Bulletin 4-5 / Décembre 1996

Borel fondateur des câbleries

François-Arnold Borel, fondateur des câbleries et sa famille

Résumé de l'exposé de Mme Monique Béguin-Borel

Publié intégralement dans « Les descendants de Valcherius Borel », vol. 4, à consulter aux Archives cantonales neuchâteloises.

Sources

  • Biographie faite par Aymon de Mestral, dans la série Pionniers suisses de l’économie et de la technique. Zurich 1964.
  • Correspondance de François Arnold Borel, copiée dans 10 volumes de 500 p. chacun, aux mains de notre conférencière

Alexandre Virgile Borel (1806-1874)

Tout d’abord, voyons qui était le père de François Borel. Alexandre Virgile Borel est né à Môtiers le 11 novembre 1806, fils de Jacques Henri, officier de santé, et d’Anne dite Nanette Yersin, de Rougemont dans le Pays d’Enhaut. Il connaît une enfance assez difficile, son père ayant plusieurs fois maille à partir avec la justice. Aussi, est-il placé de bonne heure comme berger sur le Mont de Boveresse. Selon une tradition familiale, il ne fréquente que pendant six semaines l’école communale, mais sa vive intelligence lui permet de devenir un autodidacte remarquable. Grâce à la protection de braves Covassons, il fait un bon apprentissage de mécanicien-horloger chez Abraham Henri Borel-Jaquet. D’abord ouvrier chez son ancien maître d’apprentissage, puis patron d’un petit atelier, il invente la fraise à arrondir les dentures des roues d’horlogerie et de la machine qui les utilise. Après bien des recherches, il découvre un excellent procédé de trempe pour ses fraises. Voici les souvenirs qu’en garde son fils François (cf. lettre du 5 janvier 1916 adressée à un Covasson) : … « Mes premiers souvenirs datant de 1848 me font voir mon père dans son petit atelier réservé, occupé à la taille des fraises à arrondir. … Jusqu’en 1855, quelques clients lui demandaient encore de temps en temps quelques limes à arrondir les dents de roues. Outre les fraises à arrondir, il fabriquait tous les genres de fraises utilisées en horlogerie, fraises qui lui étaient demandées de toutes les contrées horlogères de la Suisse et de l’étranger. Je ne puis vous préciser en quelle année il a débuté dans la fabrication des fraises, il devait en fabriquer lors de son mariage en 1838, c’est tout ce que je puis vous dire. »

Virgile est un républicain convaincu. En 1831, il se joint à la colonne républicaine avec ses frères Auguste, Horace et Charles Aimé. Il occupe du 13 au 27 septembre 1831 le château de Neuchâtel. Aussi, deux gendarmes se présentent à sa porte pour l’arrêter. L’un d’eux, quelque peu aviné, affecte de ne pas le reconnaître et accepte avec empressement d’aller étancher sa soif à la cuisine. Quant à son collègue, Virgile l’accompagne de la cave au grenier « à sa propre recherche », prenant soin d’éclairer toujours le visage du gendarme. Finalement les deux pandores repartent bredouilles, mais Virgile a compris la leçon, il s’empresse de quitter la localité, jusqu’au décret d’amnistie.

Lors de la Guerre du Sonderbund en 1847, il fait partie de ces républicains qui détournent des armes destinées à Fribourg. Avec quelques compagnons, il se poste au-dessus de Saint-Sulpice, arrête un convoi chargé d’armes et le conduit par la Côte-aux-Fées jusqu’à Sainte-Croix. Enfin en 1848, il fait partie de ceux qui prennent part à l’occupation du Château. Pour la première année de la République, il sera receveur des impôts à Couvet.

Le 26 juin 1838, il épouse à Cortaillod Henriette Thorens, fille d’Abraham François et de Sophie Schauenberg (sa mère étant de Zofingue). Il s’agit d’une ouvrière à la fabrique d’indiennes, née à Cortaillod le 9 octobre 1809. Virgile meurt à Saint-Aubin le 29 mai 1874, sa femme le 30 août 1887 dans la même localité. De ce couple, naissent 4 enfants : 

  • Charles Virgile (1839-1918), 
  • Louis Arnold (1841-1841), 
  • François Arnold (1842-1924) et 
  • Virgile Alexandre (1846-1895).

