Bulletin 11 / Février 1999

Patronymes issus de métiers

Patronymes "professionels" issus d'anciens métiers ou offices

par Eric-André Klauser, historien

Même sans être des enfants de la balle, leurs porteurs les perpétuent par filiation.

Comme tout mot, les noms de famille ont une étymologie, c’est-à-dire une origine. Ces noms – qui servent à distinguer les lignées d’individus rattachés à un ascendant commun – sont appelés, en terminologie généalogique, des patronymes, du grec pater, le père et onoma, le nom. L’étude des patronymes ressortit à l’onomastique ou science des noms propres, dont elle constitue l’une des deux subdivisions, l’anthroponymie ou analyse des noms de personnes, l’autre étant réservée aux toponymes ou noms de lieux.

La plupart des patronymes se sont formés, en Suisse romande, pendant les XVIe et XVIIe siècles, sous l’influence des juristes et des humanistes de la Renaissance et avec la généralisation des registres paroissiaux d’état civil, relevant les baptêmes et les mariages puis, plus tard, les naissances et les décès. Ainsi que l’a rappelé Pierre Chessex dans Origine des noms de personnes (1946), « l’ancien surnom, devenu nom de famille, est maintenant le nom principal ; il l’a donc remporté définitivement sur le nom individuel, passé au rang secondaire de prénom ».

Si bon nombre de patronymes dérivent d’un nom de lieu : Debrot, Dupasquier (pâturage), Delavy, Dessoulavy (route, chemin), Bugnon (source),Dumont, Dubied, Duvanel (défilé ou sommet), Miéville (quartier au milieu d’une agglomération), de Montmollin, Debrot, etc. ; d’un prénom :André, Charles, Jaques, Guillaume, Martin, Girard, Landry, Jeannet, Jeannin, Jeanneret, etc. ; d’un sobriquet ; ou d’une particularité physique ou morale : Gigandet (géant), Boiteux, Grisel (gris), Rosselet (roux), Béguin (bègue), etc. ; d’une circonstance familiale : Bastardoz (bâtard),Cousin, Besson (jumeau), Gendre, etc. ; d’un nom d’animal : Renard, Lesquereux (écureuil), Lièvre, Loup, etc. ; d’un nom de végétal : Biolley(bouleau), Fivaz (sapin rouge), Racine, etc. ou d’un nom d’objet : Breguet (rouet à filer), Grellet (récipient en étain), Lugeon, Godet, etc., une importante série émane de la profession exercée ou de la charge remplie par un lointain aïeul. Ces patronymes, à travers les siècles et les générations, ont sauvé de l’oubli des activités disparues ou des fonctions débaptisées, d’où leur intérêt historico-linguistique.

Découlent notamment de l’ancien métier d’un pater familias du Moyen-âge ou des Temps modernes :

Barbier, Barbey (faiseur de barbe au rasoir à main, souvent aussi chirurgien) ;
Barillier, Barrelel (fabricant de barils) ;
Bor(r)el (bourrelier, faiseur de harnais, selles, sacs, courroies, etc.) ;
Bovet, Bovay, Bovey, Bouvier (bouvier, gardien ou conducteur de bœufs) ;
Carbonnier (faiseur de charbon de bois, marchand de charbon) ;
Chap(p)uis (charpentier, menuisier) ;
Cosandier, Cosandey (tailleur, couturier) ;
Courvoisier (cordonnier) ;
Escof(f)ter, Ecof(f)ey (tanneur, fabricant ou commerçant de cuir, cordonnier, bottier) ;
Fabri, Fabry, Faivre, Faury, Favarger, Favre (forgeron, maréchal-ferrant) ;
Ferrier (fondeur de fer, ferronnier, forgeron) ;
Grangier (métayer, fermier) ;
L’Eplattenier (scieur de long débitant une bille en éplatons, en madriers, poseur de planchers) ;
Magnin (chaudronnier-étameur ambulant, drouineur, rémouleur) ;
Meystre (maître d’école) ;
Mojonnet, Mojonnier (gardien de modgeon ou modzon, de veaux et de génisses) ;
Monnier (meunier) ;
Patthey (chiffonnier, biffin, pattier) ;
Pellet, Pelletier, Pélissier (fourreur, travailleur ou vendeur de peaux) ;
Perrier, Perret (carrier, tailleur de pierres) ;
Porchet (éleveur de porcs) ;
Tisserand, Tissot (tisserand) ;
Virchaux (chaufournier, homme qui vire, qui brasse la chaux) ;

Quant aux patronymes conservant le souvenir d’un office ou d’une charge jadis tenus par un ancêtre, ce sont par exemple :

Banderet, Bandelier (banneret, porte-bannière d’une bourgeoisie, conducteur à la guerre et défenseur des droits des milices) ;
Bedeau (employé laïque chargé du service matériel et de l’ordre dans une église) ;
Chambrier (valet de chambre, chambellan) ;
Châtelain (officier du souverain rendant la justice civile et criminelle dans une circonscription du comté ou de la principauté) ;
Lavoyer (avoué civil d’une personne, tuteur, curateur, mandataire) ;
Maire, Mairet, Mayor (officier de justice nommé par le prince et présidant le corps de jurés dans les diverses mairies et juridictions du pays) ;
Marguiller, Marinier (préposé à la sonnerie des cloches, sacristain, bedeau) ;
Messelier (garde-champêtre, brévard) ;
Me(s)tral (maître, officier dirigeant une juridiction moyenne ou inférieure) ;
Parlier (avocat, porte-parole d’une des parties impliquées dans un procès) ;
Piaget (péager, douanier) ;
Procureur (gérant des affaires d’un tiers, représentant d’autrui ou du ministère public en justice) ;
Prod’hon (gouverneur d’une commune, juré, expert chargé du contrôle de la maturité des raisins avant la levée du ban des vendanges).

Bibliographie

William Pierrehumbert, « Les anciens noms de professions à Neuchâtel », dans Musée neuchâtelois, 1917, 145-161, 211-226 ; 

William Pierrehumbert, « Les noms neuchâtelois de magistrats, fonctionnaires et employés », dans Musée neuchâtelois, 1918, 152-158, 203-211 ; 1919, 53-68, 99-107, 205-224 ; 1920, 29-45, 72-79 ;  

William Pierrehumbert, Dictionnaire historique du parler neuchâtelois et suisse romand, Neuchâtel 1926 ;

Pierre Chessex, Origine des noms de personnes, Lausanne 1946 ;

Albert Dauzat, Dictionnaire étymologique des noms de famille et prénoms de France, Paris 1980, 4e édition