Bulletin 23 / 2004

Traditions et coutumes d'antan en pays neuchâtelois

par Pierre-Arnold Borel

Relation tirée du « Folklore suisse » bulletin de la Société des traditions populaires, fascicule février-mars 1975.

Numéro réservé aux correspondants neuchâtelois.

La place du pauvre

Coutume d’hospitalité du Val-de-Travers, disparue à la fin du XIXème siècle.

Mon arrière-grand mère paternelle, Cécile Perrinjaquet épouse Borel, parlait volontiers de son père Frédéric-Auguste Perrinjaquet 1792-1860, fils de Jean-Pierre, originaire de Travers, agriculteur à Grandchamps sur Couvet: « ..il savait si bien décrire un repas de famille chez lui qu’il nous semblait y avoir participé.

Après avoir récité la prière, debout, le père de famille présidait le repas, entouré de ses fils. Ces derniers pouvaient prendre place à ses côtés dès qu’ils avaient fait leur Première Communion. Ils s’assoyaient par rang d’âge, l’aîné à la droite du père. Si la parole leur était adressée, ils répondaient à leur père et mère en les vousoyant. Ensuite venait la mère entourée de ses filles et de ses plus jeunes enfants. A l’autre extrémité de la table se groupaient les domestiques.

On plaçait toujours un couvert supplémentaire: la place du pauvre.

La visite de cet étranger était espérée, désirée, car elle rompait la monotonie de la vie de ces paysans isolés dans leurs fermes de montagne. Comme le troubadour au Moyen-âge, l’hôte racontait ce qu’il avait vu et entendu par les grands chemins, commentant les événements du jour à sa façon.

Il y avait aussi le compagnon, qui, après avoir terminé son apprentissage, faisait son tour d’Europe à pied, un baluchon au bout d’un bâton. S’il s’établissait entre lui et ses hôtes un lien de sympathie, il demeurait volontiers à la ferme, travaillant le bois, la pierre ou l’osier pour gagner sa pitance.

C’était l’un de ces compagnons qui avait façonné la longue table paysanne de style Louis XIII des Perrinjaquet. Cette table à l’épaisse ceinture reposait sur de solides pieds tournés, sa traverse de bois était usée par le frottement des sabots. Elle se transmettait de génération en génération comme une relique de famille et on l’appelait la table des Perrinjaquet.

Il y avait aussi les gueux, très nombreux, que l’on accueillait et qui occupaient très souvent la place du pauvre. »

La veillée

La nuit venue, on allume les lampes à huile ou à pétrole; les femmes se resserrent autour des globes avec leurs rouets et leurs coussins à dentelle. Les hommes ayant fini de gouverner, de traire les vaches, se remettent à l’établi; si le voisin vient passer la veillée, on échange quelques mots en patois. On lui propose une partie de « seul ». Cet ancien jeu de cartes distrait agréablement jeunes et vieux (voir ci-après les règles du jeu). On grignote des noix, des noisettes et des schnetzes, ces quartiers de pommes ou de poires séchés. Pour le poussenion la maîtresse de maison a mis des pommes mijoter dans la cavette, petite niche tiède dans le poêle.

Les cloches se mettent à carillonner, c’est l’heure du couvre-feu, c’est aussi le moment d’aller se « réduire ». Le guet de nuit passe, agitant sa lanterne: « Bonnes gens, il a sonné dix heures, dix heures il a sonné ».

En 2004, dans la plupart des villes et villages du canton, le couvre-feu subsiste encore.

Règle du jeu du « Seul »: Il faut: un jeu de 32 cartes (pas de 6), des jetons, perles, boutons, noix, noisettes, en assez grande quantité. Valeur des cartes: a) en atout: valeur décroissante: 7, as, roi, dame, valet, 10, 9, 8. b) autres couleurs: as, roi, dame, valet, 10, 9, 8, 7.  La « spadille » ou « espadille » = dame de trèfle, vient s’ajouter aux atouts, quels qu’ils soient, et les domine tous. Résultats: nombre de levées.

Quatre joueurs, A en face de C, B en face de D. A donne les cartes: 3 + 2 + 3 à chaque joueur.

(si on n’est que 3 joueurs, on distribue un tas de ( à l' »inconnu ». Si on est 5, un des joueurs passe un tour sans jouer, à tour de rôle.

B dit « j’appelle » ( à moins que son jeu magnifique lui permette d’annoncer « seul! »

C, D et A ont la possibilité de répondre « je passe » ou « seul ». Celui qui prend le « Seul » est seul contre les 3 autres ligués et il a le droit de jouer le premier. Après l’annonce d’un « seul », un des joueurs précédents a le droit de « reprendre le seul ». Mais, pour gagner, il doit faire une levée de plus qu’un « Seul » ordinaire.

On joue un tour, puis le « seul » annonce l’atout. S’il n’y a pas de seul, c’est B qui annonce, par exemple: « Coeur atout, pique » ou  » Coeur atout, pique ami »: ceci signifie qu’il a un beau jeu en coeur, puis en pique et sollicite comme ami celui qui a l’as de pique. Ce couple aura l’autre pour adversaire. Si B possède les 4 as, il annonce « Pique ami au roi » et c’est le possesseur du roi de pique qui fera équipe avec lui.

