Bulletin 33 / Décembre 2007

Sur les traces des anabaptistes du Jura

par Françoise Favre

Sortie de printemps du samedi 9 juin 2007 en collaboration avec le Cercle de généalogie de l’Ancien évêché de Bâle.

Profitant du programme « 2007 – Année des anabaptistes », une initiative visant à commémorer l’histoire du mouvement anabaptiste, nous sommes une quarantaine de membres de la SNG et du CGAEB à aller à la découverte du mouvement anabaptiste et de ces familles parties de l’Emmental pour venir chercher refuge dans nos montagnes au 17e et 18e siècle.

Si nous avons rendez-vous au CIP de Tramelan, c’est que la chapelle mennonite de Jean Gui, bien que figurant sur les cartes, ne se trouve pas si facilement ! Depuis Tramelan, il faut bien connaître le chemin pour trouver la petite route de campagne étroite et sinueuse qui mène à une large plaine d’altitude (1000 m) où sont plantées ça et là quelques fermes, entourées d’un jardin soigneusement entretenu et fleuri. Et puis soudain, au milieu de nulle part, un panneau « Ecole » et juste derrière, un bâtiment neutre avec une double rangée de fenêtres, à côté d’une très belle ferme dont l’architecture trahit l’origine des constructeurs. Nous sommes au Jean Gui.

Nous y sommes accueillis par Michel Ummel (qui nous a guidé de Tramelan à Jean Gui) , responsable de la communauté mennonite du lieu. Il nous invite à pénétrer dans la Chapelle et durant une bonne heure – mais il raconte si bien que nous l’aurions écouté bien plus longtemps! – il nous introduit dans le monde anabaptiste.

Qui sont ces "anabaptistes" ?

Il faut dire d’emblée qu’ils n’ont pas laissé d’archives historiques, ni de témoignages imprimés. C’est donc de façon indirecte, par ce que d’autres ont dit d’eux, que nous les connaissons. Ils ne se sont pas désignés non plus eux-mêmes d’anabaptistes, mais ce nom leur a été attribué par leurs contemporains, à l’époque de La Réforme, pour avoir pratiqué des re-baptêmes, une pratique tout à fait illégale.

Depuis Constantin, le pape et l’empereur se partagent le pouvoir. Au 16e l’autorité politique s’identifie au christianisme et combat tout ce qu’elle estime être une manifestation d’hérésie. Or le mouvement anabaptiste va se distinguer en refusant le lien entre l’Eglise et l’Etat et le modèle d’une Eglise d’Etat basée sur la contrainte. Il va prôner la liberté pour l’individu de professer librement sa foi. Au baptême « automatique » des petits enfants, il oppose un baptême d’adulte librement choisi. Pour toutes ces raisons, les anabaptistes sont considérés comme dangereux par les autorités politiques de l’époque et vont être discriminés, condamnés, persécutés, éliminés.

Pourquoi sont-ils venus dans le Jura ?

Pour chercher un refuge ! Si les Zurichois ont réussi assez tôt à « éliminer » les anabaptistes chez eux, les Bernois n’y sont pas aussi bien parvenus. Un grand nombre d’entre eux ont pu résister dans l’Emmental jusqu’au 17e siècle. Mais la pression se fait de plus en plus forte. La création dans le canton de Berne d’une « Chambre des anabaptistes », tribunal spécial destiné à lutter contre ce qui était considéré alors comme une hérésie, va provoquer une émigration dans les communautés de l’Emmental. Des familles cherchent refuge dans les hautes plaines du Jura, sur des terres appartenant au Prince évêque de Bâle où ils seront tolérés.

Les anabaptistes arrivent au début du 18e siècle avec trois préoccupations principales: survivre et nourrir leur famille, instruire leurs enfants pour qu’ils puissent lire la Bible et célébrer leur culte. C’est la triade église-ferme-école. Ils vont se faire discrets, vivant retirés dans la montagne et à l’écart de la population locale. Ils parlent leur dialecte suisse alémanique, ils ne vont pas à l’église et ne baptisent pas leurs enfants… et ils travaillent le dimanche, considérant que chaque jour est le jour du Seigneur !

