Bulletin 59 / Février 2019

Mémoires de la communauté israélite de La Chaux-de-Fonds

par Denise Bovet

Le 13 août dernier, dans le cadre de nos rencontres programmées, nous avons eu le plaisir d’entendre Denise Bovet nous entretenir du livre qu’elle a écrit en collaboration avec Danielle Golan-Meyer. Membres de la communauté juive de La Chaux-de-Fonds, elles ont eu l’idée de réunir quelques brins d’histoire en s’entretenant avec les anciens, dans le but de rassembler les souvenirs qu’ils ont évoqués avec, pour but, de les sauver de l’oubli. Avec Denise Bovet nous avons eu le plaisir de nous retrouver en plein dans le passé en
lien avec la communauté juive et le développement de la Ville de La Chaux-de-Fonds. Elle a rédigé personnellement un résumé de sa conférence pour votre information, par l’intermédiaire de notre bulletin.

Les personnes qui seraient intéressées par cet ouvrage peuvent sans autres s’adresser au rédacteur.

Pourquoi des Mémoires ?

La communauté israélite à La Chaux-de-Fonds a été une communauté importante au début du XXème siècle et comptait alors plus de 1000 membres. Depuis les années cinquante, elle n’a cessé de décliner et est réduite aujourd’hui à une petite centaine de membres. Afin que le souvenir d’une communauté dynamique, qui a contribué de manière essentielle au rayonnement de La Chaux-de-Fonds, ne disparaisse pas nous avons interrogés ses aînés, témoins de son passé. En recueillant ainsi les Mémoires de la Communauté nous n’avions pas d’autre ambition que d’être des «passeurs» de souvenirs, sans prétendre à la vérité historique. Comme toutes mémoires, celles-ci comportent bien sûr des inexactitudes ou des trous. Surtout elles sont subjectives et c’est ce qui en fait l’intérêt. Le livre des Mémoires contient le compte rendu des entretiens qui ont été enregistrés, retranscrits mot à mot puis retravaillés pour les rendre lisibles tout en conservant leur esprit. En plus des entretiens, nous avons également recueilli des témoignages écrits par des membres de la famille des disparus.

Nous avons ainsi 35 éclairages différents de la vie communautaire pour une période allant grosso modo de 1920 à 1965, éclairages balisés par les questions suivantes :

  1. Origine des familles
  2. Circonstance de leur venue
  3. Expérience dans la communauté
  4. Nature de leurs relations avec la ville.

Histoire de la Communauté

Du XVème au XIXème les Juifs n’étaient pas autorisés à s’établir en Suisse (sinon dans deux petites communes du canton d’Argovie, Lengnau et Endingen). L’histoire de la communauté de La Chaux-de-Fonds commence ainsi en 1833, date de sa fondation. Tout le XIXème a été marqué par une alternance d’acceptations et de refus ; pas de droit d’établissement avant 1857, manifestations antisémites en 1861 (certains membres de la communauté ont alors préféré quitter La Chaux-de-Fonds) mais finalement il y a eu une amélioration des conditions politiques jusqu’en 1874, année où les juifs ont finalement été reconnus comme citoyens égaux, avec droit d’établissement et liberté de religion. Malgré les difficultés, la population juive est passée de 65 personnes en 1844 à près de mille en 1900.

La communauté a été constituée par plusieurs vagues d’immigrations successives: tout d’abord au cours du XIXème siècle celle (la plus importante) des juifs venant d’Alsace, puis au début du XXème siècle celle des juifs fuyant les pogroms dans les pays de l’Est.  Pendant la deuxième guerre mondiale, quelques juifs ont trouvé refuge en Suisse et à La Chaux-de-Fonds. Finalement, au début des années soixante, les juifs ont été chassés des pays arabes et quelques-uns se sont installés en Suisse et à La Chaux-de-Fonds.

