Bulletin 18 / Printemps 2002

Les noms de famille et leur origine

Charles Ruchet, "Les noms de famille et leur origine", dans la revue historique vaudoise n°31, 1923, p.22

relevé de Pierre-Yves Favet

Un jour, ou plutôt, un soir, un homme se précipitait dans la salle de théâtre d’une petite ville allemande et mettant ses deux mains en porte-voix, cria le plus fort qu’il put : « Müller, il brûle chez toi ! » Comme mue par un ressort, la salle entière se leva et se rua vers la sortie. Il se sauvait des Müller de tout les côtés. Cependant au premier rang du parterre, trois spectateurs assistaient ahuris à cet exode désordonné : S’appelaient-ils peut-être Schulze, Wyss ou Meyer ? Renseignements pris, ils s’appelaient aussi Müller, seulement ils étaient sourds !

Passons à une autre profession. Nous avons des Boraley, forme patoise du français bourrelier, et des Sellier. Les Sellier, comme nom de famille, ne sont pas très répandus dans le canton de Vaud, si même ils y sont connus. Il y a une nuance entre le bourrelier et le sellier. Le premier travaille pour les paysans et les voituriers, tandis que le sellier travaille plutôt pour les riches oisifs. Un quatrain de Philippe Godet nous amènera à vous parler d’un nom de famille qui rentre plutôt dans la catégorie précédente, mais qui, par sa racine est parent des Boraley.

Couvet est un charmant village,
Au sein d’un fertile marécage
Qui produit deux trésors réels,
L’extrait d’absinthe et les Borels.

Passent encore pour les Borel, mais pour l’absinthe ! Nous savons ce qu’il faut en penser ! Borel, vieux mot pour bourreau se rattache ai-je dit, au même radical que Bourrelier. Borreau, signifie en vieux français, une corde de bourre, de là le mot bourreau pour celui qui pend à l’aide de cette corde. Donc, bourreau signifiait exclusivement à l’origine, pendeur. Les Allemands disent Der Henker, du verbe hängen, ou henken, pendre (Les Borel neuchâtelois portent un nom tiré du patois, borrel le collier de cheval de trait, confectionné par le bourrelier. On dit qu’il y a plus de borrels covassons que de chevaux !) Les cabaretiers sont représentés par les Taverney forme patoise de tavernier, par les Cruchon l’exacte pendant de l’allemand Krüger qui vend à boire à la cruche. Les Charron sont nombreux en France et les Wagner en Allemagne. A Genève, nous avons, venus de France, sans doute, les Royer, du bas latin roatrius, faiseur de roues.

Dans les comptes de la bourserie de la ville de Neuchâtel nous lisons : délivré tant à Jaques le royer pour reffaire les chars de l’artillerie de la ville. Les voituriers sont représentés dans notre pays par les Charroton, les Charton, les CartierQuartier, et et Roulier; la chapellerie par les Chapallaz; les fabricants de chappes par les Chappaz et les Chappey; la menuiserie et la charpente par les Chapuis les Chapuisat du patois Tsappouè = charpentier, et les Manigley, mot patois qui remplace notre mot menuisier, lequel ne date que de la fin du XVIème siècle. La vénerie nous a fourni les Chasseur, famille aujourd’hui éteinte; les Fauconnet, les Falconnet, les Falconnier, en allemand Falkner, en hollandais Walkenaër, qui dresse les oiseaux de proie pour la chasse; les Ozelley, forme patoise du mot oiseleur, en allemand Vogler. La chaudronnerie nous a donné les Magne, les Magnin, et les Maguenat, les Magnan dans certaines parties de la France; les Magnano en Italie. Le magnin est un chaudronnier ambulant qui raccommode aussi la faïence et fait subir certaine opération aux animaux qu’on veut engraisser. Il y a comme vous le voyez plusieurs cordes à son arc. La vielle chanson vaudoise du magnin arrivant dans un village disait :

Lo magnin cei va passà:
N’ai-vo ran a retakouma ?
Queque tsauderon perci
A rallogi ? (A remettre en état).

A l’industrie du cuir se rattache les Ecoffey vaudois, les Excoffier français, les Gerber germaniques. Le hameau de l’Ecofferie, commune du Chenit, à tiré son nom des tanneries établies autrefois dans ce lieu.