Bulletin 17 / Automne 2001

Cré nom de nom !

par Eric-André Klauser

Par essence, le nom de famille (patronyme ou matronyme) et le [ou les] prénom[s] – dit[s] aussi petit[s] nom[s] ou nom[s] de baptême -, voire le surnom – ou sobriquet – ont prioritairement, pour tout être humain, une fonction identificatoire au même titre que l’état civil, le signalement anthropométrique, les empreintes digitales et génétiques (ADN = acide désoxyribonucléique des chromosomes), la signature, le numéro AVS, etc. Ces indicateurs individualisent chaque femme et chaque homme en même temps qu’ils les intègrent dans la chaîne des générations et des lignées et les rattachent aux quartiers de leurs aïeux. Ils sont donc à la fois ponctuels et conjonctifs. Comme dans le monde animal, ils constituent leur pedigree, leur flock-book, leur herd-book ou leur stud-book. Le 24 mars 2001 , le quotidien « Le Temps » observe – sous la signature d’Anna Lietti et en marge des propositions chaotiques lancées sous la Coupole – que «les patronymes sont considérés aujourd’hui comme le marqueur le plus précieux pour l’étude des populations, de leur histoire migratoire, démographique et sociale». En d’autres termes, pour la garantie de la «traçabilité» des familles dans le temps par le maintien d’un nom patrilinéaire unique, porté par les ascendants et les descendants d’une même lignée (*).

Dans le bulletin No 14 (été 2000) de la SNG, nous avions relevé la complexification généalogique qu’engendrerait à l’avenir une éventuelle libéralisation du choix du nom de famille, permettant aux époux d’ adopter comme nom de famille celui de l’homme ou celui de la femme ou le double nom des conjoints ou encore de conserver leurs noms respectifs, et aux parents d’attribuer à leur progéniture soit le patronyme, soit le matronyme, c’est-à-dire le nom du père ou celui de la mère.

Bien qu’élaborée en vertu de l’égalité des sexes et concoctée en commission pendant plus de six ans, cette modification législative n’a (heureusement !) pas trouvé grâce, en votation finale, le 22 juin 2001, devant les Chambres fédérales. Le Conseil national a rejeté cette révision du Code civil par 97 voix contre 77 et 6 abstentions, et le Conseil des Etats, par 25 voix contre 16 ! Un ratage rarissime à ce stade, soit l’ultime de la procédure parlementaire.

Clarté et simplicité du système actuel – qui veut que les enfants portent d’office le nom de leur père légal, adoptif ou putatif (après reconnaissance) – ont donc prévalu sur une doctrine pseudo-égalitaire qui n’aurait fait que produire confusion et complication.

Il reste maintenant à espérer que les parlementaires fédéraux persistent et signent dans leur option du premier jour (entier!) de l’été dernier et renoncent à tout jamais à brouiller inutilement les pistes familiales, originelles et généalogiques. Car chez les Tartempion, père, mère et enfants doivent continuer à former une cellule uninominale, aisément identifiable par son patronyme commun et assurée de la pérennité agnatique de son nom, c’est-à-dire par les mâles. Comme le remarque le psychiatre lausannois Maurice Hurni dans
« Construire » No 49 du 5 décembre 2000, « mère et père ne sont pas identiques et interchangeables. La femme donne la vie, l’homme donne son nom et permet ainsi à l’enfant de trouver sa place dans le tissu social. Dans notre société en pleine dépaternalisation, c’est très important. » Et l’équité – sinon l’égalité – est sauve !

Aussi le rédacteur en chef du « Temps », Eric Hoesli a-t-il parfaitement raison qui écrit dans son quotidien du 27 septembre 2000 : « Loin d’être l’expression d’une tradition machiste, le nom de famille touche à des ressorts profonds et essentiels de notre société que l’on ne devrait pas sous-estimer. Le nom n’est pas un gadget que l’on peut prendre en option. Et sa portée symbolique est considérable : le nom de famille est un ancrage, un héritage, c’est une lignée, un attachement, un lien historique avec une communauté. C’est une partie de l’univers social auquel nous appartenons et que nous ne pouvons pas choisir. Le nom est reçu, le prénom est choisi. Et c’est ce dernier qui a toujours eu pour fonction de représenter le don personnel des parents à l’enfant. Que vient faire ici l’égalité des sexes ? Ce lien avec le passé, le clan, peut s’organiser autour d’une lignée maternelle ou paternelle. Peu importe après tout, pourvu qu’une règle soit établie et respectée par la communauté. Mais l’idée d’un libre choix contrevient au simple bon sens et ne manquera pas de poser plus de problèmes qu’elle n’en résout. Car la logique devrait alors permettre à des frères et sœurs de porter des noms différents. »

(*) Voir aussi la lettre ouverte d’Eric Nusslé, président de la SNG et vice-président de la SSEG, parue dans l’Express du 2 juillet 2001 sous le titre « Noms de famille : une fondamentale question d’identité ».