Bulletin 60 / Décembre 2019

Albert JUVET, Emilie LANGUTH
et leur beau-frère et frère au lourd passé

par Marie-Claude Pinguet

Sans aller jusqu’à penser comme La Bruyère que “Tout homme descend à la fois d’un roi et d’un pendu”, des destins peu ordinaires permettent de sortir du monde de ceux sur lesquels on sait bien peu de ce que furent réellement leurs vies.

 

Albert JUVET et les siens

Avant de venir travailler à Besançon, Albert JUVET tout comme son frère Louis Henri et leur sœur décédée à un an étaient natifs de Fleurier mais originaires de Buttes, là-même où s’étaient mariés leurs parents, Louis Théophile et Virginie Marianne Henriette BERTHOUD-ESAÏE en 1838. Les deux garçons ont 5 et 3 ans lorsque leur mère meurt le 28 avril 1845. Le père se remarie avec Marie Henriette JUVET-CHASSEUR le 6 mars 1847. Il n’a que 32 ans lorsqu’il décède de phtisie pulmonaire le 25 août suivant.

Nous ne savons rien de la situation des deux orphelins avant de rencontrer Albert à Besançon (Doubs). C’est le 12 octobre 1868, au moment où il se reconnaît père d’un enfant, Henri Albert. Enfant qu’il va légitimer en épousant la mère Marianne Emilie LAMGOUTT/ LANGUTH deux ans plus tard le 21 août 1870 alors qu’elle s’apprête à donner naissance à un second fils Léon le 2 septembre suivant. Père et mère sont horlogers. La famille s’agrandit encore avec Adèle le 23 juillet 1873, Léopold le 3 février 1875, Charles Edouard le 13 mai 1877 et Louise Agathe le 20 juin 1878. Tous nés à Besançon. Pour la petite dernière, témoigne son oncle paternel Henri JUVET signant Hri Juvet, qu’on dit aussi horloger demeurant à Besançon.

Après 1878, on perd la trace de cette famille à Besançon. Ne voir aucun des garçons faire l’objet d’un recrutement annuel militaire dans le Doubs, laisse penser qu’ils ont quitté la région avant 1888.

C’est le 2 mai 1893, qu’on les retrouve à la Chaux-de-Fonds quand Henri Albert, l’aîné qui est remonteur, épouse Marie Juliette von AESCH. Cinq ans plus tard, après avoir divorcé, il se remarie avec sa belle-sœur Laure Fanny von AESCH. Il meurt le 29 février 1948 à l’âge de 79 ans.

Marié le 7 février 1896 à La Chaux-de-Fonds avec Eugénie Suzanne JACCOUD, Léon JUVET, second de la fratrie, n’a que 33 ans lorsque la tuberculose l’emporte le 13 janvier 1904. Il était horloger repasseur.

C’est le 11 mai 1900 que Léopold, horloger également, s’unit à Payerne (VD) avec Nancy MORATTEL. Lui aussi connaît, comme son frère Léon, un décès prématuré dû à la tuberculose à l’âge de 30 ans le 22 mai 1905 à La Chaux-de-Fonds.

Louise Agathe a 89 ans lorsqu’elle meurt à Perreux le 16 juin 1968.

On ne sait pas ce que sont devenus Adèle et Charles Edouard. En revanche, dans les descendances d’Henri, Léon et Léopold, les générations suivantes témoignent d’une dispersion géographique largement hors du canton de Neuchâtel.

Albert JUVET s’était éteint à Perreux le 22 janvier 1927, à l’âge de 84 ans. Son épouse Emilie l’avait précédé le 19 avril 1909 à La Chaux-de-Fonds, succombant à une bronchite aigüe.

 

Marianne Emilie LANGUTH

Si elle meurt sous le nom de LANGUTH, elle était née à Beaucourt (Territoire-de-Belfort) le 21 novembre 1846 et s’était mariée sous celui de LAMGOUTT. Son père signait alors Languth comme son aïeul Wilhelm LANGUTH qui, né à Stuttgart (Allemagne), était venu au début du XIXe siècle à Beaucourt à proximité de Montbéliard, après avoir transité par Baden (AG) et Dietikon (ZH). Selon les capacités du scribe français du lieu de déclaration à écrire les mots allemands, ce patronyme prend de multiples graphies. Lorsque l’écriture germanique est connue par les scribes, les noms ont des formes comme Languth, Langgütt, Lamgütt, Lanngutt. Ceux des enfants nés dans la localité voisine de Montbouton (Territoire-de-Belfort), comme ceux nés à L’Isle-sur-le-Doubs (Doubs), voient leurs noms écrits en Langout(t)e, Langouthe, Langouth. Mais parfois la graphie change selon les actes. Sa régularisation ultérieure interviendra en France lors de la création des livrets de famille en 1876.

Les parents d’Emilie, François LANGUTH et Victoire DUCHÊNE avaient rejoint Besançon comme d’autres frères et sœur, devenant horlogers ou horlogères. Comme Emilie, Joseph Emile était né à Beaucourt le 5 mai 1844, tandis que Julien Auguste avait vu le jour le 23 octobre 1848 à L’Isle-sur-le Doubs (Doubs) et Armand Auguste à Besançon.

A la mort de leur mère le 28 avril 1861,  Joseph Emile a 17 ans, Emilie 15 ans, Julien Auguste 13 ans. Armand Auguste n’a que trois ans. Le père se remarie trois ans plus tard mais n’aura pas d’enfant de sa seconde épouse. Julien Emile, horloger, deviendra fabricant d’horlogerie, voyageur de commerce en horlogerie puis négociant. Julien Auguste, d’horloger à l’occasion, sera marchand fripier, puis antiquaire.

