Bulletin 27 / Décembre 2005

Réflexions sur l'état civil suisse

Pour nos amis généalogistes étrangers, la notion du lieu d’origine du citoyen suisse est très mystérieuse et généralement mal comprise. Par les quelques lignes qui suivent, nous tenterons d’expliquer ce phénomène qui ressort de notre passé historique pour compléter notre information parue dans le bulletin d’avril 2005.

La Suisse moderne est issue d’un ensemble de territoires jadis indépendants reliés par des liens confédéraux pour former, à la suite d’une évolution politique qui n’est pas de notre propos ici, une confédération de 22 cantons en 1848, date de la première Constitution de la Suisse moderne, et révisée en 1874. Les bases de notre état civil actuel en découlent.

Bref historique [1]

A l’instar de la plupart des pays d’Europe, le Moyen Age a vu le développement des bourgeoisies dans les bourgs et villes de la Confédération. Les personnes qui s’y s’établissaient pouvaient obtenir, en remplissant certaines conditions, le statut de citoyenneté qui était transmis à sa descendance. Il obtenait donc le droit de cité (Bürgerort, Heimatort, Heimatgemeinde). Au fil des siècles le système se précise:

  • Dès le XVème siècle, introduction des registres pastoraux dans certaines régions du sud de la France et de l’Italie du Nord (le plus ancien registre suisse des baptêmes se trouve à Porrentruy, datant de 1481)
  • Le XVIIème siècle voit l’introduction dans les communes des répertoires des familles et des ressortissants ou encore du rôle des bourgeois.
  • Le Concordat fédéral de 1854 institue l’obligation aux cantons de communiquer d’office, pour chaque commune tous les faits d’état civil de ses habitants aux communes d’origine (retombées de la Constitution de 1848, début de la sécularisation de l’état civil).
  • En 1874, la révision de la Constitution fédérale transfère définitivement l’état civil sous la responsabilité de l’Etat.
  • 1876, des Offices de l’état civil sont alors créés dans toute la Suisse. Il leur incombe dès lors d’enregistrer naissances, reconnaissances, mariages et décès dans les registres correspondants, dits « registres spéciaux ».
  • 1929, introduction d’un nouveau registre d’état civil fédéral: le registre des familles.

Le concept établi en 1929 est resté en vigueur jusqu’en 2004, date de la mise en service du système informatisé de l’état civil suisse, Infostar.

Fonctionnement de l'état civil

« A la citoyenneté suisse toute personne qui possède un droit de cité communal et le droit de cité du canton » (Art 37 al. 1 de la Constitution fédérale).

 » L’origine d’une personne est déterminée par son droit de cité » (Art 22 al. 1 du code civil suisse).

Ainsi est établi le principe de l’enregistrement des faits d’état civil de tout ressortissant suisse dans sa commune d’origine, même si ce dernier n’y a jamais habité.

Dès 1929, les faits d’état civil des ressortissants suisses sont enregistrés par l’officier de l’état civil dans

  1. les registres spéciaux, dans lesquels sont consignés les faits d’état civil au lieu de survenance de l’événement;
  2. le registre des familles, qui enregistre les mutations des familles au lieu d’origine.

Les registres spéciaux

Ils remplacent les registres paroissiaux après la laïcisation de l’état civil en 1876 et de l’obligation légale d’enregistrer tous les faits d’état civil survenus dans la juridiction de l’office de l’état civil concerné. Les naissances, légitimations, mariages et décès sont donc inscrits chronologiquement dans leur registre spécifique, sans distinction d’origine ou de nationalité.

Le registre des familles

D’abord « registres d’église » ils ne définissaient pas l’aspect global de la famille. Certains cantons introduisent donc un Registre civil complémentaire, qui regroupe les personnes ayant droit de cité (appelés « bourgeois »). Ces registres, dont les premiers datent de 1616, servent de modèle au registre des familles de l’état civil, introduit par le droit fédéral en 1929 dans toute la Suisse. Confié à la commune d’origine, ce registre rassemble tous les événements d’état civil des personnes qui en sont originaires. Cette centralisation permet d’établir un seul document (l’acte de famille) donnant à la fois une vision globale de la famille et prouvant la relation qui justifie le droit de cité. Utiles lors d’une succession, ces renseignements permettent également de reconstituer facilement l’histoire d’une famille et sa généalogie. 

Pluralité des lieux d'origine

On devient citoyen suisse par filiation ou naturalisation. Dans tous les cas le droit suisse exige que tout ressortissant possède un lieu d’origine. Toutefois divers événements permettent d’acquérir des communes d’origine supplémentaires, soit par des effet de droit, ou par désir personnel.

Nous vous en donnons quelques exemples non exhaustifs.

  1. Effets du mariage d’un couple de nationalité suisse.
    Jusqu’en 1992, l’épouse perdait son origine et acquérait celle de son époux. Les enfants prennent celle de leur père.
    Selon le nouveau droit entré en vigueur, l’épouse garde son ou ses lieux d’origine et prend, en sus, celui ou ceux de son époux. Par contre les enfants prennent uniquement celui ou ceux de leur père.

  2. L’agrégation
    Un citoyen établi dans une commune a la possibilité, s’il en exprime le désir, de demander l’indigénat, c’est-à-dire de prendre l’origine de son lieu de domicile. Cette origine s’ajoute à celle ou celles existantes. Elle est transmise à sa descendance.
    Cette pratique était courante jusqu’à la moitié du 20ème siècle jusqu’à cette époque, en cas d’indigence, la commune d’origine était responsable de ses ressortissants, de telle sorte qu’ils étaient « rapatriés ». Imaginez le désarroi de ces pauvres bougres arrivant dans une commune que la plupart ne connaissaient pas, dont les habitants parlaient peut-être une langue différente et surtout sans attaches personnelles…
    C’était donc pour pallier à cet inconvénient que les demandes d’indigénat étaient fréquentes et que bon nombre de nos concitoyens ont plus d’un lieu d’origine, étant donné que la nouvelle origine s’ajoute à celle qu’ils possédaient antérieurement.
    Actuellement, la prise en charge des indigents est du domaine des communes de domicile, ce qui évite évidemment ce douloureux « tourisme de la pauvreté ».

  3. Droit de cité d’honneur
    Les communes ont la possibilité d’octroyer la citoyenneté d’honneur à toute personne qui, pour des raisons particulières, a mérité d’être honorée par ses concitoyens.
    Cette pratique, rarement appliquée aujourd’hui était fréquente autrefois, à tel point que certaines familles ont encore à ce jour plusieurs lieux d’origine. A titre d’exemple, citons notamment la famille de Montmollin qui, au cours des différentes péripéties de ses ancêtres, est originaire de dix communes, soit Auvernier, Neuchâtel, Valangin, Les Genevez-sur-Coffrane, Montmollin, Dombresson, La Chaux-de-Fonds, Corcelles-Cormondrèche, la Brévine, et Provence, dans le canton de Vaud…

Nous espérons que ces quelques lignes vous permettront de comprendre notre système helvétique qui, à notre connaissance n’existe dans aucun pays sauf la Turquie qui a adapté ce précepte lors de la réorganisation de son administration à l’époque de Kemal Ataturc.

Notes

  1. Sources. « Mélanges », documents édités par la CIEC (Commission internationale de l’état civil)