Bulletin 11 / Juillet 1998

Journal de Paul Quartier-la-Tente - Partie 2

Journal de Paul Quartier-la-Tente, des Brenets, habitant aux Eplatures

(Suite et fin)

L’orthographe, les abréviations et la ponctuation de Quartier-la-Tente ont été respectées.

1850

Janvier 1850

8 janvier : Incendie de la caserne à Neuchâtel, ce sont les réfugiés Polonais qui y ont mis le feu.

Février 1850

6 février : La ville de Neuchâtel a été menacée d’incendie, les pompes on[t] dû être dans la rue toute la nuit.

7 février : Bonne nouvelle pour nous

Mars 1850

5 mars : Reçu l’impôt personnel et industriel.

10 mars : Le terrain était presque visible partout ; j’ai cueilli des perce-neige.

12 mars : Le fils Guinzer nous a cassé 3 carreaux ; il a manqué de me tuer.

Avril 1850

2 avril : Révolution des graveurs.

7 avril : On a battu M. Renaud et M. André. D’autres ont aussi battu M. André de Valangin et un autre royaliste à Boinod.

Le même jour, ils ont chanté la Marseillaise autour du temple à Neuchâtel pendant le service divin.

22 avril : On a pris Guinzer, il volait à la Chaux-de-Fonds pendant que l’on criait au feu au Locle.

23 avril : Payé 5 écus de Brabant [1] d’impôt à ces voleurs.

Juin 1850

1 juin : Signé pour notre cher Roi.

21 juin : Signé pour notre bonne Reine.

Juillet 1850

Le Tir Fédéral a commencé le 21 pour finir le 23. Le temps les a favorisés. Il n’en a pas été de même de la fête de gymnastique.

Dans la nuit du 23 au 24, la pluie et le vent ont tout gâté. Ils ont mis un drapeau sur le plus haut sapin des Crosettes, 2 au haut des sapins vers chez nous (Charrière). La colonne est arrivée le 23 à 3 ½ heures, les cadets et 4 cavaliers en tête, environ 9 à 10 cents gymnastes et autant de citoyens, des musiques, des tambours et 22 drapeaux qui flottent tous à l’Hôtel de ville. Il y en a 15 étrangers. C’était bien triste de se voir envahi par tant de vauriens. Chez le préfet ont enveloppé 4 vases avec du papier blanc et attaché avec du ruban rouge. Il y avait encore 90 à 100 drapeaux sans compter les étrangers.

21 juillet : Il a plu le vendredi soir et le samedi jusqu’à midi, ils sont partis dans la soirée.

23 juillet : Nous avons reçu une jolie et bonne nouvelle de notre très cher Roi.

Août 1850

15 août : Grande revue.

27 août : Révision de l’assurance des immeubles. Obligé d’assurer au pays et ces brigands mettent la moitié de ce que les maisons valent et assurent encore au 7/8. – Voilà la liberté de la République.

Septembre 1850

19 septembre : Payé l’impôt 5 Barbants.

22 septembre : On s’est battu à la Combe [2], de minuit à 3 heures du matin, les Rouges et les Républicains pour la municipalité.

25 septembre : Une espèce de timbre poste. [3]

26 septembre : La municipalité a été proclamée au Locle, le Grand Conseil l’a ratifiée.

29 septembre : Nos républicains sont allés à Neuchâtel pour déterrer 2 voleurs de pays morts aux prisons de Neuchâtel en 1831, nommés Dubois et Petitpierre. – Ils veulent leur ériger des monuments, – c’est cela qui sera joli.

Octobre 1850

1er octobre : Le timbre poste a commencé le 1er du mois. 2 ½ Rappen au-dessous d’une once, 5 Rappen [4] de 1 à 2 onces et 10 Rappen [5] de 2 à 4 onces, ainsi de suite.

Novembre 1850

6 novembre : Gueulé la rouge toute la nuit.

10 novembre : Le Général Radetzki [6] en médiation.

23 novembre : On a reçu une bonne nouvelle de notre bien-aimé Roi.

1851

Janvier 1851

11, 12, 13 janvier : Grande révolution au Vallon de St-Imier contre le Gouvernement conservateur. Ils ont brisé les fenêtres d’un magistrat de St-Imier. La maison a été cernée depuis dimanche 12 courant jusqu’au lundi matin 4 à 7 heures où ces effrénés sont allés planter un arbre de liberté, ce qui a fait qu’il a pu se sauver à la Chaux-de-Fonds avec plusieurs Conservateurs. Cet arbre est tombé sur un Républicain et l’a tué. Un conservateur qui descendait de sa glisse (traîneau) devant sa maison a été assailli par cette horde. On désespère de ses jours. Son fils qui a voulu le secourir a les nerfs des doigts coupés.