 

L’aîné, Charles Virgile, étudie la théologie et devient pasteur à la Côte-aux-Fées puis à Saint-Aubin. Il se marie deux fois : tout d’abord avec Isabelle Anna Rosselet, des Bayards, morte à l’âge de 30 ans, puis Thekla Charlotte Elisabeth Sophie de Rüdt, de Karlsruhe. De ces deux lits, naissent 6 enfants, pourvus eux aussi d’une nombreuse descendance.

 

Le cadet, Virgile Alexandre, étudie la médecine. Il pratique d’abord à Saint-Aubin, puis, de 1875 à 1880, à Granges-près-Marnand VD. En 1880, il restaure les bains d’Henniez et les acquiert en 1881. Il a écrit de nombreux ouvrages, dont, entre autres, un consacré à la neurasthénie (1881), une étude sur le « nervosisme » (1894). Citons encore le livre consacré à « L’état actuel de la science en matière de spiritisme expérimental ».

Il avait épousé Henriette Louise Caroline Beaujon, de Neuchâtel et d’Auvernier. Ils ont trois enfants : Caroline Isabelle, Virgile Alfred, décédé à l’âge de 6 jours, et Berthe Martha.

François Borel (1842-1924)

Revenons à François Borel : il est né à Couvet le 17 mai 1842. A la sortie de l’école primaire, son père lui fait faire un apprentissage manuel dans son atelier. François semble avoir gardé un très bon souvenir de ce temps-là (cf. lettre du 14 février 1919 au mécanicien Vicquerat, de Cortaillod) : « Comme je n’ai jamais eu de différends avec qui que ce soit, je ne veux pas commencer avec vous; et, malgré le profond chagrin que me cause la perte d’outils qui, pour moi, étaient un souvenir, un souvenir vivant du temps de mon cher père, et sur lesquels j’ai travaillé moi-même pendant mon apprentissage, je ne veux pas vous les réclamer davantage, laissant la décision à votre conscience ». Puis, il suit pendant 3 ans les cours du Gymnase scientifique de Neuchâtel. Ensuite c’est l’École polytechnique de Zurich, d’où il sort à 21 ans, en novembre 1863, un diplôme d’ingénieur civil en poche.

Après un premier engagement dans les Services industriels de la Ville de Lucerne, il travaille à Schaffhouse chez M. H. Moser, ingénieur en génie civil, au projet, puis à la surveillance d’un barrage au travers du Rhin. En 1864, il accepte un poste de professeur de mathématiques et de physique à l’École industrielle de La Chaux-de-Fonds. Il y restera deux ans. A cette époque, « il consacre » dit-il « presque toutes ses heures de loisir à l’étude de l’électricité », qui, sa vie durant, sera son principal intérêt. François donne aussi à ce sujet quelques conférences publiques. A côté de son enseignement, il dirige des travaux hydrauliques sur l’Areuse.

En 1866, il accepte, à Saint-Aubin, la place de directeur d’une usine de papier asphalté pour conduites d’eau potable. Il y travaille pendant dix ans, le plus souvent dans une situation financière précaire. C’est de cette époque que datent ses premiers essais dans la fabrication de câbles, coïncidant avec ses premières expériences dans le domaine électrique.

François est curieux d’idées nouvelles : en étudiant le transport de l’énergie, il reconnaît les propriétés isolantes du papier imprégné de goudron. Pour la fabrication de conduites électriques souterraines, un premier procédé inventé en 1867 consiste à recouvrir une âme de cuivre d’une enveloppe isolante en ficelle asphaltée et d’un ruban de papier goudronné. Un certain nombre de conducteurs ainsi préparés sont ensuite câblés ensemble, puis recouverts de papier asphalté. Le tout est protégé par un ruban de fer ou de plomb enroulé en spirales. Pour mieux assurer l’étanchéité, les interstices sont enduits d’asphalte. Ce premier câble souterrain attire l’attention et l’usine de Saint-Aubin reçoit des commandes nombreuses : on en pose aux tunnels du Brenner, de Vauderens, de Saint-Maurice, des Loges, etc. Malgré ce succès, la vente n’est pas assez considérable pour faire vivre cette entreprise. En outre, l’enveloppe asphaltée se révèle à la longue comme étant insuffisamment étanche. A la mort du propriétaire en 1876, François quitte Saint-Aubin.

Le 7 mai 1872, François a épousé à La Chaux-de-Fonds son ancienne élève, Anna Caroline Droz-Georget, originaire du Locle et de La Chaux-de-Fonds, fille d’Edouard et d’Anna Barbara Graden, de Siselen. Caroline est née le 16 octobre 1848 à La Chaux-de-Fonds et enseigne à l’école primaire.

