Bulletin 41 / Septembre 2010

Plus palpitant que les Experts :
Le pasteur Andrié mène l’enquête sans test ADN

texte copié par Germain Hausmann

Nous vous faisons part du rapport du pasteur Andrié pour connaître le nom du père de l’enfant de Philippine G. Nous l’avons laissé tel quel, en actualisant cependant l’orthographe.

Source : Cartons bleus, AC 522/46, dossier 1/VII, déclarations de grossesses au pasteur des Ponts-de-Martel, 1821.

Philippine, fille de David François G., de La Sagne, des Ponts, bourgeois de Valangin, demeurait depuis trois ans environ chez Henri François, fils de Jean Ellen, du Gessenay [Saanen] au canton de Berne. Henri François Ellen, homme marié, sans enfant, habite sur le Crêt Pellaton, paroisse et juridiction de Travers. Il est fermier de Frédéric Auguste, fils de Charles Frédéric Perrenoud.

Au commencement de l’année 1821, Philippine G. quitta la maison Ellen et vint chez son père à Martel-Dernier, paroisse des Ponts, juridiction de Travers. Il me fut rapporté qu’elle avait changé de domicile parce qu’elle était enceinte. Dans le courant de janvier, je me rendis auprès d’elle pour lui apprendre la conduite qu’elle devait tenir si ce que l’on disait était vrai. Elle m’assura que c’était une fausseté. Ce bruit se calma quelque temps, mais, au mois de mars, il se renouvela avec plus de force. Je fis une nouvelle tentative auprès de Philippine G. pour connaître la vérité et je reçus d’elle une nouvelle protestation d’innocence.

Mais le 9 avril 1821, elle est venue chez moi se déclarer enceinte des faits d’Henri François Ellen dès le 29 décembre 1820, le jour, dit-elle pour mieux se faire entendre, où l’on a passé les enfants, c’est-à-dire le jour de la ratification des catéchumènes. Elle avait eu alors commerce avec lui pour la première fois, et deux autres fois encore les deux semaines qui ont suivi le Nouvel An. Jamais Ellen, disait-elle, ne l’avait recherchée en déshonneur. Mais le jour de la ratification, étant venu aux Ponts depuis la Montagne de Travers avec Ellen et sa femme, ils avaient bu ensemble avant de s’en retourner chez eux. Cela les avait tous égayés et étourdis et elle s’était abandonnée aux désirs d’Ellen.

Elle ajouta qu’elle sentait bouger son enfant. Après trois mois et demi, cela me parut étonnant ; je l’exhortais à bien réfléchir à ce qu’elle disait et elle me répéta les mêmes choses que je viens de rapporter.

Henri Ellen parut ensuite seul. Je lui fis savoir ce dont il était accusé. Il nia le fait. Cependant, après lui avoir recommandé de ne pas augmenter une faute grave par un odieux mensonge, après lui avoir montré qu’il pourrait en partie réparer sa faute en se  reconnaissant père de l’enfant, “Je voudrais savoir le temps” me dit-il. Je lui fis savoir que, par les mots qui lui étaient échappés, il avouait un commerce impur avec cette fille. “Elle ne peut pas être enceinte de moi “, c’est tout ce que j’ai pu obtenir de lui.

Je les confrontai l’un à l’autre. La fille tint encore le langage qu’elle avait tenu d’abord. “Mais,” dit Ellen, “je n’ai pas été aux Ponts le jour qu’elle annonce”. “Comment,” reprit-elle, “vous n’êtes pas venu voir passer la Mélanie Huguenin ?” (C’est une de leurs voisines sur la Montagne de Travers). “Oui, c’est vrai,” répliqua-t-il,” mais c’est à Noël 1819” (En effet, cette jeune Huguenin a communié aux fêtes de Noël 1819 et non en 1820). La fille persista dans son allégué. À peine puis-je lui en faire sentir ou avouer l’absurdité : “Vous devriez d’après votre accusation être enceinte de 15 mois au moins !”. À toutes les nouvelles questions que j’adressai à Ellen, il répétait toujours avec une imperturbable tranquillité, sans s’émouvoir le moins du monde : “Elle ne peut être enceinte de moi”. il me dit
pourtant qu’il avait regardé cette fille comme honnête et qu’il ne venait dans la maison aucun garçon.

Au bout d’un moment, j’accusai Philippine G. d’avoir menti effrontément. Alors elle vint me dire qu’elle avait commencé son commerce avec Ellen à l’époque ci-dessus mentionnée et qu’ensuite elle l’avait continué, que chaque fois qu’il pouvait la raccrocher, il le faisait, et que la dernière fois qu’il s’était livré à l’adultère, c’était cinq semaines avant le Nouvel An 1821. “Pourquoi”, lui demandai-je, “ne m’avez-vous pas parlé comme cela ?” “Je n’osais pas”, telle fut sa réponse.