Ils voulaient brûler M. Gouvernon, pharmacien, mais 32 des Rois bien déterminés l’ont sauvé.

26 janvier : On s’est battu à la Combe à coups de couteaux, toujours les rouges, ils ont gueulé plusieurs heures. La Municipalité a été votée dans l’assemblée. M. Vurflein était seul contre.

Une lettre de notre cher Roi.

30 janvier : Vote

Février 1851

2 février : Voté pour remettre 2 nouvelles bêtes (sic) au Grand Conseil. M. Bille ayant refusé, il faut recommencer. Le même jour, les rouges ont gueulé aux Cornes Morel [7] et au village: « A bas Colomb » qui avait été nommé député au Grand Conseil, et « Vive la Rouge ». C’était un train affreux.

9 février : On a fait la consécration du nouveau cimetière ; toutes les autorités civiles et ecclésiastiques y sont allées, accompagnées de 3 à 4000 personnes. Le même jour, on a enterré à la Ronde, un pâtissier étranger et une femme délaissée de son mari, gypseur italien. On les a promenés au temple et ensuite à leur dernière demeure. On a sonné 10 minutes et seulement 2 cloches. – Voilà la règle de la belle République. – Le vieux cimetière a été fondé, il y a 64 ans, il est maintenant abandonné.

15 février : Voté la municipalité, il y avait 618 votants, 444 contre et 170 pour. On a gagné de 374.

29 février : Election : le 29, il y a eu des votes, ce sont les bons [8] qui ont gagné et de vengeance les rouges ont crié et cassé 43 carreaux à la Société des Amis réunis royalistes ; de là ils en ont cassé 4 au Grand Frédéric. Après, ils sont allés crier « Mort au préfet », le charivari, insulté Fritz Courvoisier et … (illisible). Ils ont fait ce train 3 soirs de suite, jusqu’à ce que 26 gendarmes soient arrivés. Le 2ème et 3ème soir, on avait cru mettre 2 compagnies sur pied, mais ils ne les ont pas écoutés, c’est pourquoi on a eu recours aux gendarmes. Le préfet a demandé sa démission.

Mai 1851

16 mai : Votes perdus, la canaille a gagné.

30 mai : On a installé Girard de Renan, le fameux corps-franc, préfet de la Chaux-de-Fonds. – C’est la canaille qui a fait cela -.

Juin 1851

17 juin : Il est venu de Colombier 15 pièces d’artillerie avec leurs hommes et chevaux. Il y en avait de 5 cantons. Ils ont couché à La Chaux-de-Fonds une nuit, et une nuit au Locle.

Août 1851

3 août : Nous sommes partis pour Genève, le 5 pour Nyon, le 6 pour Vevey. C’était la fête des Vignerons, c’était magnifique, le 7 nous avons couché à Lausanne et le 8 à la maison.

Au commencement du mois nos gymnastes qui étaient à St-Gall sont allés faire les frondeurs sur l’Autriche et on les a fait prisonniers. Dans le nombre, il y a Grandjean, Villet et Bonjour.

Septembre 1851

14 septembre : Il y a eu une réunion de républicains à Fontaine. En passant par Valangin ceux du vignoble ont cassé des vitres à la Cure et ont insulté plusieurs personnes.

18 septembre : On a publié d’aller changer les monnaies contre des centimes.

Octobre 1851

15 octobre : Fête du Roi. Ils avaient défendu la prière qui se fait tous les mercredis. Nous avons fait la fête aux Planchettes.

1852

29 février : La Bourgeoisie de Valangin s’est tenue comme de coutume, mais les brigands de Républicains y sont allés en masse : Allemands, Français, Italiens et ce qui suit, ils ont battu, insulté les royalistes ; enfin, ont fait preuve de leur brigandage, sur les routes, dans les auberges, chez MM. Renaud, ils se sont battus entre eux pendant 2 heures sans quitter. Les Royalistes étaient partis.

30 juillet : La Bourgeoisie de Valangin a été dissoute par le Grand Conseil.

31 juillet : Voté un projet de loi infernale : 54 contre 6, nous sommes perdus.

7 août : Robespierre et ses complices [9] se sont emparés des biens et des drapeaux appartenant à la Bourgeoisie de Valangin.

