Bulletin 22 / 2004

La branche ardennaise des Grandjean de Buttes

par Fabienne Grandjean, membre de la SNG

La branche ardennaise des Grandjean de Buttes, issue de Thiébaud. Elle prit racine en 1774 en terre ardennaise au lieu dit Sept Fontaines et Fagnon. Mais depuis, qu’est-elle devenue ? Est-elle encore vivace comme ces beaux chênes de notre forêt de Renwez qui traversent lentement les âges, ou bien, s’est-elle atrophiée comme ces vieux pommiers gris aux branches cagneuses, rongées par le gui. En quittant Cliron, je les vois. Ils s’accrochent à un vert insolent et baissent la tête sous ce ciel d’acier tranchant. Le soleil  échauffe faiblement les branches. Ils sont misérables, et pourtant, inspirent le respect d’avoir été généreux en leur temps.

La terre d’Ardenne n’est pas uniforme. Elle réserve bien des surprises, pour certains des trésors qui dorment. Pour moi, une nature sauvage, un temps capricieux, et des sentiments partagés. Ses couleurs sont un affrontement, une provocation, mais aussi un défi de la nature à vouloir faire rivaliser étincelles du soleil avec ciel de plomb. Entre roches dures, tendres, feuilletées, et écaillées, elle se pare de vert, de gris, de bleu, mauve et violet, avec, de-ci de-là des tâches de rouille. Enfin, ce jaune : des genêts, du colza, de la fleur de pissenlit qui pique nos prairies, et cette pierre qui ensoleille les façades des maisons de nos villages. Quand Jonas Grandjean, né à La Côte Aux Fées en 1749 est arrivé, c’est peut-être cela qu’il a remarqué. Il avait 25 ans. Il était militaire venu de Suisse avec son régiment. En tous les cas, il ne resta pas indifférent à la fille d’un scieur de long de Neuville Les This, Jeanne Promaira, qu’il épousa le 12 juillet 1774.

Jonas Grandjean vécut en partie à Sept Fontaines et Fagnon puis à Neuville Les This où il exerça son métier de maçon. C’est par lui que la racine suisse va germer et donner de multiples rameaux au travers de la terre ardennaise. Il en ressort principalement deux axes que l’on pourrait identifier par celui de « La Vallée » pour les descendants implantés dans la Vallée de la Meuse. Si j’osais, je dirais « La Vallée Bleue » pour la Meuse, son ardoise et la pierre de taille gris-bleue. L’autre axe est celui des familles installées au fond ou dans les contreforts de La Vallée de la Sormonne, immense prairie ou se pratiquait la vaine pâture. Encore une fois, si j’osais, je dirais « La Vallée Verte ». En réalité, chez nous, le terme de « La Vallée » désigne uniquement La Vallée de la Meuse. Le reste relève de l’imagination, de la rêverie.

La branche de Belval, (La Vallée Verte !). Elle commence avec Jean Sébastien Grandjean né en 1829 à Neuville Les This. Il se maria à Belval en 1855 avec Dieudonnée Laurent. Il fut tisserand puis maçon comme son père et son grand-père Jonas Grandjean de La Côte Aux Fées. Le fils de Sébastien, Eugène Athanase Grandjean créa un fonds de commerce de charcutier et débitant de boissons vers 1894. Son épouse Marie Louise Diez dit Maria, faisait la tournée avec une charrette à capote tirée par un cheval. Elle allait à
Warcq, La Mal Campée, La Bellevue du Nord, Haudrecy et Ham Les Moines plusieurs fois par semaine. Charles Raymond Grandjean né en 1896 à Belval, fils d’Eugène, a repris le commerce de son père en 1924 et s’est installé à Tournes, rue qui Glisse, comme charcutier. La voiture à cheval était toujours d’actualité. Elle fut remplacée par la suite par une fourgonnette Berliet. Un petit-fils de Raymond, s’est établi dans la région parisienne où il demeure encore actuellement. Un autre petit-fils, charcutier-traiteur, a élu domicile à Haudrecy, au coeur de la prairie.

Dans les années soixante, Guy Paulin Grandjean, typographe, est parti à Genève pour des raisons professionnelles.

Le village de Belval compte encore parmi ses habitants des descendants de Jonas. Notamment un petit fils de Charles Fernand Grandjean (1905), la fille de Raymonde Athalie Grandjean (1900), et la fille de Charlotte Mélanie Grandjean (1892).