Le jeune couple part en voyage de noces en Italie. Ils visitent Pompéi. François y remarque des canalisations romaines restées intactes parmi les ruines. Quelle matière a pu ainsi braver le temps ? Il s’agit de plomb. Dès lors, François est convaincu qu’il faut du plomb pour protéger ses câbles. Le problème consiste à les entourer de façon continue. En 1880, il déclare : « II n’est pas possible de trouver un protecteur plus économique et plus parfait qu’une gaine de plomb. »

Il ne suffit pas d’avoir des idées dans sa tête, il faut aussi subvenir à son existence et à celle de sa famille. Aussi en 1876, François accepte de diriger l’École secondaire de Grandchamp, ce qu’il fera jusqu’en 1881.

Société d'exploitation des câbles électriques, système Berthoud-Borel

A côté de la direction de cette école, il s’associe en 1878 avec Edouard Berthoud, industriel. C’est dans les anciens locaux de la manufacture de toiles peintes dite « La Fabrique neuve » appartenant à ce dernier et qui abrite alors une fabrique d’horlogerie et un atelier de mécanique, que la première fabrique de câbles électriques sous plomb est créée à Cortaillod en 1879. Cette nouvelle société par actions porte le nom de « Société d’exploitation des câbles électriques, système Berthoud-Borel ».

Les débuts ne soulèvent guère l’enthousiasme : « Lorsqu’en 1878, M. Edouard Berthoud et moi annoncions à quelques amis notre intention d’installer une fabrique de câbles souterrains à Cortaillod, notre déception fut grande en ne recevant aucun encouragement. Au contraire, presque tous ceux auxquels nous faisions part avec enthousiasme de notre projet cherchaient à nous en détourner, essayant de nous prouver que cette fabrication n’avait aucun avenir … Nous avions la persuasion que l’électricité était appelée à jouer un grand rôle dans un avenir rapproché et, avec l’ardeur entreprenante de la jeunesse, nous nous jetâmes en plein dans la réalisation de nos projets ». Un électricien coté déclarait que ces câbles ne vaudraient absolument rien, qu’il avait assez d’expérience pour pouvoir dire qu’au bout de quelques mois le tuyau protecteur en plomb serait rempli de matière corrompues.

Les études de François l’amène à son invention essentielle : la presse à plomb. D’après ses plans, la première est construite en 1879 à Genève, dans les ateliers de la Coulouvrenière. Cette première presse ne donne que partiellement satisfaction. A l’usage, des imperfections, des erreurs se révèlent. Elles entraînent à plusieurs reprises des améliorations au modèle initial. En 1881, à l’Exposition internationale de l’électricité à Paris, une presse de plomb y fonctionne et suscite l’admiration des techniciens. Le nom de Borel devient dès lors célèbre. Plusieurs pays étrangers tiennent à faire des essais avec les câbles système Berthoud-Borel et Cie. Des échantillons sont expédiés aux Indes anglaises, en Australie, en Argentine. La Ville de Cologne équipe son réseau de câbles à haute tension venus de Cortaillod. Dès lors, on en pose dans presque tous les pays d’Europe, Berlin, Naples, Vienne, Innsbruck, Charleroi, Le Mans, Monaco, etc. Il faudra ce succès international pour que des commandes proviennent de Suisse.

A côté de la presse à plomb, à l’Exposition internationale de l’électricité à Paris, François présente un moteur à courant continu. En 1882, il lance la fabrication de condensateurs qui s’utilisent pour la téléphonie et la télégraphie simultanées. En même temps, il étudie un compteur à courant continu pour l’éclairage de la ville de Lausanne. En 1883, l’Université de Zurich lui décerne le titre de docteur honoris causa. La même année, il est élu membre du comité de rédaction du journal L’Électricité édité par Félix Alcan, à Paris. En 1884, il est nommé ingénieur en chef de la « Société d’exploitation des câbles électriques, système Berthoud-Borel et Cie ».

