Bulletin 37 / Mai 2009

Réflexions de Pierre-David Perrinjaquet en 1847
La politique en Europe

par Liliane Péguiron-Grisel

Le texte ci-dessous est un commentaire savoureux écrit par un contemporain de la guerre du Sonderbund. Il se trouve à la fin d’un cahier de comptes rédigé par mon trisaïeul Pierre-David Perrinjaquet. Celui-ci était un paysan charpentier, cultivant un domaine aux Oeillons sur Travers. Né en 1769, il est mort en 1853.

Le cahier de 1847 dont il est question tient lieu à la fois de journal et de livre de comptes, où sont notés le temps qu’il fait, les sommes reçues ou prêtées, les chars de foins rentrés, les chars de bois livrés, etc. , ainsi que les enterrements à Travers. Il nous est resté quatre cahiers : 1805, 1837,1847, et 1850.

En fin de cahier, Pierre-David écrit un bref commentaire sur l’année écoulée, notant principalement la qualité ou l’abondance des récoltes. Le texte de 1847 sort du lot par sa longueur et sa véhémence ; il semble presque qu’on entend parler le personnage et même qu’on le voit comme si on y était.

L’écriture est belle et soignée, fine et serrée, sans marges ni ratures. Au cours de cette année 1847, il n’est fait aucune allusion à des troubles politiques, sinon une prière au culte en octobre, et à deux reprises, les fils sont allés monter la garde, une fois à la Clusette et une autre au château de Travers.

Pierre-David ne mentionne pas le Sonderbund. C’est moi qui ai ajouté les titres et rectifié l’orthographe.

La politique des puissances de l’Europe n’a rien offert de bien interrogeant pendant l’année qui vient de s’écouler. L’Angleterre s’est principalement occupée à soulager les pauvres habitants de l’Irlande; la France s’occupe de son commerce et de sa colonie d’Alger; l’Espagne et le Portugal ont étouffé la révolte chez eux ; le Pape fait tous les jours des concessions. Le roi de Sardaigne va très bien ; le Royaume de Naples a eu quelques secousses et les Ducs et petits souverains d’Italie ont eu quelques petits mouvements chez eux ; la Belgique et la Hollande suivent leur industrie ; la Confédération du Rhin va toujours son train; l’Autriche, malgré son étendue, est bien tranquille ; la Suède et le Danemark sont parfaitement tranquilles et il semble qu’ils se ressentent de la grande froideur de leur climat ; l’empereur de Russie, malgré son empire colossal, est bien tranquille en Europe et il soutient la guerre avec succès dans le Caucase en Asie. L’empereur des Turcs, quoiqu’il ne soit pas chrétien, cependant il serait à souhaiter que la Diète suivit son exemple pour apprendre à connaître les principes de sagesse qui leur manquent, aussi bien que tout principe de justice.

Aperçu du manuscrit de David Perrinjaquet

La guerre du Sonderbund

Si les puissances de l’Europe n’ont point eu de bien remarquable dans leur politique, il n’en va pas de même en Suisse, car la Diète a décrété une guerre qui la déshonore pour toujours : un fanatisme révolutionnaire s’est emparé des esprits dans les grands cantons de manière qu’ils en sont venus à jurer la perte des cantons catholiques et on a tout mis en usage pour cela. On a d’abord voulu attaquer les Jésuites, et on a fait une levée de 80 mille hommes pour chasser hors de la Suisse une trentaine de Jésuites, et avec cette masse de troupe, ils ont attaqué les cantons catholiques et les ont écrasés et pillés et dévastés. Ils les ont occupés militairement presque tout l’hiver. Ils se sont emparés de tous les biens des Jésuites, et ils ont aussi pouillé (sic) tous les couvents et en un mot toutes les corporations religieuses et tous les individus qui avaient du bien ; et de plus ils ont mis en contribution les cantons vaincus pour une somme de plus de cinq millions.

Voilà ce qu’il en a coûté à des peuples qui ont voulu défendre leurs biens, leurs droits, leur liberté et surtout leur souveraineté cantonale ; ils ont pillé jusqu’au couvent au sommet du Grand Saint Bernard. Ils ont fait des frais immenses et pour les couvrir il a fallut taxer les fortunes et jamais la Suisse ne réparera la faute qu’elle a faite. Le canton de Neuchâtel, qui a voulu rester neutre et qui a refusé son contingent, a été taxé, outre son contingent, à la somme de trois cent mille francs suisses.

Echallens, le 31 janvier 2008, Liliane Péguiron-Grisel