Bulletin 42 / Décembre 2010

Gustave Jéquier, 1868-1946,
Regard sur un pionnier de l’égyptologie helvétique à travers ses archives

par Isadora Rogger, doctorante en égyptologie à l’Université de Genève

Conférence pour la Société neuchâteloise de généalogie, le 07 Juin 2010.

Isadora Rogger a eu la gentillesse d’accepter de nous faire part de ses travaux de thèse sur la vie de Gustave Jéquier à travers les documents de famille, que nous publions ci-après.

Le Musée d’ethnographie de Neuchâtel (MEN) conserve les archives de l’égyptologue Gustave Jéquier, qui fut l’un des pionniers en matière d’égyptologie en Suisse. Ce fonds d’archives, ainsi que les documents d’archives privées conservés dans la famille Jéquier représentent une abondante source d’information. Le principal objectif de mon travail de thèse sera de permettre une mise en valeur, à travers ces documents pour la plupart inédits, de cette figure emblématique que trop peu reconnue.

Gustave Louis Jéquier, né le 14 août 1868 à Neuchâtel, est le fils de Jean Auguste Jéquier (1837-1911) et d’Élise Sophie Caroline Bovet (1847-1868). Cette dernière, âgée de 21 ans à la naissance du petit Gustave, décède des suites de l’accouchement. Jean Jéquier, homme de bonne famille, qui siégea au Grand Conseil et au conseil communale de Fleurier, se remarie en 1875 avec Berthe Depierre (1853- 1948), de ce mariage naquirent quatre autres enfants (Robert, Rosalie, Yvonne et Hugues).

Gustave Jéquier étudie à Neuchâtel et entreprend des études universitaires. Il s’intéresse à l’archéologie et est déjà initié à l’égyptologie par Edouard Naville, le célèbre égyptologue genevois, qui est un ami de la famille Jéquier grâce à sa femme Marguerite de Pourtalès. Celle-ci est issue d’une autre grande famille neuchâteloise et possède avec Berthe Depierre un ancêtre commun, leur arrière arrière-grand-père, Jérémie de Pourtalès (1701-1784).

En 1888, après son service militaire, Gustave Jéquier part étudier à Berlin. Il commence une thèse sous l’autorité scientifique du célèbre égyptologue allemand Adolphe Erman. Sa thèse est une étude des versions du « livre des morts » et porte le titre : Livre de ce qu’il y a dans le Hadès d’après les papyrus de Leyde et de Berlin. A cette époque, Gustave Jéquier voyage beaucoup en Europe du Nord, Allemagne, Hollande et en France. C’est à Paris qu’il fait la connaissance de Gaston Maspero, alors âgé d’une quarantaine  d’années et déjà célèbre internationalement dans les milieux égyptologiques et académiques en général. De plus, Gustave Jéquier désire ardemment retrouver ses amis neuchâtelois Louis de Meuron, Bernard du Pasquier et Godefroy de Blonay, tous installés à Paris pour leurs études. Il décide alors de changer d’école et intègre l’école française afin de terminer sa thèse sous la direction de Maspero.

En 1893, il effectue ses premiers voyages en Égypte, durant lesquels il travaille sur le catalogue des monuments et inscriptions de l’Égypte antique avec Jacques de Morgan qui est, depuis 1892, directeur du Service des Antiquités de l’Égypte. Gustave Jéquier  s’occupe essentiellement de la partie hiéroglyphique et s’applique à recopier les textes des différents monuments. Ils parcourent ainsi l’Égypte, d’abord à Saqqarah, puis en bateau jusqu’à Tell el-Amarna, puis Kom Ombo. Après la publication de sa thèse, Gustave Jéquier travaille à Paris et en 1895, il est nommé « attaché libre de la Mission archéologique française », l’actuel Institut français d’archéologie orientale, et devient ainsi le premier attaché étranger de cet institut. Les années suivantes, il participe encore aux travaux de Jacques de Morgan et travaille dès lors pour lui. Ils fouillent ensemble la nécropole de Dahchour, et plus précisément le site préhistorique de Nagadah. La préhistoire égyptienne est un sujet d’étude qu’il affectionne particulièrement et qu’il partagera avec Jacques de Morgan durant de longues années. En 1897, De Morgan est nommé Directeur de la Délégation française à Suse, capitale de l’Empire perse achéménide située dans l’actuel Iran. Il entraine avec lui certains de ses collaborateurs du Service des Antiquités Egyptiennes, dont Gustave Jéquier qui participe à trois campagnes de fouilles entre 1897 et 1902. En 1901, Jacques de Morgan est retenu à Paris pour préparer l’exposition qui doit se tenir au Grand Palais l’année suivante et délègue la responsabilité du chantier à Gustave Jéquier. C’est durant cette campagne qu’il découvre le fameux code d’Hammourabi, l’un des plus ancien texte de lois jamais découvert rédigé en caractères cunéiformes akkadiens.