9 août : On a mis en prison Mrs Robert et Studler. C’est Hertig de Bel air [10] qui les a accusés à tort.

7 décembre : Payé à ces coquins l’impôt municipal : 46 f.

Le 27 et le 31, j’ai cueilli dans notre jardin, une pensée et une marguerite.

1853

23 février : Le Gouvernement a demandé sa démission en masse, à part Girard.

22 avril : Il y a eu une révolution à Fribourg, les conservateurs ont perdu ; on leur a pris des drapeaux et il y a eu 200 prisonniers, dont 18 chefs, du nombre, M(rs) Perrier et l’avocat Vuilleret. Le 1er a d’abord été condamné à 30 ans de Chalvère, [11] et l’y a conduit le même jour malgré ses blessures.

24 avril : Consécration du temple des Eplatures. Installation de M. Gagnebin, pasteur, et de Mrs les anciens par M. Du Pasquier, doyen de la Place. Il y avait un chœur de jeunes Mrs et Delles.

20 septembre : On a commencé à 1 heure, après midi de creuser dans le pré, à côté de chez nous, pour des chéseaux, [12] rue de la Charrière.

26 septembre : Payé à la Municipalité 55 francs. La semaine passée, payé l’impôt.

1854

11 janvier : Consécration du cimetière des Eplatures.

14 mars : Il y a eu pour la première fois un marché de bétail au lieu de foire. – C’est la République.

13 décembre : Enterré Fritz Courvoisier [13] avec les honneurs de la guerre.

1855

29 mars : Enterré Droz Froelich [14] avec les honneurs de la guerre.

25 juillet : Grand tremblement de terre à 1 heure, après-midi et jours suivants 26 et 28. Des cheminées sont tombées.

1856

8 mai : Mort du père Droz [dit] Pipolet à 5 heures du soir.

23 août : 1er tir aux Eplatures depuis 1847.

3 septembre : A 3 heures du matin, les royalistes conduits par Mrs de la Ville et du Locle se sont emparés du Château de Neuchâtel. Sans coup férir. Les drapeaux prussiens ont flotté 24 heures, mais le 4 à 5 heures du matin, les hordes qui étaient descendues des montagnes sont allées les massacrer. 3 commissaires fédéraux étaient allés inviter les royalistes et leur avaient [donné] jusqu'à 6 heures, mais ces forcenés sont allés les surprendre à 5 heures et fait une vraie boucherie. Il y a 13 morts et 4 à 500 prisonniers. A la Chaux-de-Fonds, le 3 on a sonné et battu l'alarme pendant 2 heures.

22 septembre : Tous les prisonniers du temple (à Neuchâtel) sont sortis à part 25. Ici, il n'y a plus que M. Gagnebin.

12 octobre : Remplacé la Bourgeoisie de Neuchâtel par la Municipalité.

20 décembre : Nouvelles de la guerre.

22 décembre : Publié, 4 tambours en tête, la mise de piquet depuis 1812 à 1847. Défense à tous ceux de cet âge de sortir du Canton et les absents doivent rentrer. Le même jour, crié aux armes à 8 heures du soir.

24 décembre : Cuche et Delachaux ont adhéré à la République et le 27 Wuithier en fait de même en donnant un banquet.

4 décembre : La ménagerie a maintenant un bon commencement : Jacot, [dit] sauterelle, Delachaux, [dit] grenouille, Cuche, [dit] rhin[oc]éros, Vuithier, [dit] corbeau, et le chef Dubois, [dit] vautour. Ce ne sont pas des bêtes rares, à part le rhinocéros. Les places au manège ne seront pas chères !

1858

14 janvier : On a voulu tuer Napoléon et sa femme.

1 mars : Après 10 ans de République, elle nous a gratifié du petit poids, de la petite mesure.

25 juillet : Votes gagnés.

8 août : Votes gagnés.

Septembre : Fête de leurs assassinats de 47 et de ceux qu’ils ont faits en célébrant la fête le 4. Enterré une de leurs victimes mortes le 8, et 2 qui sont agonisants.

1859

7 janvier : Une alerte au bureau des postes, beaucoup de pertes.

16 mai : A 3 heures du matin, la maison des chemins de fer a brûlé.

Juillet : On a pas ressenti de pareilles chaleurs depuis 1762.

25 novembre : Mort de Mme Droz, [dit] pipolet.

1861

1 avril : Voté pour changer la Municipalité – Gagné. Les anciens gouvernants ont fait 3 ½ millions de dettes et 9000 pour lesquels ils n’ont pas de quittances : – ils les ont empochés – et dans cette somme, il y a 3000 f. appartenant à la chambre de charité.

