Bulletin 37 / Mai 2009

Nouveau projet de réforme du nom de famille

Veut-on détruire la mémoire des familles suisses ?

par Eric Nusslé

Souvenez-vous… un précédent projet de réforme du nom de famille avait été rejeté en votation populaire en 2001 après sept ans d’âpres discussions au sein des différents milieux concernés. Eric Nusslé, conservateur de la Fondation Archives Vivantes à La Côte-aux-Fées – qui abrite en quelque sorte la mémoire des familles suisses – attire l’attention sur les aspects pervers de ce projet.

Nom de famille : quelle origine ?

Les Romains et les Gaulois possédaient déjà un nom de famille, mais il est abandonné au Moyen Age. Les noms romains répondaient à la règle des tria nomina, c’est-à-dire qu’ils de composaient de trois parties : le prænomen (notre prénom) le nomen ou gentilice (assimilable au nom de famille ou patronyme) et le cognomen (surnom). Ainsi, par exemple, le nom complet de Jules César était Caius Iulius Cæsar, celui de Cicéron Marcus Tullius Cicero, etc. Tout citoyen romain descendant d’une même famille portait ainsi le même nom se terminant en -ius. Dans les textes, le nomen des femmes prenait une forme féminisée telle que Iulia et Tullia, alors que les esclaves n’étaient désignés que par leur prénom et que les affranchis conservaient le plus souvent leur prænomen d’origine  auquel venait s’ajouter le nomen du maître qui les avait affranchis. Les pérégrins, hommes libres non citoyens, étaient nommés par leur prénom suivi de leur filiation alors que les personnes qui accédaient à la citoyenneté romaine prenaient le nom de celui qui avait favorisé leur naturalisation, suivi de leur ancien nom.

Le christianisme ayant donné une importance prépondérante au saint patron, on désigne les individus par leur nom de baptême, et ceci jusque vers le XIIe siècle. Seules les famille dynastes y ajoutaient le nom de leur fief. On ajouta ensuite un surnom aux gens du peuple afin de distinguer ceux qui portaient le même prénom. Ce surnom dérivait le plus souvent du nom de leur terre, leur métier ou leur fonction, voire du prénom de leur père, car ceux-ci se transmettaient souvent d’une génération à l’autre. Il faut attendre le XVIe
siècle pour que les noms de famille se fixent. Pour la petite histoire, il existe deux exceptions à la règle en vigueur en Europe occidentale : celui de l’Islande, où le patronyme se compose du prénom du père suivi du suffixe -son pour les hommes et -dottir pour les filles… Le second étant celui de la principauté de Neuchâtel avec ses prénoms doubles ou triples tels que Robert-Charrue ou Grandjean-Perrenoud-Comtesse. Nous y reviendrons peut-être un jour…

Situation actuelle : un système qui a fait ses preuves

L’évolution démographique et culturelle de notre civilisation a fait que, depuis environ deux millénaires mais avec une interruption importante au Moyen Age, les individus appartenant à une même famille ou à un même clan portent le même nom. Deux aspects sont toutefois à distinguer, celui de l’alliance et celui de la filiation. Pour le premier, la législation suisse actuelle (Art. 160 CC) stipule que le nom de famille des époux est le nom du mari (premier alinéa) ; la fiancée peut toutefois déclarer à l’officier d’état civil vouloir  conserver le nom qu’elle portait jusqu’alors, suivi du nom de famille (2e alinéa) ; lorsqu’elle porte déjà un double nom, elle ne peut faire précéder le nom de famille que du premier de ces deux noms (3e alinéa).

Le second aspect, celui de la filiation, suscite encore plus la controverse… La loi stipule en effet (Art. 270 CC) : L’enfant de conjoints porte leur nom de famille (1er alinéa), soit celui du mari ; l’enfant dont la mère n’est pas mariée avec le père acquiert le nom de la mère ou, lorsque celle-ci porte un double nom à la suite d’un mariage conclu antérieurement, le premier de ces deux noms (2e alinéa). Dura lex sed lex.

Cela a l’avantage d’être clair mais ne reflète, je le concède, pas forcément une conception idéale de l’égalité des sexes. Certains ont imaginé un système qui autoriserait le libre choix du nom de famille, la femme et le mari pouvant garder chacun le sien ou choisir en commun un des deux patronymes. La même liberté serait offerte pour le choix du nom transmis aux enfants ; la loi tranchant pour celui de la mère en cas de désaccord. A  première vue, ce n’est pas si compliqué ; essayez néanmoins, rien que pour la beauté de l’exercice, d’imaginer ce que cela pourrait donner trois ou quatre générations plus tard – la durée d’une vie – en étudiant pour chacune toutes les possibilités, dans le cadre du  mariage, hors mariage et pour une famille recomposée ! Même le généalogiste y perdrait son latin !

Patronyme ou matronyme : l’appartenance à une lignée

On parle de patronyme lorsque le nom de famille d’un individu est celui de son père et de matronyme lorsqu’il s’agit de celui de sa mère. Le choix du nom qui sera porté par les enfants existe donc déjà mais il faut y penser avant de se marier ! Pourquoi vouloir choisir l’un plutôt que l’autre ? Une certaine logique pourrait alors faire pencher pour le matronyme ; on est, en principe, toujours certain de la mère. Mais cela deviendrait un peu réducteur pour le père dont le rôle se limiterait alors à celui de simple reproducteur… Et que se passerait-t-il en cas de procréation assistée par le recours à un tiers, que soit par le don d’un ovocyte ou de celui de sperme ? L’égalité est une notion, un concept qu’il faut à chaque fois réinventer. Non, croyez-moi, le système actuel a fait ses preuves ; il reste d’actualité et prend en compte tous les cas particuliers. Le nom de famille est celui de la lignée, qu’elle soit paternelle ou maternelle. La lignée n’est pas forcément biologique mais est avant tout culturelle. Le matronyme rattache l’enfant à la lignée de la mère, alors que le  patronyme le rattache à celle du père, qu’il soit biologique, adoptif ou plus prosaïquement putatif. Le père devrait donc pouvoir transmettre son patronyme, et par là confirmer l’appartenance à sa lignée, à tout enfant reconnu par lui. La famille, l’un des piliers de notre
civilisation, repose sur ce principe simple qui ménage une certaine équité et permet à chacun, le cas échéant, de retrouver ses racines.