Bulletin 38 / Septembre 2009

La peine de bannissement à Neuchâtel de 1848 à 1891

rapportée par Françoise Favre, secrétaire

Causerie donnée par Karim Boukhris,
le vendredi 13 mars 2009 à 19 h 30 au Café de l'Union à Fontainemelon

Monsieur Karim Boukhris, historien, prépare actuellement une thèse sur la justice criminelle dans le canton de Neuchâtel après 1848. Il a accepté de nous présenter le sujet de son mémoire de licence.

Choix du sujet et méthode

Pourquoi s’être intéressé à la peine de bannissement? Parce que c’est une peine particulière, très courante dans l’Ancien régime, qui disparaît dans le canton de Neuchâtel en 1891, mais qui a été abolie en Suisse en 2007 seulement !

L’auteur a commencé par analyser la législation, puis il a fallu dépouiller les procédures criminelles de 1848 à 1876 (après cette date, les procédures criminelles ne sont plus collationnées aux archives).

Il s’est en particulier attaché à étudier la répression du vol, délit très fréquent et souvent puni de bannissement.

Que volait-on ? La plupart du temps des petites choses : des mouchoirs, du linge que la voisine a mis à sécher, quelques petites pièces de monnaie… C’est une époque où l’on est très attaché à son bien. Un mouchoir pouvait être vendu ou troqué contre un repas à l’auberge, et le voleur d’un mouchoir passait devant le même tribunal que l’assassin.

Qui étaient ces voleurs ? Des petites gens, 90% étaient des hommes.

Qu’est-ce que le bannissement ?

C’est une peine pénale, prononcée par un tribunal criminel (et non par une autorité administrative).

C’est une peine très ancienne, déjà mentionnée dans le code d’Hammourabi (1750 av. JC). Mais on la trouve aussi dans le droit grec (avec une forte connotation religieuse) et dans le droit romain (sous des formes diverses).

C’est une peine présente partout. Chez nos voisins français, le bannissement punissait un crime politique, tandis que l’expulsion est une peine réservée aux étrangers. Dans le canton de Vaud, une partie de la peine de prison pouvait être convertie en peine de bannissement. Dans le canton de Berne, on pouvait être banni de certains lieux où territoires seulement (par exemple la ville de Berne).

C’est une peine très fréquente jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, qui représente 60% des sanctions.

Pourquoi un tel succès ? D’abord parce que c’est une peine qui ne coûte rien ! C’est une peine souple, puisqu’on peut en moduler la durée et le lieu, qui ne fait pas concurrence à la peine de prison.

Cette peine est assortie d’une peine corporelle publique, c’est donc une peine exemplaire, qui veut inspirer la crainte (principe de prévention). Enfin c’est une peine infamante qui correspond à une mort civile.

Evolution du bannissement dans le canton de Neuchâtel

Jusqu’en 1862, on est dans le droit coutumier. La peine de bannissement s’applique à toute personne vivant sur le territoire neuchâtelois, sans distinction, jusqu’en 1807. Ensuite, dans les faits, les Neuchâtelois sont bannis pour un certain temps, tandis que les non-Neuchâtelois sont bannis à vie.

A partir de 1848, la peine de bannissement est réservée aux non-Neuchâtelois, et on ne bannit plus les Neuchâtelois.

Avec la révision de la Constitution fédérale, en 1874, le bannissement d’un citoyen suisse devient anticonstitutionnel. Seuls les non-Suisses sont passibles de bannissement, mais dans les faits, le nombre d’étrangers bannis va passer de 80% à 20%.

La peine de bannissement est officiellement supprimée en 1891 dans le canton de Neuchâtel.

Qui est étranger ?

Au 19e siècle, Neuchâtelois et non-Neuchâtelois (pour ces derniers après une certaine durée de séjour) ont des droits politiques et participent à la vie de la commune. La naturalisation est facilité pour tous les non-Neuchâtelois.

Peu à peu, on va mettre des barrières, et à partir de 1889, on va faire une distinction claire entre Neuchâtelois et confédérés d’une part, et étrangers d’autre part.

La répression du vol

L’analyse a été faite sur une base de données comprenant 1410 condamnations pour vol.

L’observation montre qu’il y avait une nette différence de traitement entre Neuchâtelois et non-Neuchâtelois. Ces derniers étaient condamnés au bannissement dans 80% des cas, alors que les Neuchâtelois ne l’étaient jamais, sauf rares exceptions.

Par contre, il y avait peu de différence de traitement entre confédérés et étrangers, même si la peine de bannissement ou de prison était un peu plus longue pour ces derniers.

Le sort des bannis

On a très peu d’information sur ce qu’il advenait des bannis. Le condamné était amené à la frontière par les gendarmes qui le laissaient là avec interdiction de revenir sur le territoire neuchâtelois.

Même dans les cas de rupture de ban, on ne s’intéresse pas à la manière dont les bannis ont survécu, ni à la vie qu’ils ont menée hors du pays. Dans les faits, il y a eu très peu de ruptures de ban. On peut donc supposer que les bannis se sont installés et intégrés ailleurs, souvent assez près de la frontière, pour garder le contact avec leur famille, leurs amis, leurs relations, voire leur travail.

Disparition de la peine de bannissement

A la fin du 19e siècle, cette peine multimillénaire, précédemment très souvent appliquée, va disparaître sans bruit. C’est qu’elle ne correspond plus à la mentalité, surtout depuis que la peine corporelle qui l’accompagnait et qui la rendait publique a été abrogée, car elle ne remplit plus sa fonction de prévention.

D’autre part, elle n’est plus efficace, puisqu’elle ne concerne que les étrangers, qui représentent environ 10 à 15% des condamnés seulement (50% sont des confédérés et 35 à 40 % des neuchâtelois).

Enfin, on commence à s’intéresser à la personne du condamné et à vouloir lui donner les moyens de se corriger. On se rend compte que la peine du bannissement pousse le banni (et sa famille) à la mendicité, à la misère, et donc au crime. Peu à peu, la peine de prison va devenir la peine par excellence.