En 1904, il se marie avec Marthe de Montet (1877-1957) et s’installe durant une partie l’année dans la maison familiale à Champagne dans le canton de Vaud. Sa femme donne naissance à leurs trois enfants, Léon, Valérie et Michel entre les années 1905 et 1909.  Gustave Jéquier abandonne donc ses campagnes de fouilles en Perse, à la grande déception de Jacques De Morgan, afin de rester auprès de sa famille et revient définitivement à l’égyptologie. A partir de 1913, il assure à l’Université de Neuchâtel des cours de  civilisation égyptienne et ce, jusqu’en 1923. Une chaire est donc crée spécialement pour lui et c’est dans la bibliothèque de sa résidence à Neuchâtel qu’il initie à l’égyptologie ses étudiants, dont Eugène Devaud et Georges Nagel.

Malgré son intermède persan, Gustave Jéquier est resté en contact avec ses collègues égyptologues, en particulier avec ceux de l’École française, tous portent un grand intérêt pour ses travaux et particulièrement pour son projet d’un Dictionnaire de l’Archéologie égyptienne. Une telle encyclopédie faisait défaut dans les ouvrages d’égyptologie de l’époque. Il s’agissait d’illustrer l’archéologie égyptienne à travers divers articles, avec la participation de ses collègues spécialisés dans les différents domaines. C’était donc une grande première qui en séduit plus d’un, mais une entreprise d’une telle envergure n’était pas chose facile et il rencontra maints problèmes. Il ne pu malheureusement publier qu’une infime partie de ce dictionnaire monumental : La lettre A, fut publiée sous une forme abrégée, dans le Bulletin de l’Institut français oriental du Caire en 1922. Cette publication partielle ne comporte que très peu d’illustrations comparé aux multiples planches qui auraient dues figurer dans le dictionnaire. Le MEN conserve certains documents d’archives concernant ce dictionnaire, dont un magnifique corpus d’environ 400 planches de dessins effectués par Gustave Jéquier. Ces dessins ont été recopiés par les soins de l’égyptologue neuchâtelois s’inspirant des peintures ornant les parois des tombes de Gournah, dans la nécropole thébaine, où il réside durant quelques mois d’hiver avec sa femme. Un fichier bibliographique de près de 12’000 fiches manuscrites, ainsi qu’une abondante correspondance avec une quantité de ses collègues traitant du projet, viennent compléter ce fonds permettant ainsi une meilleure compréhension des différentes étapes de cette gigantesque entreprise.

Parallèlement à ce projet, Gustave Jéquier publie une multitude d’articles ainsi que des ouvrages remarquables tel que l’ Architecture et Décoration dans l’Égypte Ancienne, qui est un recueil de photographies fait avec la collaboration de Victor de Mestral-Combremont, ou encore Histoire de la Civilisation égyptienne, des origines à la conquête d’Alexandre publié en 1913 et qui fut pendant longtemps utilisé comme un ouvrage de référence en matière d’histoire de l’Egypte ancienne.

C’est alors que le 16 septembre 1924, Pierre Lacau, qui est à la tête du Service des Antiquités de l’Égypte, envoie une lettre à Gustave Jéquier pour lui proposer de diriger une fouille dans la nécropole memphite de Saqqarah. Il s’agit d’un tournant dans la carrière de Gustave Jéquier qui va consacrer douze années successives à fouiller la zone sud de ce site dans les alentours de la pyramide de Pepi II, souverain de la 6ème dynastie (2246-2152 av. JC).

Gustave Jequier à Saqqarah (1924-1936)
Archives privées (I. Favre)

Gustave Jéquier est régulièrement accompagné de sa femme et parfois de ses enfants, toute la famille participe à ses recherches et l’aide de temps en temps sur le terrain. Les archives scientifiques traitant de ces campagnes de fouilles représentent près d’un millier de documents (carnets de fouilles, photographies, relevés, ainsi que des manuscrits originaux de diverses publication ) et sont également conservées au MEN. Toutes ces fouilles s’effectuaient sous l’égide du Service des Antiquités de l’Égypte, les objets découverts  restaient pour la plupart en Égypte, mais Gustave Jéquier pu en rapporter un certain nombre, en les achetant auprès du Service des Antiquités afin de constituer une collection égyptienne au Musée d’Ethnographie de Neuchâtel. Il y travaillait en tant que  collaborateur et vice-président de la Commission dont il faisait partie depuis 1915. Il avait organisé avec Arnold Van Genepp, le premier Congrès international d’Ethnologie et d’Ethnographie en 1914, et avait entrepris avec ce dernier ainsi qu’avec les ethnologues Charles Knapp et Théodore Delachaux la révision des richesses qu’abritait le musée ainsi que l’arrangement des vitrines. 