Les joueurs ont l’obligation de jouer dans la même couleur que le premier, tant qu’ils en possèdent. Ensuite, ils peuvent, à leur gré, couper par de l’atout ou renoncer jouant une autre couleur. Le tour suivant est amorcé par celui qui a fait la levée. Lorsqu’il ne reste plus qu’au minimum 3 cartes en main, un joueur a le droit de crier « outre »! s’il est sûr de gagner les trois dernières levées.

Gains: celui qui a commencé, « seul » ou « couple de l’appelant » doit faire 5 levées sur les 8 pour gagner « Un jeton » ou « une noix ». S’il fait 6 levées, il gagne 2 jeton ou 2 noix. Pour 7 levées 3 jetons, pour 8 levées il gagne 4 jetons. S’il a crié « outre »! au bon moment, il a droit, selon les règles: soit à un jeton supplémentaire, soit au double 8 jetons. Si, par contre, il ne fait que 4 levées, il paye un jeton. Pour 3 levées, il paye 2 jetons; pour 2 levées il paye trois jetons; pour une levée il paye 4 jetons; pour zéro levée il donne 5 jetons; s’il manque son « outre » il donne 6 jetons à la caisse.

Si on joue deux contre deux, chaque joueur perdant paie le chiffre du tarif et chaque joueur gagnant encaisse ce chiffre. Si on joue avec un « seul », celui-ci encaisse le total des paiements des 3 autres. S’il perd, il paye le tarif à chacun des trois autres.

Les accordailles au XVIIIe siècle

Lorsqu’un jeune homme désirait se marier, il devait être introduit dans sa future famille et être accepté par elle. Il chargeait son père ou un proche parent d’aller demander « la veillée » aux parents de la jeune fille, c’est-à-dire la permission de lui faire la cour sous la surveillance bienveillante de ses parents.

Après quelques jours de réflexion, ceux-ci accordaient ou refusaient « la veillée » après avoir, tout de même, demandé l’avis de l’intéressée. Cette autorisation correspondait à des accordailles. J’ai copié la phrase suivante dans une vieille lettre jaunie de 1850, elle servira de conclusion à ce paragraphe: « Il parait que les Miéville, de Colombier, ont accordé la veillée à David-Frédéric Gorgerat, de Boudry. C’est pour la Marie-Philippine, un fort beau brin de fille; il a de la chance de pouvoir la fréquenter… ».

Réminiscence: Les charivaris à Couvet

Les garçons d’un village surveillaient jalousement les fréquentations des filles du lieu. Si par malheur un gars du bourg voisin courtisait une belle du village, ils se défendaient bec et ongle comme un coq défend son poulailler. Si la cour aboutissait au mariage, les garçons célibataires empêchaient le fiancé d’aller chercher sa promise pour la conduire chez monsieur le maire et chez monsieur le ministre, tant qu’il n’avait pas payé sa rançon. Tous les jeunes étaient fort excités et le charivari se prolongeait tard dans la nuit
devant la porte du fiancé. De trop nombreuses libations provoquaient des bagarres. Cet état de choses obligea le gouvernement à prendre des mesures sévères et à interdire formellement ce genre de manifestation, dès 1801.

Cette coutume ne disparut pas pour autant du jour au lendemain. On continuait, de façon plus discrète, à faire des farces à la jeune fille qui avait accepté un prétendant hors de sa commune.

Quelque septante ans plus tard, lorsque le jeune Vaucher descendit de La Brévine à Couvet pour conduire Marthe Borel 1860 – 1952 à l’église, il la trouva en pleurs. Sa jolie promise, fille d’Henri-Louis et de Cécile née Perrinjaquet, avait préparé sa toilette nuptiale; la coutume voulait que la future mariée tricota elle-même ses bas blancs; avec stupéfaction elle les retrouva tailladés aux ciseaux et immettables !!

On s’était introduit par la fenêtre pour lui faire cette farce. Etait-ce un prétendant évincé ou un mauvais plaisant ? La famille était plutôt sûre que les garçons de Couvet avaient voulu montrer à l' »étranger » ce que coûte de prendre une jeune fille du village !

Le charivari était une coutume du vignoble neuchâtelois et du Val-de-Travers

Les "lettres de part" et les foulards des fossoyeurs

Lors d’un décès, la famille en deuil se réunissait pour écrire la « lettre de part » et établir la liste des parents et amis à aviser. Un messager partait à pied ou à cheval, en voiture ou en traîneau, suivant la saison, et rendait visite aux personnes désignées par la liste. Devant chaque famille réunie, il lisait la lettre de part à haute voix comme invitation à assister aux obsèques. Très souvent il était invité à se reposer et à donner des renseignements complémentaires, mais il reprenait rapidement la route, allant de maison en maison transmettre le triste message. Renseignements recueillis aux Eplatures auprès d’une personne qui possède encore une « lettre de part » manuscrite datée du 2 décembre 1862. Coutume disparue au XIXème siècle.