Le bruit s’était répandu qu’elle était enceinte de Frédéric Auguste Perrenoud, propriétaire du bien-fonds dont Ellen est le fermier. Bien des gens en sont persuadés. Ce qui a contribué à donner à ce bruit quelque fondement, c’est la demande instante que Perrenoud a faite naguère à la Commune des Ponts d’une lettre d’origine, afin de s’en aller en France ou en Angleterre. On ne pouvait la lui donner assez vite à son gré. Elle lui fut refusée en pleine commune à cause des soupçons qui planent sur lui. C’est ce que m’a dit  Monsieur le justicier Nicolet, président de la Commune. Perrenoud va en toute hâte à La Sagne pour en demander une. Il voudrait pour cela convoquer une assemblée extraordinaire et cela contre les formes usitées en cas pareil, tant il est pressé (cela m’a encore été dit par Monsieur le justicier Nicolet). Aussitôt qu’elle est obtenue, il descend à Neuchâtel pour la faire légaliser et pour demander un passeport. Ce passeport doit être actuellement à Berne et il l’attend au premier jour.

Informé de tout cela, je demandai à la fille si Frédéric Auguste Perrenoud n’avait jamais cherché à la séduire. “ Jamais, il ne m’a touchée”
– “Jamais une caresse ? “
– “Non, Monsieur”
– “C’est bien vrai ?”
– “Oui, Monsieur”

(Perrenoud, à qui j’en parlai éventuellement il y a quelques semaines, me dit aussi que jamais il ne l’avait touchée).

Le 10 avril, par une suite d’avis qui me furent donnés, et entre autres d’après une déclaration d’un frère âgé de 10 ans de Philippine G. (enfant qui demeurait chez Ellen) et qui vit un matin Perrenoud aller en chemise de sa chambre dans celle de Philippine G. (ces chambres étaient contiguës) et demander si elle était levée (elle l’était en effet), question qui étonna l’enfant et qui l’engagea à rapporter cela à Ellen, à la femme d’Ellen, à sa sœur Philippine G., à la mère G.. D’après cet avis, je fis revenir chez moi la fille enceinte. Elle m’avoua que son petit frère lui avait rapporté cela dans le temps. Elle avoua aussi successivement qu’un jour elle avait tiré les bas de Perrenoud fatigué (ce dont la censura Madame Ellen). Elle avoua qu’elle avait été caressée par Perrenoud à différentes reprise, mais toujours honnêtement. Elle avoua qu’il avait couché quelques fois avec elle, mais qu’elle n’était pas enceinte de lui, que Perrenoud lui avait dit que, si elle devenait enceinte, il lui donnerait de l’argent et ne se chargerait pas de l’enfant, et qu’elle avait résisté.

Elle avoua enfin qu’ils s’étaient approchés de fort près, mais qu’elle ne pouvait être enceinte de lui parce qu’elle s’était défendue et qu’il n’était pas allé à la place convenable. Tout cela dut avoir lieu aux environs des moissons 1820. Elle connaît très peu les dates de ses impuretés. Elle se croit pourtant aujourd’hui enceinte de six à sept mois.

Perrenoud descendit du village durant l’interrogatoire, je l’arrêtai et lui demandai s’il n’était pas allé en chemise du côté de la chambre de la G.. “C’est possible” dit-il, “ mais je ne m’en souviens pas, car j’allais quelques fois ainsi par la maison.”
– “Ne lui avez-vous jamais fait des caresses ? “
– “Oui, mais honnêtement. Je lui ai donné des baisers.”
– “Vous m’avez pourtant dit le contraire, il y a quelque temps.”
– “Oui, mais je ne croyais pas que vous entendissiez cela …”
Il sortit en m’assurant qu’il n’avait point rendu enceinte Philippine G.. “Je pars dans dix jours et j’aimerais que tout cela fût reconnus avant mon départ.”

Ce fut après cela que Philippine me révéla toutes ses turpitudes et je n’ai pu interroger Perrenoud là-dessus.,

Le 16 avril, Henri Sélim, fils d’Henri Louis Robert, voisin d’Ellen, interrogé, m’a dit que le lendemain de la foire du Locle, le 28 mars 1821, Frédéric Auguste Perrenoud lui avait au Locle demandé en l’abordant : “ Sais-tu déjà que la Philippine G. est enceinte d’Henri Ellen ? “ Sur quoi ledit Robert lui avait répondu : “ Tu ne me dis rien, je le sais assez.” À une nouvelle question, Robert me répondit : “Je n’ai jamais rien remarqué, si ce n’est que Philippine était plus portée pour Ellen que lui pour elle;” mais que jamais il ne les avait vus se faire des caresses.

Frédéric Auguste, interrogé le même jour 16 avril, me répondit : qu’il avait embrassé Philippine G., qu’il lui avait dit quelques fois : “Attends, je te veux prendre ton pucelage”, qu’il s’était assis sur le bord du lit de la fille, qu’il l’y avait rembrassée et rien de plus, et que jamais il n’avait fait ce que dit la fille au sujet de la place convenable. Il me dit aussi qu’il avait vu un jour Ellen tenir Philippine G. dans ses bras dans une allée.
“………………