Et puis, Armand Auguste…

 

Un frère au passé encombrant

Armand Auguste LAMGUTH [1], né le 22 avril 1859 à Besançon, fréquente l’école, sait lire et écrire. Il fait un apprentissage de repasseur en horlogerie mais la surveillance parentale laisse beaucoup à désirer. C’est une forte tête, ses mauvaises fréquentations, le fait que la seconde épouse du père le déteste  font que les punitions vont s’enchaîner et se multiplier au fil des ans.

Dès avant 14 ans, il commence à faire parler de lui en soustrayant frau­duleusement différents objets au préjudice de plusieurs personnes. Le 24 janvier 1873, le Tribunal correctionnel de Besançon, considérant qu’il a agi sans discernement, l’acquitte mais ordonne qu’il soit envoyé dans une maison de correction jusqu’à l’âge de 15 ans. Ce sera la maison de correction de Bellevaux à Besançon, puis la colonie pénitentiaire de Citeaux (Côte-d’Or). Correction inefficace puisque, dès sa sortie, le 26 septembre 1874, il écope de 15 jours de prison à Besançon pour avoir frauduleusement acheté avec deux pièces gros­sièrement imitées des pêches et un écheveau de fil à une épicière. En 1877, il exporte ses activités illicites hors du Doubs. Le 30 janvier 1877 à Dôle (Jura), un nouveau vol l’envoie séjourner en prison pendant un mois [2]. Alors qu’il est sans domicile fixe, le 16 mars 1877 à Mâcon (Saône-et-Loire) avec un complice, il soustrait frau­duleusement une bague en or à un individu resté inconnu. Le Tribunal correctionnel de la ville le condamne à trois mois de prison le 26 mars suivant. Peine qu’il accomplit à la prison de Châlons-sur-Saône (Saône-et-Loire). Si certains jugements signalés par la fiche de transportation n’ont pas été trouvés, on sait que le condamné a été transféré en 1877 pendant un mois de la maison d’arrêt et de justice de Besançon à la Maison Centrale de Clairvaux (Aube).

Et cet habitué des geôles n’en reste pas là. De retour à Besançon, il passe avec un coaccusé en Cour d’assises le 1er avril 1879 pour s’être rendu complice de différents vols et recels d’objets et sommes d’argent. Les antécédents d’Armand LAMGUTH conduisent à ce que les mêmes méfaits donnent à son acolyte cinq ans de prison tandis que lui est condamné à six ans de travaux forcés et dix ans de surveillance.

Destination : la Nouvelle Calédonie où un bagne a été institué depuis 1863.

Le 24 avril 1879 il est transféré au dépôt des travaux forcés de La Rochelle (Charente-Maritime). Il embarque probablement au port de Saint-Martin-de-Ré (Charente-Maritime) sur le voilier La Loire, enfermé dans une cage en fer avec quelques 80 autres hommes, pour un voyage qui va durer plus de 100 jours avant d’arriver le 30 septembre 1879 à la colonie pénitentiaire et d’être dirigé comme les autres condamnés aux travaux forcés vers l’île Nou face à Nouméa.

Six ans passent…en 1885, alors que libéré, il est astreint à résider sur place, Armand LAMGUTH est une nouvelle fois condamné aux travaux forcés par le Conseil de guerre de Nouméa, pour outrages par paroles à un surveillant militaire dans l’exercice de ses fonctions

Et les récidives et les condamnations vont sans relâche se succéder, parfois même se juxtaposer tout au long de 50 années d’insoumission passées sur cette terre lointaine de grande punition.

La mort le libère le 13 avril 1930 à Nouméa. Resté célibataire on le dit toujours horloger domicilié à Besançon. Cet incorrigible multirécidiviste, que l’accumulation des punitions n’a nullement régénéré avait alors 71 ans.

Armand LAMGUTH était un cousin germain de mon grand-père maternel Louis LANGOUTTE, né la même année que lui à un mois d’intervalle à Besançon.

Si les agissements de ce frère n’ont pu être ignorés des membres de sa fratrie demeurant sur place au moment des faits et de son père qui ne meurt qu’en 1881, on peut penser que l’information de la famille se soit arrêtée au procès de Besançon.

Qu’est-ce qui prédispose dans une famille à ce que l’un des membres ne devienne celui qui a mal tourné comme on le dit communément ? Mais aussi celui qui, par sa destinée hors du commun, présente bien des décennies plus tard un intérêt pour le chercheur qui cousine avec lui. Je comprends néanmoins que ma curiosité intellectuelle puisse heurter mes lointains cousins JUVET qui préféreraient peut-être l’ignorance à la révélation d’un passé encombrant.

Marie-Claude Pinguet

 

Merci à Michel Kreis pour la mise en ligne de ses données, pour sa disponibilité et ses conseils.

 

Sources ; archives neuchâteloises ; archives départementales et municipales fran­çaises ; archives nationales d’outre-mer (ANOM) sur le site : anom.archivesnationales.culture.gouv.

 

 

Notes

  1. Nous gardons cette graphie qui est permanente dans tous les documents consultés qui lui sont relatifs
  2. L’information issue de la fiche matricule de transportation n’a pu être complétée en raison de lacunes dans les minutes de jugements correctionnels et les registres d’écrou portant sur l’année 1877 aux archives françaises du Jura.