Juin : Changé la Municipalité.

21 juillet : Mort de M. Droz, [dit] pipolet.

23 novembre : Fribourg éclairé au gaz pour la première fois.

30 novembre : Prendre des herbettes (cerfeuil) à notre jardin.

6, 7 décembre : Montes [15] de Droz, [dit] pipolet.

21 décembre : Vente de la maison de Droz, [dit] pipolet, à M. Sylvain Maire.

1862

Un hiver comme l’on a jamais vu dans nos montagnes : point de neige à peu près, de la boue assez pendant 10 semaines et le char est allé tout l’hiver.

3 février : Cueillir des herbettes au jardin.

19 février : Mort de M. le pasteur Jeanneret à 7 heures du soir.

22 février : Enterré le 22, plus de 1000 personnes à sa suite, généralement regretté comme il le méritait. Il est né le 13 juillet 1795. Elu pasteur à la Chaux-de-Fonds en 1830. On a sonné les 3 cloches.

19 mai : Les cerises à 25 cent. ; des paniers de fraises à très bon marché.

8 juin : Il y avait des cerises mûres dans le jardin de M. Benoît, rue de la Charrière.

19 juin : Chauffé les fourneaux 4 jours de suite.

29 juin : Chauffé le fourneau.

Août : On a récolté 100 émines [16] d’orge pour une aux grandes Crosettes chez M. Nussbaum.

8 septembre : Mort de M. Hertig de Belair, 25 personnes à sa suite.

11 novembre : Le Locle a été éclairé au gaz pour la première fois.

18 novembre : Près de Morat, on a cueilli du raisin mûr pour la seconde fois cette année, le premier était au mois d’août.

1863

15 janvier : Mort de Mme la ministre Jeanneret [17] à 10 heures du matin.

29 janvier : A minuit ½ la maison du café Pierre Henri a brûlé à moitié, beaucoup de pertes.

21 mars : Mort de M. Henri-Florian Calame dans la nuit du 21 au 22 âgé de 55 ½ ans. Généralement regretté, perte irréparable pour les Conservateurs.

Mort de M. le pasteur Delachaux [18] à 4 heures du soir.

20 novembre : Mort de M. Ami Sandoz, généralement regretté.

Notes

  1. Ecus de Brabant : Monnaie utilisée localement avant la monnaie fédérale
  2. La Combe : entrée des gorges de La Ronde près du Moulin Perret-Gentil.
  3. Premiers timbres fédéraux : poste locale, Rayon I et Rayon II, émis en 1850.
  4. 5 Rappen : Rayon I (bleu foncé)
  5. 10 Rappen : Rayon II (jaune)
  6. Radetzky (Joseph, comte von Radetz, 1766-1858) : commandant en chef des troupes autrichiennes en Lombardie, il fut chassé de Milan par la révolution en 1848. Gouverneur militaire de la Lombardie jusqu’en 1857.
  7. Les Cornes Morel : hameau situé à l’époque hors du village, aujourd’hui quartier de La Chaux-de-Fonds.
  8. Les bons : les royalistes.
  9. Robespierre et ses complices : les républicains, par dérision.
  10. Bel-Air : quartier de La Chaux-de-Fonds
  11. Chalvère : prison.
  12. Chésal, plur. chéseaux : emplacement d’un chantier pour une future construction.
  13. Fritz Courvoisier (1799-1854) : chef militaire de la révolution de 1848.
  14. Droz Froelich : autre révolutionnaire oublié par l’Histoire.
  15. Montes : vente aux enchères
  16. Emine : unité de capacité pour le grain ; l’émine de Neuchâtel valait 8 « pots » neuchâtelois, soit 15,325 litres, la moitié d’un setier ou le 1/24 d’un muid, et par la suite 10 « pots fédéraux » d’une capacité totale de 15 litres. 21 émines d’orge valent assez exactement 32 décalitres.
  17. Mme la Ministre Jeanneret : la veuve du pasteur Jeanneret.
  18. M. Contant Delachaux, pasteur.

Note du rédacteur

Le document original, un cahier d’écolier à la couverture bleue, appartient au Musée paysan et artisanal des Eplatures.

Il est déposé dans la salle du Maire Louis Challandes, à la Bibliothèque de la Ville de la Chaux-de-Fonds.

Article précédent

La première partie du journal de Paul Quartier-la-Tente couvre les années 1840 à 1849.

Elle a été publiée dans le Bulletin 10 de février 1998

Première partie