Bulletin 32 / Septembre 2007

Famille Grandjean de Buttes, émigration et installation en Pays de Vaud

par Christian Grandjean, Juriens VD

Il était une fois…un dénommé Pierre Juvet Besson vivant au 15ème siècle à Buttes, village où vécurent ses prédécesseurs. Homme de pauvre condition, taillable du Comte de Neuchâtel, laboureur mainmortable, il vivait là en subissant très humblement sa modeste condition.

Son fils Humbert Juvet, décédé avant 1550, eu 2 fils, le premier dénommé Pierre Juvet et le deuxième appelé GrandJehan Juvet mort avant 1593. C’est ce dernier qui est à l’origine de notre patronyme et de notre famille. 

De GrandJehan Juvet, décédé avant 1593, à Guillaume GrandJehan, né avant 1620 et décédé après 1685, 4 générations se sont succédées à Buttes en vivant toujours très modestement et en ne constatant que peu d’amélioration dans leur quotidien. Ces familles vivaient dans la crainte des guerres, des invasions, des maladies ainsi que de la famine.

Les terres du Comte Souverain de Neuchâtel et Valangin n’étaient pas des plus sûres et le voisinage du Pays de Vaud, occupé par les Bernois depuis 1536, faisait des envieux car la vie vaudoise y était plus organisée, la sécurité garantie et l’approvisionnement en période de disette gérée de façon centralisée. Ceci offrait, aux paysans en particulier, l’accès à l’alimentation pendant la période hivernale difficile. De plus le stockage obligatoire des semences dans les Maisons Fortes occupées par les Baillis Bernois garantissait aux agriculteurs, dès le premier printemps, la mise à disposition des semences nécessaires à la mise en place des cultures de blé, orge, épeautre, lentilles, lins etc. Contrairement aux idées reçues, l’Occupation Bernoise fut une période contraignante mais bénéfique pour les vaudois mal organisés. Ces « occupants » apportèrent la Réforme bien sûr, mais aussi l’ordre, la discipline, l’organisation civile et militaire ainsi que la mise en place d’une justice équitable pour tous. En bref, tout ce qui pouvait rendre la vie plus sûre en ces périodes d’incertitudes pour ces modestes familles d’agriculteurs qui se trouvaient bien souvent dans l’incapacité de faire prospérer leurs biens à cause, entre autres, des nombreux conflits locaux.

Claude GrandJehan, arrière petit–fils de GrandJehan Juvet, fut affranchi en 1628 à Buttes. Cité, toujours à Buttes, en 1659, il fut ensuite déclaré absent du pays. Son fils Guillaume est à l’origine de la branche vaudoise. En effet, Guillaume devait savoir lire et écrire car il s’installa en 1641 à Bofflens, commune vaudoise faisant partie du Baillage de Romainmôtier, certainement en qualité d’instituteur. L’autorité Bernoise avait interdit l’usage du patois et rendu l’école obligatoire pour tous, obligeant ainsi les autorités  communales à installer un « régent » dans chaque village. C’est certainement cette situation qui a provoqué le départ de Guillaume. Il se déplace ensuite à Romainmôtier où il est cité en qualité de « Teneur d’Horloge » en 1642. Marié une première fois à Suzanne Gabrarhdt il se remarie en deuxième noce avec Suzanne Tachet. De ces deux unions naquirent 10 enfants dont Joseph, baptisé en 1641 que l’on retrouve adulte à Buttes !

Des enfants de Guillaume, nous allons retenir Elisabeth, née avant 1660 et morte en 1724, mariée à Georges Luquiens agriculteur de Juriens, sans enfants et Olivier qui fut nommé instituteur en 1705 à Juriens, toujours dans le Baillage de Romainmôtier, puis secrétaire communal en 1711. Il logeait dans un appartement mis à disposition par la commune.

Elisabeth devait se retrouver veuve sans enfants très tôt et son frère Olivier ne pouvait pas vivre de son maigre traitement de régent. C’est donc naturellement qu’Olivier se mit à pratiquer l’agriculture pour et avec sa sœur. Très vite, il loue des parcelles de terre à la
commune, détient un taureau propriété de la dite commune et devient un citoyen installé. Son fils Jean-Pierre fut aussi régent et agriculteur.

Elisabeth, qui était à l’aise financièrement déjà avant son mariage, transmit quelques biens à ses neveux et nièces ainsi qu’à la bourse des pauvres de Juriens et nomma son frère Olivier comme son unique légataire lors de l’établissement de son testament le 25 février 1724. C’est ainsi que le modeste instituteur et secrétaire de commune devint agriculteur et propriétaire d’une ferme et d’un domaine que j’exploite à ce jour après 10 générations installées dans ce canton de Vaud.

La période vaudoise s’étalant de 1640 à 1803 fut une période assez prospère pour ces familles d’agriculteurs qui se sont succédées dans ce village de 200 habitants répartis sur 1000 hectares, dont 460 de forêts. Certes la lourde patte  de l’ours bernois a fait régner l’ordre public, garantissant ainsi une certaine prospérité destinée à s’attacher les sympathies des Baillis qui ne pensaient qu’à s’enrichir rapidement. Mais à l’époque le vaudois était envié de ses voisins et la branche Grandjean de Juriens pouvait envisager l’avenir de façon plus sereine que les cousins établis ou retournés sur les terres des Seigneurs neuchâtelois.

Le joug imposé par Leurs Excellences de Berne garantissait toutefois la libre circulation de ses sujets et David Grandjean, petit-fils d’Olivier, se mit à commercer des tissus en provenance de la région de Lyon. Les deux fils de David, Jean-Louis né en 1757 et Jean-Pierre né en 1762, menèrent des affaires très prospères ce qui leur permit de construire une ferme qui existe toujours. Il faut préciser que notre famille s’est souvent alliée par mariage à la famille Benoit, Huguenots assez aisés qui avaient fuit les persécutions religieuses en France. Cette famille, provenant du Dauphiné, avait transité par la Gazelle en Haute-Auvergne avant de s’installer à Juriens dès 1712. De solides liens avaient été entretenus avec une famille Macaire ou Maquaire, originaire de Pont-en-Royans (situé à 75 km au sud-est de Lyon) maintenant ainsi de bons contacts commerciaux entre les deux régions, toutes deux à forte sensibilité protestante.

Plus proche de nous, le terrible cyclone de 1935 a dévasté une grande partie des forêts communales de Juriens et des environs, ce qui permit à mon grand-père Willy et à son frère Jules de mettre en place un commerce de bois prospère qui est tenu à ce jour par mes petits cousins. Jules Grandjean, né en 1901, a été syndic, député, président du Grand Conseil vaudois en 1954 et Conseiller National. Il faut relever que le père de Jules et Willy fut boursier communal pendant 40 ans, donnant ainsi un certain exemple à ses enfants. Jules né en 1901 a acheté pendant des décennies les bois de la commune de Buttes. 

Les modestes laboureurs de la Baronnie du Vaulx Travers sont devenus des citoyens libres et bien intégrés dans ce village de Juriens: six d’entre eux sont devenus syndics de cette commune pendant le 20ème siècle. En 1960, sept exploitations agricoles étaient tenues par une famille Grandjean et aujourd’hui notre patronyme est intimement lié à l’histoire contemporaine de notre région.

Ce résumé se base sur 660 pages de documents d’archives sauvegardées et classées par mon arrière grand-mère Amélie Grandjean Chanson, institutrice.

Juriens, novembre 2006