Bulletin 26 / 2005

Les événements historiques qui ont conduit à la création du bataillon neuchâtelois des tirailleurs de la Garde à Berlin en 1814

par Bernard de Montmollin

Lors de la réunion de la Société neuchâteloise de généalogie du 20 mai 2005 aux Hauts-Geneveys, Monsieur Bernard de Montmollin nous a fait l’honneur de nous parler du Bataillon neuchâtelois des tirailleurs de la Garde à Berlin, ainsi que de son aïeul qui a servi dans ce corps. Nous vous donnons ci-après un résumé de sa conférence qui a été fort appréciée.

La déchéance de l’Empire de Napoléon a eu des effets directs sur la petite principauté de Neuchâtel. Je trouve cette tranche d’histoire intéressante car le Conseil d’Etat de Neuchâtel a dû conduire sa politique étrangère en fonction des événements internationaux

Le commencement de la fin de l’Empire napoléonien correspond à la bataille de Leipzig qui a duré du 16 au 19 octobre 1813. Cette bataille s’est terminée par la victoire de la coalition des trois monarques de Prusse, d’Autriche et de Russie. Les trois alliés allemands de Napoléon, Bavière, Wurtemberg et Saxe ayant passé à l’ennemi. 

Les coalisés doivent encore envahir la France. Les Autrichiens, pour ce faire, passent par la Suisse qui s’est déclarée neutre ainsi que la principauté de Neuchâtel. Cette neutralité est passive, dans ce sens qu’on ne s’opposera pas au passage des troupes.

Les Autrichiens de Schwarzenberg passeront le Rhin le 20 décembre et longeront le Jura en direction de Genève qu’ils libéreront du joug français le 31 décembre (fête de la Restauration). Un détachement de l’armée autrichienne passe la Thielle le 23 décembre (ce qui engage le gouverneur de Lesperut à fuir Neuchâtel) et s’installent à Neuchâtel. 

Cette occupation autrichienne pèse très lourdement sur les épaules de la population. Le Conseil d’Etat envoie alors une députation à Bâle où se trouve le QG des coalisés pour demander à Frédéric Guillaume III de reprendre Neuchâtel afin que les Autrichiens comprennent qu’ils sont en territoire ami. Frédéric Guillaume III accédera à ce désir.

Les alliés arrivés à Paris exigent et obtiennent que Napoléon abdique le 2 avril et qu’il se contente de régner sur l’île d’Elbe. Le prince Berthier n’abdique que le 3 juin en recevant une pension du roi de Prusse.

De Londres où il se trouve le 18 juin, Frédéric Guillaume III fait parvenir à Neuchâtel une charte constitutionnelle parfaitement conforme au régime et aux franchises d’avant 1807. Il y est question de la création d’un bataillon neuchâtelois des tirailleurs de la garde, ce que le Conseil d’Etat avait sollicité un mois auparavant. Le Conseil d’Etat désirait en effet la création de ce bataillon pour y envoyer les débris du bataillon des « Canaris » dont on ne savait que faire dans le pays, car il s’agissait d’hommes qui ne connaissaient que le métier des armes et menaient la « folle vie ».

De son côté Frédéric Guillaume III avait appris que ses prédécesseurs voyaient avec peine des compagnies neuchâteloises au service de France combattre contre leur Prince, ce qui s’était produit à Rossbach en 1757.

C’est de Paris le 19 mai qu’est adressées au Conseil d’Etat la déclaration suivante:

« Sa Majesté a décrété de prendre à son service un corps de troupes recruté dans la Principauté de Neuchâtel d’après les mêmes principes qui régissent le recrutement des corps de troupes neuchâtelois au service de la France ».

Il faut savoir que le service étranger était bien connu à Neuchâtel par les capitulations avec le roi de France auxquelles s’ajouta après 1690 le service de Hollande et de Grande Bretagne. Ce sont les Neuchâtelois qui pour des raisons de politique étrangère se mirent au service des Provinces Unies.

Le Conseil d’Etat s’empressa de faire connaître à la population cette décision par cette déclaration:

«Le Conseil d’Etat s’empresse de rendre public un nouveau témoignage des gracieuses intentions du Roi. Sa Majesté, satisfaite des sentiments que les Neuchâteloise n’ont cessé de marquer à la Maison royale et surtout à son Auguste Personne et voulant leur donner une preuve distinguée de sa confiance et de son affection, a déterminé qu’il serait levé, par la voie d’enrôlements volontaires, un bataillon de chasseurs neuchâtelois qui fera partie de la garde. Ce bataillon sera fort de 429 hommes y compris 23 officiers. Les  engagements de soldats seront de cinq Louis et la durée de ses engagements de 4 ans. Le major comte Gustave de Meuron a été nommé commandant et est chargé de sa levée. Les Neuchâtelois ne sauraient manquer de zèle pour profiter des dispositions de Sa Majesté. Ils seront fiers d’être associés à une armée qui vient de se couvrir de tous les genres de gloire et ils sauront mériter cette faveur non moins par leur discipline que par leur valeur ».

Il est intéressant de noter que la charge de ce bataillon était partagée entre Neuchâtel et Berlin. Le Conseil d’Etat de Neuchâtel était responsable du recrutement, de l’habillement des recrues et de leur formation de base.

Très vite, le recrutement fut le grand souci du gouvernement. Il disposait d’un officier recruteur qui devait, éventuellement avec un médecin, juger si le candidat était apte au service de la garde du Roi. La recrue devait avoir de 17 à 40 ans, ne devait pas être trop petit, bossu ou défiguré. C’est Neuchâtel qui devait fournir à chaque recrue son uniforme et quand après 4 ans il rentrait du service, il devait recevoir un habit civil. C’est à Neuchâtel que la recrue devait recevoir sa formation de base, étant logé à la caserne de  l’Ecluse.

Neuchâtel était en plus responsable de conduire les détachements de recrues jusqu’à Mayence, ce qui se faisait à pied jusqu’à Bâle et en descendant le Rhin en bateau jusqu’à Mayence. A Mayence c’était le bataillon qui prenait la responsabilité du détachement des recrues.

Ce bataillon a perduré au-delà de la révolution de 1848. Il a joué son rôle de garde royale et a participé aux campagnes menées par la Prusse au Schleswig Holstein en 1848, à Sadowa en 1866 et en France en 1870.

Bibliographie

  • Lt col de Maudrot, Musée Neuchâtelois – 1868, page 205
  • Lt Eugène Vodoz, Le bat. neuch. des tirailleurs de la garde 1902
  • Correspondance du Lt Leo DuPasquier, Musée neuchâtelois 1900 et 1901