La collection égyptienne du musée, qui compte environ 500 objets, a été presque entièrement constituée par Gustave Jéquier. Il désirait avoir une collection cohérente qui représenterait au mieux les différentes périodes, ainsi que les divers aspects de la culture de l’Egypte ancienne. Une série de statuettes en bois provenant de Saqqarah figurent parmi les plus beaux objets de la collection.

Dès 1928, la famille Jéquier devient propriétaire du château de Beauregard à Serrières où ils passent beaucoup de temps jusqu’au décès de Gustave Jéquier.

Gustave Jéquier est un homme entier, passionné par de nombreux domaines, il s’engage également auprès de la collectivité et vient en aide aux étudiants prisonniers de guerre en participant au comité neuchâtelois de secours aux prisonniers de guerre français, belges et anglais. Il participe à la publication d’un ouvrage sur l’armorial Neuchâtelois élaboré par ses deux fils ; suit des cours de dessins académiques, ses talents de dessinateur furent reconnus notamment par Clément Heaton, le talentueux maître verrier. Il compte parmi son entourage des personnalités de l’époque dans les milieux archéologiques, égyptologiques, ethnologiques, scientifiques ou encore artistiques.

Gustave Jéquier s’éteint le 24 mars 1946 à Neuchâtel, laissant derrière lui une carrière scientifique et artistique remarquable.

Les différents documents d’archives représentent par conséquent une source abondante d’informations portant sur les données égyptologiques et biographiques liées à Gustave Jéquier, mais elles témoignent surtout de la place considérable qu’a tenue cette figure plutôt discrète de l’égyptologie helvétique au début du XXe siècle.

Bibliographie

Le livre de ce qu’il y a dans l’Hadès. Version abrégée d’après les papyrus de Berlin et de Leyde (Bibliothèque de l’École des Hautes Études 97), Paris, 1894

J. De Morgan, U. Bouriant, G. Legrain, G. Jéquier et A. Barsanti, Catalogue des monuments et inscriptions de l’Égypte antique, Vienne, de 1894 à 1909.

J. De Morgan (avec la collaboration de G. Legrain, G. Jéquier, V. Loret, etc.), Fouilles à Dahchour, 2 volumes, Vienne, 1895 et 1903.

Matériaux pour servir à l’établissement d’un dictionnaire d’archéologie égyptienne, « BIFAO » 19 (1922), pp.1-271

Décoration égyptienne. Plafonds et frises végétales du Nouvel Empire thébain (1400 à 1000 avant J.-C,) Paris, 1911

L’architecture et la décoration dans l’Ancienne Égypte, 3 volumes, Paris, 1920-1924

Manuel d’archéologie égyptienne. Les éléments de l’architecture, Paris, 1924

Histoire de la civilisation égyptienne, des origines à la conquête d’Alexandre, Paris, 1913

Considérations sur les religions égyptiennes, Neuchâtel, 1946

Service des Antiquités de l’Égypte. Fouilles à Saqqarah :

Le Mastabat Faraoun, Le Caire, 1928

La Pyramide d’Oudjebten, Le Caire, 1928

Tombeaux de particuliers contemporains de Pépi II, Le Caire, 1929

Les pyramides des reines Neit et Apouit, Le Caire, 1933

Deux Pyramides du Moyen Empire, Le Caire, 1933

La Pyramide d’Aba, Le Caire, 1935

Le monument funéraire de Pépi II

I Le tombeau royal, Le Caire, 1936

II Le temple, Le Caire, 1938

III Les approches du temple, Le Caire, 1940

Douze ans de fouilles dans la nécropole memphite (1924-1936) (« Mémoires de l’Université de Neuchâtel » 15), Neuchâtel, 1940

M. Jéquier éd., En Perse : 1897-1902 : journal et lettres de Gustave Jéquier, Neuchâtel, 1968.

L. & M. Jéquier, Armorial neuchâtelois ; avec la collaboration de G. Jéquier et des archivistes de l’Etat de Neuchâtel, 2 volumes, Neuchâtel : Aux éd. de la Baconnière, 1939-1944.