Coutume sagnarde du XIXème siècle: Dans les années 1960, un monsieur d’âge, Monsieur Paul Matile, m’a montré deux reliques, précieusement conservées. Elles avaient appartenu à son aïeul, le justicier de La Sagne: Louis-Auguste Vuille-dit-Bille fils de Frédéric-Auguste. L’une était une pipe de porcelaine avec l’effigie du roi de Prusse prince de Neuchâtel. Fervent royaliste, le justicier l’avait reçue de la main du roi lorsque celui-ci était venu pour la dernière fois visiter ses fidèles sujets neuchâtelois.

L’autre trésor était un très grand mouchoir dessin écossais en cotonnade de couleur assez vive. Le « long Paul » me dit: » voici un foulard de fossoyeur », la famille endeuillée devait choisir parmi les amis du défunt six à huit fossoyeurs. En souvenir du disparu, on leur offrait ce grand carré bigarré qu’ils devaient porter le jour de l’enterrement ».

La Dame de Noël

Texte tiré d’un roman de l’écrivain neuchâtelois Oscar Huguenin 1842-1903.

Noël est là, Noël la joie des petits et la joie des grands. C’est fête partout; à travers les rues on voit passer, sous les flocons qui tombent larges et serrés, des ombres affairées, emmitouflées, chargées de paquets, ombres joyeuses car des rires étouffés sortent des capuchons. Ce sont des dames de Noël, les Rôdes en patois neuchâtelois, comme on appelait au temps de nos grands-pères ces messagères mystérieuses et voilées, chargées des cadeaux de la joyeuse fête, dont les plus grands des bambins avaient tôt fait de percer à
jour le travestissement, mais que les petits considéraient avec un respect voisin de la terreur car, outre les étrennes, récompense des enfants sages, la dame de Noël portait ostensiblement la verge vengeresse destinée aux méchants.

Toc, toc, pan, pan, la porte s’ouvre après un coup retentissant et la femme, voilée de la tête aux pieds, pénètre dans la chambre d’un air solennel. C’est la rôde attendue. La vieille fait une révérence à la ronde; sur la table elle pose la verge du châtiment, sorte de balai qu’elle extrait des plis de son manteau puis, sans dire un mot, pose son sac et se met en devoir de le déficeler.

Les enfants suivent tous les mouvements du mystérieux visiteur avec une curiosité à la fois ardente et craintive. Les paquets jaillissent et les enfants se précipitent, quand un geste de la rôde les arrête.

« Sommes-nous très sages au moins ? demande-t-elle d’une voix caverneuse, en brandissant la verge qu’elle a prise en main.

Suppliant, le regard des enfants cherche celui des parents comme pour les adjurer de ne pas révéler les menues peccadilles de l’année.

« Très sages… déclarent solennellement les enfants.. n’est-ce pas, maman ?… La maman approuve en souriant et les cadeaux sortent des profondeurs du sac…

La vieille dame exécute ensuite une série de révérences d’adieu et quitte la famille dignement…

Coutume disparue à la fin du XIXème siècle.

La tournée des fourneaux

Propos recueillis auprès de Madame Marguerite Huguenin-Dubois

En période de l’Avent, les dames de La Chaux-de-Fonds s’interpellent: « Avez-vous déjà fait la tournée des fourneaux ? » C’est-à-dire la visite des foyers. Dans chaque famille, la doyenne, accompagnée d’une plus jeune, doit rendre visite à tous les parents, proches ou éloignés. Bon exercice généalogique, car aucun « cousin remué de germain » n’est oublié.

Pour la circonstance, ces dames revêtent leurs atours du dimanche. Avec un brin de coquetterie, elles n’oublient pas leurs beaux collets et leurs bonnets tuyautés. Il faut une bonne journée pour faire le tour de la parenté. Ces « retrouvailles » sont chaleureuses; le goûter vous est offert plusieurs fois, avec bricelets, merveilles, beignets au dé et à la rose. Le but de cette tournée n’est pas seulement de se donner réciproquement des nouvelles, mais aussi d’inviter les isolés à partager votre fête de Noël.

Au sujet du vousoiement

Durant les siècles passés, il n’était pas rare, dans les familles, de compter dix à douze enfants. Les parents adultes tutoyaient les plus jeunes jusqu’à leur Première Communion. Vers 16 ans, pour bien marquer leur passage à l’adolescence, le vous, même entre frères et sœurs et cousins, remplaçait le tu de l’enfance.

Les aînés devaient, dès lors, souvent, quitter la maison paternelle pour travailler au loin, laissant la place aux plus jeunes de la famille. Dans la correspondance à la famille, on découvre alors le vousoiement dans d’anciennes lettres écrites entre frères et sœurs. Même les pères et les mères, dans leurs réponses, y vouvoient leurs enfants. Ces habitudes se sont perdues peu à peu durant le XIXème siècle.

Par contre, le vouvoiement était encore respecté au début du XXème siècle entre les beaux-parents et les beaux-enfants, et vice-versa. Il en était de même avec les autres membres de la belle-famille, même les plus jeunes.