Il faut dire qu’une société sœur a été créée à Paris. C’est là qu’est transféré le siège social, au boulevard Haussmann. Une usine est construite dans cette ville, rue de Lourmel. Cortaillod devient une simple succursale au point de vue commercial. Mais elle continue d’être le principal centre de fabrication où se réalisent les innovations et les améliorations que l’esprit inventif de François ne cesse de découvrir. Le rythme de ses inventions s’accélère. En 1885, il prend une série de brevets pour ses compteurs à courant continu. En 1887, c’est la découverte d’un moteur électrique à champ tournant, dont l’utilisation se généralise rapidement. En 1888, s’associant à M. Emile Paccaud, il met au point un compteur à courants alternatifs qui fait sensation à l’époque. Ces compteurs sont construits à Cortaillod même, sous la surveillance personnelle de l’inventeur, et cela après les heures de travail. Il les étalonne lui-même à l’aide d’une bobine d’induction. Cependant, ils sont copiés. En janvier 1892, il écrit : « D’après ce que je vois, nous n’avons plus aucune chance quelconque de vendre nos compteurs qui sont contrefaits par de grandes sociétés, aussi nous faut-il cesser dès maintenant tout payement d’annuités … » Il a l’intention de laisser tomber dans le domaine public la plupart de ses brevets. L’a-t-il réellement fait ?

Il part dans d’autres directions. Un de ses brevets concerne la fabrication de câbles concentriques, un autre un système de câbles sectionnés destinés à la téléphonie souterraine sur grande distance, un autre pour un nouveau moteur à courants alternatifs. Mais, il y a également des contrefaçons. Le 6 mai 1902, il dépose une demande de brevet pour un câble souterrain destiné à résister à de très hautes tensions et empêchant les effets de résonance.

L’implantation à Paris d’une usine de câble ayant tourné court en 1884 déjà, une nouvelle câblerie est installée à Lyon en 1896. François en sera nommé ingénieur conseil en 1898. C’est cette année qu’une succursale est construite à Mannheim. Ces deux usines, après quelques avatars, deviendront des sociétés autonomes et abandonneront leurs liens avec Cortaillod.

Première voiture

Le 6 mars 1899, François achète sa première voiture, une Delahaye, automobile à essence, type double phaéton à 4 places avec capote, puissance 6 chevaux. D’abord jaune et noire, cette voiture est repeinte quelques années plus tard, François estimant que le jaune effraie les chevaux. Pour cette voiture, il met au point et fait breveter en 1905 un système d’indicateur de vitesse, applicable aussi à la bicyclette, un enregistrement de la distance parcourue et un mécanisme de changement de vitesse. Malheureusement, il ne peut faire construire industriellement ses nouvelles inventions.

Revenons à la voiture : commandée en mars, elle n’est livrée qu’en août. François va en prendre livraison à Paris et revient chez lui en automobile. Son fonctionnement ne paraît pas des plus simples : « J’ai voulu essayer hier soir [le 11 septembre 1899] la mise en marche, mais sans succès. Je n’ai pas pu provoquer d’explosion en tournant pendant 10 minutes au volant et en variant la quantité d’air et de gaz. On entendait bien l’étincelle, mais c’était tout ». « Cet après-midi [14 octobre 1899],… je me suis de nouveau mis en route avec mon contremaître. J’ai fait cette fois le grand voyage de Neuchâtel, en allant par la route du bord du lac, et en revenant par une route à mi-côte très sinueuse et finissant par la descente de Colombier. Tout s’est passé sans aucune fausse manœuvre, tantôt en petite, tantôt en moyenne vitesse. Vous voyez que votre élève commence à faire quelques progrès. » Les longs voyages ne l’effraient pas : « Cela vous intéressera peut-être de connaître les dépenses de benzine et d’huile que j’ai faites pour un assez long voyage, environ 1800 km de Neuchâtel, Genève, Lyon, Marseille, Toulon, Nice; et retour par Grasse, Casteliane, Digne, Grenoble, Annecy, Genève et Neuchâtel. Benzine : 190 litres; huile : 10 litres; graisse consistante : 500 g. » Malgré tout, la voiture est capricieuse. A partir de la fin de l’année 1912, il ne l’emploie plus et se demande, en 1916, si cette relique doit être signalée à l’armée. Cette voiture existe-t-elle encore ? J’en connais le numéro de châssis et quelques caractéristiques. Grâce au président du Club Delahaye de France, elle a pu être retrouvée. Elle a été acquise en Suisse par un Anglais en 1986. En 1995, elle a été revendue à M. Moore, habitant Cambridge, avec qui je corresponds actuellement. Cette voiture a participé à la course de voitures anciennes Brighton-Londres. Elle a été parmi les plus rapides de sa catégorie.