 

La seconde branche, celle de La Vallée est à l’origine de l’éclatement. En effet, deux petits-fils de Jonas Grandjean, nés à Neuville Les This sont partis dans la Vallée de la Meuse et se sont établis à Ham Sur Meuse. Ils étaient maçons, tailleur de pierre, journalier … Les enfants du premier : Jean Nicolas Grandjean né en 1817, sont restés à Ham Sur Meuse. Sa branche s’est éteinte car la descendance s’est terminée par trois filles. Il s’agit des trois soeurs Marie, Ismérie et Julie. Comme la plupart des femmes, elles pratiquaient la culture maraîchère et allaient vendre leurs fruits et légumes au marché de Givet ou aux soldats de la caserne. Marché sur lequel « les femmes de Ham et de Chooz » étaient appréciées pour la qualité de leurs produits. Ici, à la pointe de Givet, se reconvertir était une nécessité pour rester. Il n’était donc pas rare d’exercer différentes professions le long de son existence ou d’avoir de multiples activités. Joseph Désiré Haussard, le mari de Marthe Marie Ismérie Grandjean (1882), fut d’abord cultivateur, tailleur de pierre, puis gendarme dans la gendarmerie à cheval pendant la guerre de 1914, et enfin inspecteur de police. A l’âge de la retraite il devint maire de Ham Sur Meuse.

Le second petit-fils de Jonas ; Pierre Alexandre Grandjean né en 1821, eut 8 enfants dont 4 sont décédés tôt. Un seul resta à Ham Sur Meuse jusque 1896 environ. Il s’agit de Pierre Joseph Désiré Grandjean, né en 1851. Il quitta le village pour celui de Fromelennes. Il était tailleur de pierre et vécut jusque 1930. Marié, mais sans enfant.

Parmi les filles d’Alexandre Grandjean, Eugénie Léonie Grandjean, est née en 1863 à Ham Sur Meuse. Elle se maria en 1888 avec un carrier de Chooz, Joseph Augustin Noël Colle. Elle vécut et décéda à Chooz en 1891.

Autre fille d’Alexandre; Léonie Eugénie Grandjean, née en 1872 à Ham Sur Meuse. Elle épousa en 1891 Joseph Rémy Ponsart, préposé des douanes. Ils quittèrent la Vallée pour séjourner une dizaine d’années à Arreux puis à Remilly Les Pothées et enfin Bolmont.

François Lambert Grandjean, né en 1858 à Ham Sur Meuse, est le second fils survivant d’Alexandre. Il vécut au moins jusque 1888 au village. Ces cinq premiers enfants y sont nés puis les cinq suivants sont nés à Anchamps. François Grandjean était chef de canton à la Compagnie de Chemin de Fer de l’Est qui deviendra plus tard la SNCF. Sa femme, Aimée Angélique Marie Linard était garde barrières à Revin, petite ville de la Vallée de la Meuse. Revin est leur dernier domicile, mais aussi l’emplacement d’une nouvelle ramification issue de la branche de Ham Sur Meuse. De nos jours, il n’y a plus de représentants de Jonas Grandjean de La Côte Aux Fées à Ham Sur Meuse.

Après une étape de quelques années à Anchamps, François et Aimée Grandjean, se sont donc établis début 1900 à Revin avec leurs 10 enfants; sept garçons et trois filles. A cette époque, le chemin de fer fut une aubaine, il procura du travail pour les familles de la Vallée. C’est ainsi que la plupart des fils de François Grandjean laissèrent leur emploi de journalier ou tailleur de pierre pour entrer dans la Compagnie du Chemin de Fer de L’Est. Toutefois, l’un d’entre eux, Henri Aurélien Grandjean, né en 1898, se vit obligé de quitter le chemin de fer car il était daltonien ; il entra dans les douanes et devint brigadier.

Que sont devenus les Grandjean de cette greffe de Revin. Jonas de La Côte Aux Fées est-il encore représenté dans la « Vallée Bleue » ? En 1996, cette branche se distingue encore, à Revin, grâce à trois femmes dont le nom de jeune fille est Grandjean. Il s’agit de Lucette et Pierrette Grandjean, filles d’Henri Grandjean le brigadier. Et Yvette Grandjean, fille d’Auguste Aimé François Grandjean (1889) qui était employé SNCF. Yvette, née en 1920, a suivi son mari quelques temps au Congo puis est revenue vivre rue Paul
Bert à Revin. Elle y est décédée en 2001.

Bien que la branche de Revin se composa de dix frères et soeurs, les traces sont difficiles à suivre. Françoise Marie Aurélie s’est établie à Anchamps. Gaston François, qui était sourd et veuf jeune, travaillait dans des fermes, notamment chez sa cousine germaine Marie Ponsart : la ferme Dardenne de Clavy-Warby. Ernest Dardenne, son mari, allait le chercher en voiture à cheval pour travailler quelques jours. Gaston vécut d’abord à Revin puis à Anchamps chez sa sceur Aurélie puis chez sa nièce Marie Louise Gernelle. Il arrêta de travailler dans les fermes lorsque Léon Gernelle, mari d’Aurélie, parvint à le faire entrer dans une usine à Revin. Suzanne Juliette serait décédée jeune d’une méningite.

