Bulletin 23 / 2004

La disette à Boudry en 1816

par Jean-Yves Barbier

Dans son livre « Boudry pour la petite histoire » paru aux Editions du Corban en 1993 à l’occasion du 650ème anniversaire de la Charte de Franchises octroyées à la ville de Boudry par le comte Louis, seigneur de Neuchâtel, l’historien Pierre-Henri Béguin, note aussi à sa manière enlevée, pour l’année 1816 sous le titre  » A grandes eaux, petits vins »:

« Inutile de chercher un haricot à Boudry en cet été de 1816: les champs, les jardins, les caves, tout était sous l’eau. Depuis le début de l’année, la pluie, torrentielle, ne désarmait pas. Pour comble, un froid persistant aggravait cette calamité. Les trois lacs s’étaient rejoints; l’Areuse se déguisait en Colorado, et on naviguait dans les rues de la ville.

« point de blé, point de légumes… » La faim ravagea les chaumières, fléau terrible, elle a sévi très régulièrement en tous temps à Boudry, et jusqu’à la fin du siècle passé.

Le pasteur Samuel-David Bonhôte voulut faire une quête; en vain: l’argent manquait tout autant que les vivres. Le conseil d’Etat voulut prendre des mesures à grand peine et à grand prix; il acheta du blé qu’il pensait revendre à prix raisonnable. On n’acheta rien, faute d’argent et l’Etat se mit dans les dettes. … Il lui fallut donner le blé.

La faim. Le froid. Et la pluie sans discontinuer. Ce fut la disette la plus terrible de tout le siècle… Les prix montèrent en flèche: le froment passa de 22 batzs à 76 batz pour une émine! Le 30 octobre, on n’avait encore rien pu vendanger, la calamité devenait catastrophe. Claude Bovet-Fels n’y tint plus; ce directeur de la fabrique d’indiennes convoquait ce jour-là une assemblée en la Maison de Ville; il voulait conjurer de telles disettes en créant un grenier pour tout le littoral. Dans le château de Boudry, par exemple. Mais il échoua; les autres communes ne purent accepter que Boudry eût, seule, cet honneur! Qu’à cela ne tienne, il mettrait sa fabrique à disposition; lui-même, il partirait à Mayence pour acheter du blé moins cher… Cette magnifique générosité ne fut pas couronnée de succès; il eut mille ennuis et quand, enfin, il put livrer le blé, la disette était terminée…

La neige inaugura le mois de novembre. Ce fut alors, sous de très fortes gelées qu’on vendangea quelques vignes… Les grappes crépitaient en tombant dans les gerles; on les écrasait avec des serpes ou des haches! Le vin qu’on en tira… une bibine à vous flanquer des ulcères.

A la fin de l’hiver seulement, le niveau des eaux baissa. Au mois de janvier, un redoux exceptionnel allait permettre… de moissonner le blé! Le pain fut aussi gastronomique que le vin…

La disette touchait à sa fin, on remangeait à sa faim. Mais l’Etat était perclus de dettes. Un sauveur fut alors pressenti: le roi de Prusse! Après tout, le prince de Neuchâtel pourrait bien venir au secours de ses fidèles sujets! On oubliait évidemment un peu que, si un subside royal était alloué, il devrait, nécessairement, être compensé, après, par un impôt extraordinaire. Or, au cours des âges, les bourgeois ne manquèrent jamais une occasion de brandir leur Charte de Franchises pour refuser tout impôt nouveau!

La réponse du roi de Prusse fut cinglante comme un coup de serpe dans un raisin gelé: -« … n’ayant pas le droit de lever un impôt extraordinaire« , il « ... ne saurait donc contribuer de ses caisses à ces dépenses imprévues« ! Et toc! »

Mon propre ancêtre, Aimé Barbier, bourgeois de Boudry, alors âgé de 33 ans, quitta sa ville natale et émigra dans la région lyonnaise où il fît souche.