Du colportage aux industries et aux commerces

Les premiers arrivants ont importé les métiers qu’ils pratiquaient dans leur pays d’origine, l’Alsace. Beaucoup étaient tailleurs, marchands de bétail, colporteurs. Les montres, étant des objets petits et légers, se prêtaient particulièrement bien au colportage. A partir de là se sont développés des commerces prospères (Au Printemps, Excelsior, Au Bon Génie, Meubles Leitenberg, Combustibles Meyer-Franck, La Semeuse et d’autres) et des industries horlogères prestigieuses (Movado, Vulcain, Marvin, Invicta, Ebel, Invar, Rotary, Tavannes Watch, Election, Cyma, etc). Fin du XIX, début du XXème siècle le succès économique du patronat horloger juif a été éclatant, car il avait passé facilement du système d’établissage à la production en usine. De plus, il possédait un vaste réseau commercial, il pouvait se passer souvent d’intermédiaires, ses représentants voyageaient beaucoup et connaissaient de ce fait les besoins et les goûts des consommateurs. On apprend, à travers les entretiens des Mémoires, qu’il y avait deux boucheries casher à La Chaux-de-Fonds, que par crainte d’une invasion nazie la direction d’une usine avait été confiée à un non-juif, que l’esperanto avait fait son apparition dans les Montagnes neuchâteloises par le canal de la communauté. On y découvre aussi les aléas de la vie ordinaire, le déroulement des cultes, les relations avec le rabbin, les spectacles mis en place pour les fêtes et parfois la difficulté à intégrer pleinement les nouveaux venus.

Une ville dans la ville : bienfaisance et mécénat

La communauté s’est rapidement dotée de plusieurs associations de bienfaisance. Elle a joué aussi un rôle très important dans le mécénat. Ainsi que l’a dit l’un de nos interlocuteurs : « Les juifs avaient de l’argent et ils en ont fait profiter tout le monde ». Les  membres de la communauté ont encouragé les sociétés sportives et ont été les promoteurs de sports nouveaux tels l’escrime ou le tennis. Surtout ils ont soutenu le théâtre et donné l’impulsion nécessaire à la création du Musée International d’Horlogerie en faisant partie de ses principaux mécènes.

Tous ces industriels ont également épaulé des artistes tels Charles Humbert qui a peint Yvonne Schwob à de nombreuses reprises. Plusieurs recevaient chez eux intellectuels, peintres, musiciens, écrivains, créant ainsi des lieux d’extrême émulation. De cette période subsistent de nos jours la salle de musique, l’une des meilleures d’Europe, ainsi que la programmation de concerts exceptionnels. Ceci grâce en particulier à Georges Schwob, pianiste lui-même, amis des plus grands interprètes tels Bakhaus, Haskil, Lipatti, Ansermet, Rubinstein et d’autres. Le grand violoniste Henryk Szering a d’ailleurs écrit à son sujet: « C’est Georges Schwob qui a inscrit le nom de La Chaux-de-Fonds sur la carte mondiale de la musique ».

Une histoire de réussite

L’histoire de la communauté est un exemple emblématique de réussite et d’intégration d’une communauté et de son acceptation par un milieu qui l’avait rejetée dans un premier temps. La synagogue est la marque tangible de ce succès. Une des plus grandes  synagogues de Suisse et peut-être la plus belle, elle a été inaugurée en 1896. Ce bâtiment témoigne de la vitalité de cette communauté, de la volonté qu’elle a eue de contribuer au développement de la ville en construisant un joyau architectural. Ce bâtiment témoigne également de l’acceptation par La Chaux-de-Fonds d’une présence juive, puisque que le bâtiment a été érigé au centre de la ville, près de la gare.

Repères généalogiques

Bien des familles juives établies à La Chaux-de-Fonds depuis le milieu du XIXème siècle partagent les unes avec les autres des ancêtres communs. L’endogamie, la transcription erronée des patronymes, les changements volontaires de nom, font qu’il est parfois difficile de s’y retrouver et de suivre le cheminement qui mène de la tante de l’un au grand-père de l’autre ! Pour nous permettre de nous y retrouver, nous avons établi un arbre succinct de certaines des familles figurant dans les Mémoires. L’arbre est basé sur des informations personnelles et sur un remarquable document dans lequel sont compilés plus de 3000 noms. Cet arbre n’est pas retranscrit ici car trop imposant, par conséquent illisible dans le format du bulletin.