Conseiller pour les travaux hydrauliques et électriques

Après ces digressions, revenons à François : c’est un conseiller, un expert précieux pour les communes de la région jurassienne. Tous les travaux hydrauliques et électriques importants du canton de Neuchâtel ont profité de ses  conseils. Différentes localités qui installent l’électricité font appel à ses connaissances. Son avis est demandé pour l’électrification de la ligne Port-Gare. On le consulte aussi à propos de l’éclairage de bâtiments, par exemple du château de Gorgier. A ce propos, il déclare [lettre du 11 août 1898 à Léo Châtelain] : « J’envisage qu’au point de vue de la sécurité contre l’incendie, de la qualité de la lumière, de la facilité de la distribution, de la simplicité de l’allumage et de son extinction, de la conservation des tentures et des tableaux, aucun système d’éclairage ne peut entrer en comparaison avec la lumière électrique par incandescence, c’est donc le système à adopter. »

Sa pratique de professeur fait de François un expert apprécié dans les commissions d’enseignement à tous les degrés. Jusqu’à un âge avancé il fonctionne comme membre du jury aux examens de nos écoles techniques, du Gymnase et de l’Université de Neuchâtel. Il est également chargé de procéder à la surveillance des chaudières à vapeur. Il le fera jusqu’à moins de trois mois avant sa mort. Le 24 avril 1921, il est même préposé à l’inspection du rouleau compresseur utilisé dans la région de Saint-Aubin par l’État de Neuchâtel.

La politique ne l’intéresse pas vraiment, en particulier la politique partisane; il préfère rester indépendant. A ce titre, il fera partie du Conseil général qu’il préside à plusieurs reprises.

Durant de nombreuses années, il n’a aucune secrétaire. Il écrit lui-même, à la main, ses lettres personnelles ou d’affaires, ainsi que ses longs exposés ou rapports d’expertise. Il y a dans cette correspondance une documentation scientifique et technique souvent illustrée de dessins à la plume. Il rédige ses lettres souvent tard dans la nuit, aussi « je vous écris » déclare-t-il le 5 juillet 1885 « éclairé par une lampe électrique alimentée par des accumulateurs de ma fabrication. J’emploie la force de la turbine pour les charger dans mon laboratoire, puis je les transporte chez moi ».

En 1893, il achète un grand terrain vague au bord du lac de Neuchâtel. Il désire y construire une maison, dont il fait les plans, dont il établit le devis. En automne 1893, il commande déjà des arbres fruitiers; au printemps suivant, ce sont des légumes et diverses plantes. Sur cette grève caillouteuse et sablonneuse, il fera surgir peu à peu une belle campagne. Il emménage à mi-juin 1894. Il va de soi que pour l’éclairage intérieur de sa maison, il emploie l’électricité. Comment résister à l’attrait de cette énergie ! De nombreux animaux peuplent cette propriété : chiens, coq, poules, abeilles. A partir de 1907, il s’intéresse aux nandous, cousins germains des autruches. Il entretiendra une longue correspondance avec le jardin zoologique de Bâle à leur sujet.

Lui et la direction de la fabrique se sont toujours préoccupés du bien-être de leurs employés. Dès 1887, une course annuelle est programmée, les gens mariés pouvant amener leurs familles. Cette course est ensuite abandonnée, car les célibataires se sentaient lésés. Il existe dans l’entreprise une caisse de secours pour les ouvriers malades. En 1897, c’est l’inauguration d’une grande nouveauté, alors totalement inconnue en Suisse : la semaine anglaise.

Pour se remettre des fatigues occasionnées par son travail continuel, François aime voir du pays avec sa femme. Pendant ses vacances, il fait des voyages avec sa voiture, mais l’agence Cook à Genève est aussi chargée d’organiser des tours. Il part à plusieurs reprises en France, au Sud d’abord, puis en Bretagne. Il ira en Italie, sur la Riviera, à Rome, à Naples, à Florence, à Venise, etc.

Démission

Dans le courant de l’année 1900, sa santé se détériore. Âgé de 58 ans, il restreint quelque peu le volume de son travail. Les alertes se renouvelant, il donne sa démission pour la fin de l’année 1904. Ce n’est pas sans émotion qu’il abandonne son œuvre, à la réalisation de laquelle il a consacré le meilleur de ses forces et de sa vie. Son fils et un de ses neveux le remplacent à la direction. Le conseil d’administration l’appelle à siéger en son sein. Il y demeurera près de 20 ans.