Ils vivent pratiquement en autarcie, et on peut admirer au passage les champs et les cultures, la façon dont ils ont su mettre en valeur les terres en fonction du climat rude du Jura.

Au début, ils se réunissent dans des fermes ou des lieux retirés comme la Chapelle des Chèvres – une grotte dans la forêt. Plus tard, à la fin du 19e , ils commenceront à construire des églises, en adoptant une architecture fonctionnelle: une grande salle de classe au rez-de-chaussée et une chapelle au premier étage. Extérieurement, le bâtiment ressemble à une ferme. Pas de clocher, discrétion oblige.

Anabaptistes ou mennonites ?

L’histoire du mouvement anabaptiste est marquée par plusieurs scissions.

Au 16e siècle, après le désastre de Münster pendant la guerre des paysans, le hollandais Menno Simon (1496-1561) rassemble l’aile pacifique du mouvement. La reine de Hollande désignera alors les anabaptistes sous le nom de « mennonites », une appellation qui leur restera.

Plus tard, un autre groupe mené, par Jacob Amman, sera à l’origine des Amish. La Constitution de 1874, qui rend le service militaire obligatoire pour tout Suisse quelles que soient ses convictions religieuses va provoquer une nouvelle vague d’émigration, vers les Etats-Unis cette fois.

Les Archives et la bibliothèque mennonites

Après cette introduction, nous descendons au sous-sol qui abrite des trésors: de très anciennes bibles – dont une Bible Froschauer de 1534 – des recueils de cantiques, des registres de charité, la caisse des pauvres de la communauté (une cassette en bois avec un couvercle coulissant), du matériel scolaire, des objets divers comme des coupes ou des verres de mariages datant de 1847… et même de très beaux arbres généalogiques de familles mennonites, dessinés par un ancien instituteur.

La Chapelle des Chèvres

Après un excellent repas au CIP de Tramelan, Daniel Gerber vient nous chercher pour nous conduire à la Chapelle des Chèvres. Nous partons en direction de Bellelay, Châtelat, jusqu’à l’entrée des gorges du Pichoux où nous laissons les voitures. De là, à pied, par un joli sentier forestier ombragé, nous grimpons pendant une quinzaine de minute. La grotte est là humide et fraîche après les pluies de ces derniers jours. Monsieur Gerber nous raconte l’histoire – transmise oralement par les anciens – de cette grotte où se célèbre encore un culte tous les 2 ans au mois d’août. Au fond de la grotte, une plaque rappelle le souvenir des événements passés.

Il fait bon et Monsieur Geiser est tout aussi passionnant que Monsieur Ummel, de sorte que nous avons du mal à quitter ces lieux. Nous finirons la journée à l’hôtel de l’Ours à Bellelay autour d’un rafraîchissement.

Quelques dates

1525 – Apparition du mouvement anabaptiste

1527 – La confession de foi de Schleitheim, 7 articles concernant le baptême, la Cène, la non-violence

1544 – Mandement de Georges de Rive, gouverneur de Neuchâtel, contre les anabaptistes
1496-1561 – Menno Simon, anabaptiste néerlandais, rassemble l’aile pacifiste du mouvement
1571 – Dernière exécution officielle dans le canton de Berne: Hans Hasibacher est condamné au bûcher
1693 – Séparation entre Jacob Amann (les Amish) et les anabaptistes suisses
1659-1743 – Création / Abolition de la Chambre anabaptiste, sorte de tribunal contre les anabaptistes dans le canton de Berne
18e siècle – Les Emmentalois trouvent refuge dans le Jura
1874 – La Constitution suisse, défavorable aux anabaptistes, provoque une nouvelle émigration.