Lors de la première guerre mondiale, François Lambert perdit deux de ses fils; Aimé Julien « tué à l’ennemi le 15 mars 1916, mort au combat à Verdun ». Tué sur son cheval, décapité par « un boulet de canon » selon les proches de la famille. Il avait 25 ans. Et Joseph François Léon blessé par balle en 1915 à Saint Hilaire Le Grand. Il fut amputé d’un bras et décéda en 1918 de la grippe espagnole contractée à l’hôpital de la Poudrerie d’Angoulême. Il avait 36 ans. Léon Grandjean avait un fils Pierre Léon né en 1913 qui ne vécut que quelques jours, et trois filles, Suzanne Aimée (1905) qui s’est mariée avec Moise Arsène Lucien Bosquet un gendarme, France Adolphine née en 1916 qui s’est mariée avec Lucien Rambourg un Garde Républicain, et enfin Marcelle Adeline née en 1918 qui s’est mariée avec un mineur de Lens. Théodule Ludovic Jules fut employé au dépôt de Mohon en 1927 et se serait fixé à Mohon. Marie Eugénie vécut à Villers Semeuse, mariée à un cheminot Victor Edouard Eugène Joseph Baré. Enfin, Achille Alexandre Joseph Ludovic partit sur Vouziers en 1924 puis s’installa en Seine Saint Denis ou il y vécut jusqu’à son décès.

Yves Auguste Aimé François, le fils d’Auguste, quitta les Ardennes pour travailler à Saint-Nazaire en qualité de métreur vérificateur puis partit à Clermont-Ferrand vers 1964 où il y est toujours domicilié. Yves a eu une fille Monique Gabrielle Augustine Grandjean, domiciliée en son vivant à Clermont-Ferrand.

Gaston Grandjean a eu une fille Colette.

Enfin, Henri Aurélien Grandjean, brigadier, a eu deux fils tous les deux décédés: Robert et Pierre.

Une recherche plus approfondie au coeur de la Vallée vient de s’achever. Cependant un doute subsiste. Peut être, parce qu’elle est escarpée, que son voile de brume et son manteau boisé font d’elle une terre de légendes, impénétrable, mystérieuse, et parfois, austère. Parce que le froid et la tristesse parfois vous pénètrent au plus profond, que l’été c’est un four à ciel ouvert, que la chaleur lourde vous accable. Les hommes se terrent dans la roche, l’ardoise, à la recherche de la fraîcheur. Le caractère de ces hommes s’est ainsi forgé. Pour mieux résister, ils l’ont adoptée, épousée, pour finir, lui ressembler. Les familles de la Vallée sont donc réservées. Pourtant, si l’écorce paraît amer le coeur est douceur. La distance s’efface lorsque la porte s’ouvre et l’on découvre courage, chaleur, et petits bonheurs. Et dans les lettres, des sentiments les meilleurs. Un signe, un regard de ces hommes vaut tous les trésors.

L’instant est à saisir. Rapide, timide, il faut le vivre. C’est une victoire, une rencontre inscrite dans la mémoire.

Depuis, sur la route de Cliron, les pommiers sont coupés. Rondins entassés. Leurs coeurs d’arbres fruitiers affichent un orange dans le vert du pré pour nous rappeler qu’ils ont existé, régalé des ventres affamés, parfumé des cuisines de compotes, rabotes, pommes chiches suspendues au plafond, et comblé des maraudes gourmandes et endiablées.

Finalement, entre chêne et pommier, la question reste posée. Voilà où conduit l’histoire d’un jeune soldat suisse, un brin romantique pour une jeune paysanne ardennaise nommée Jeanne.

Et si le nom de famille Grandjean se rarifie sur le sol ardennais, la fibre suisse  vibre encore sur cette terre d’adoption et au delà de ses frontières, au travers des noms : Bialais, Beaudoin, Bonnal, Dardenne, Delhougne, Devy, Gaillard, Jolly, Lespagne, Mamert-Sada, Renard, Richard …L’esprit de Jonas et de la Suisse vivent et traversent le temps.

Février 2004

Invitation à la découverte

D e Buttes à Neuville Les This,
C’est loin la Suisse.
Parti d’un pays méconnu
Pour un pays perdu
C ‘est.là, l’histoire de notre passé,
L’origine de notre destinée.
Depuis Jonas et Jeanne,
Que de chemin parcouru.
Et si l’envie vous tanne,
De .fouler le sol élu,
Alors, partez !
Vous ne serrez point dépaysés.
La région d’où nous venons,
Neuchâtel,
Se prénomme t-elle,
Est une Belle, enfouie,
Pour nous, dans un petit coin de
Paradis.
La montagne, l’eau et les bois,
Y sont rois.
D’ailleurs, je crois,
Ce qui plaît à l’Ardennais
Ce sont les coloris des bois,
Et sa verdure nous rassure.
Voilà peut-être le point commun
Qui fait, que nous ne sommes pas
si loin.

Qui sait, un jour,
En flânant le long de
l’Areuse,
Rivière boisée et
mystérieuse,
Pourriez-vous rencontrer
Une clé, nichée,
Entre deux étoiles à cinq
rais,
Juchée sur une vieille
maison,
D’un laboureur ou
maçon.
Beuquer serait mal
indiqué.
Mais qui sait,
Si vous ne pourriez pas
rencontrer
De Buttes à la Côte Aux
Fées,
Vos cousins éloignés.
Et si vous êtes gagnés
De traverser Monts et
Vallées,
Des autres contrées,
Alors, partez!