
J’attendais peut-être que ma femme m’y emmène ? » Avec la modestie qui sied aux grands personnages, Kofi Annan évoque au terme de la cérémonie les origines neuchâteloises de son épouse suédoise, Nane Marie Lagergren, avocate et artiste, descendante de la famille Dardel de Saint-Blaise.
« Oh, cela fait tout de même 200 ans que mon aïeul a quitté la Suisse », observe l’intéressée dans un français parfait. Et de citer Georges-Alexandre Dardel (1775-1863), capitaine au service de l’Angleterre, anobli en Suède en 1810, ainsi que son fils, Louis-Frédéric de Dardel (1817-1901), chambellan du roi de Suède et artiste peintre.
Des origines que celle qui partage la vie de Kofi Annan depuis 25 ans dit particulièrement chérir ». 

Notes

  1. – Jean-Paul Dardel, La famille Dardel issue de Jehan, meunier en 1513 à Saint-Blaise (NE), 1999, p. 173-174, 178, 184.
    – Alexandre de DARDEL-LEWENHAUPT (1775-1863) [Dardel, X/g, n°374, p.165].
  2. – Robin Moschard, Généalogie des artistes Röthlisberger de Wavre (NE), Bulletin de la SNG n° 30/2006, p.8-16
    – Robin Moschard, Généalogie Robert-Tissot, industriels FHF à Fontainemelon (NE), Bulletin de la SNG n° 36/2008, p.21-31, et n° 37/2009, p.12-21
  3. – Alexandre de Dardel-Lewenhaupt (1775-1863) [Dardel, X/g, n°374, p.165-168, 158-159]
    – Fritz de Dardel-Silfverskjöld (1817-1901) [Dardel, XI/Ng, n°444, p.169]
  4. – Frédéric de DARDEL-NORLIN (1847-1943) [Dardel, XII/Ng1, n°515, p.173]
    – Fredrik de DARDEL-WISING-(WALLENBERG) (1885-1979) [Dardel, XIII/Ng1, n°646, p.174]
  5. – Fredrik de DARDEL-WISING-(WALLENBERG) (1885-1979) [Dardel, XIII/Ng1, n°646, p.174]
    – Simon Wiesenthal, Justice n’est pas vengeance, éd. R. Laffont 1989, chapitre 22, p.198-210
    – L’Express, 29.11.2000 : « Russie, Wallenberg sera réhabilité »
  6. – Guy de DARDEL-JUNGSTEDT (1919-2009) [Dardel, XlV/Ng1, n°765, p.178]
    – Nina de DARDEL (1921- ) alliée LAGERGREN [Dardel, XlV/Ng1, n°766, p.178]
    – L’Express, 03.11.2008, David Joly, « Kofi Annan le Neuchâtelois »
    – L’Express, 03.11.2008, David Joly, « Kofi Annan honoré pour sa défense de la justice et du droit sur la force »

Autres sources

  • Gilbert Joseph, Mission sans retour, l’affaire Wallenberg, éd. A. Michel 1982
  • Eric Bungener, Filiations Protestantes, Volume ll-Suisse, Tome 1, éd. Familiales 1999, p.232-233
  • Lamont Johnson, Wallenberg : L’histoire d’un héros, 1985, avec Richard Chamberlain (film)

Robin Moschard, Neuchâtel, juin 2013