La photographie est aussi l’une de ses passions. Il fait de nombreux clichés en vacances, autour de chez lui. Il les développe lui-même dans un petit local qu’il a aménagé à cet effet, au sous-sol de sa maison. En 1902, il raconte avoir pris part à un mouvement populaire à Concarneau, s’être placé au milieu des manifestants et avoir fait quelques instantanés. Mais, il avoue avoir éprouvé quelques frayeurs au milieu de cette foule excitée.

Parmi ses lettres, certaines ne concernent pas forcément les domaines scientifique ou domestique. Par exemple, celle du 9 septembre 1895 adressée au président du Conseil communal de Cortaillod : « Pendant le service divin d’hier, j’ai été péniblement impressionné et scandalisé par le passage de la Société de musique de Cortaillod, qui, sans aucun respect pour le culte officiel célébré en ce moment, jouait en passant devant le temple avec accompagnement de grosse caisse, d’une façon telle que le prédicateur a dû interrompre son discours … Je profite encore de cette occasion pour vous prier de ne pas oublier que plusieurs fois, le dimanche du Jeûne, le service divin a été troublé par le passage de troupeaux de vaches avec cloches au cou ». Le même jour, il donne sa démission de membre passif de la Société de musique.

Le 17 janvier 1924, à l’âge de 82 ans, il s’éteint paisiblement dans sa campagne de Cortaillod. Sa femme, Caroline, lui survit de presque trois ans. Elle meurt le 10 décembre 1926. A Cortaillod, une rue porte son nom, c’est l’avenue François-Borel. Un monument lui est dédié près de l’entrée principale de la fabrique. On peut dire qu’il mérite pleinement le titre de pionnier industriel.

Descendance

François et Caroline ont deux enfants : tout d’abord, une fille Anne Henriette (1873-1960), qui épouse le pasteur Ami Paul Dumont, du Locle, de La Brévine et de Fleurier. Ils ont trois enfants : René Paul Frank, qui décède à l’âge de 16 ans, Francis Eugène, et Alice Anna, morte à 3 ans, 12 jours après son père.

Le second enfant de François est Paul Edouard Arnold (1875-1966). Ce dernier n’a pas suivi l’école primaire. Ce sont ses parents qui lui prodiguent leur enseignement jusqu’à l’âge de 13 ans. Puis, il suit des cours à l’École secondaire de Grandchamp, au Gymnase scientifique. Il commence ses études universitaires à Neuchâtel pour les terminer à Genève, où il obtient un doctorat es sciences physiques. Il fait ensuite un stage à la câblerie de Lyon, puis, dès 1898, à celle de Cortaillod. Là, il seconde son père, dirige la pose de câbles dans toute l’Europe. Il succède à son père lorsque celui-ci se retire.

Arnold fait une longue carrière politique au sein du parti radical. Il est élu conseiller général, président de cette assemblée, membre du Conseil communal de Cortaillod, de la Commission scolaire, membre de Grand Conseil.

Il épouse en 1900 Célina Maria Lugon, de Carouge GE. De cette union naissent 4 enfants : Germaine Caroline (1901-1983) (mariée à René James Edmond Bernard, de Fenin-Villars-Saules), André Edouard (1903-1990), Gérard Arnold (né en 1904) et Roger qui mourra à 14 ans (1906-1920).

Pour les petits-enfants de François, c’est un grand-père accueillant. Il les appelle malicieusement « citoyens républicains ». Il les captive par ses récits sur les fleurs, sur les animaux, sur les étoiles et sur bien d’autres sujets encore.

Son petit-fils, André, est ingénieur électricien. En 1953, il est nommé directeur technique de la Fabrique des câbles de Cortaillod. Il a épousé Klara Gugelmann, de Brittnau AG.

Son frère, Gérard, est ingénieur technicien électricien. Il a travaillé jusqu’en 1940 à Anvers, en Belgique, puis à Zurich, jusqu’à sa retraite. De son épouse, Violette Louise Marie Deregis, d’origine italienne, un fils nommé Jean François Arnold est né en 1933 en Belgique. Ingénieur agronome en 1958, docteur es sciences techniques en 1964, ce dernier découvre au début des années septante la ciclosporine, dont les propriétés immuno-suppressives ont été mises en évidence en 1972. La ciclosporine est, avec ses propriétés anti-rejet, une médicament d’une grande efficacité lors de transplantations d’organes. Outre d’autres prix et distinctions, il a reçu un doctorat honoris causa de l’Université de Bâle en 1991.