Bulletin 44 / Août 2011

De l'Edit de Nantes au Refuge huguenot

notes de Françoise Favre

Conférence de Pierre-Olivier Léchot
Lundi 21 février 2011, à 19 h 30, au Bistrot de l'Arrosée à Neuchâtel

C’est une affluence record (26 personnes) qui se presse ce soir dans la petite salle du bistrot de l’Arrosée ! C’est donc une présidente réjouie qui ouvre la séance en saluant l’assemblée.
Après avoir présenté le programme d’activités 2011, Anne-Lise Fischer, notre présidente, donne quelques informations, courrier reçu, invitations de sociétés sœurs, nouvelles, etc. Elle rappelle la prochaine séance qui aura lieu ici même le lundi 21 mars et laisse la parole au conférencier du jour.

Pierre-Olivier Léchot, se présente en commençant par ses liens à la généalogie. Après des études de théologie et d’histoire qui l’ont mené jusqu’à un doctorat, il enseigne actuellement l’histoire à l’Université de Neuchâtel. Depuis cinq ans, il est aussi président de l’Association suisse du Refuge huguenot et c’est à ce titre que le comité l’a invité à venir nous parler du Refuge huguenot et de ses incidences dans notre canton en particulier. Avant de commencer son exposé, il distribue une bibliographie et un document  iconographique sur le refuge huguenot.

Cette gravure bien connue de Roux est certes très belle, mais un peu romantique et elle masque en partie la réalité de ce flux migratoire qui fut un évènement majeur des années 1680 à 1720. On considère généralement que 150 à 200 mille personnes ont quitté la France, sur une population de 20 millions d’habitants, dont un million environ de protestants. C’est donc un mouvement migratoire sans commune mesure pour l’époque. Si l’on voulait faire une comparaison proportionnelle aux populations actuelles, cela  représenterait 600 à 650 mille personnes.

L’Edit de Nantes (1598) n’est pas comme on le dit parfois un édit de tolérance qui donnerait des droits aux protestants, mais un acte qui veut assurer la paix religieuse et permettre une coexistence des religions dans un contexte où l’intolérance reste de mise.
La logique de l’époque voulait que les sujets aient la même religion que leur Prince, selon la maxime « cujus régio ejus religio ». Et c’est autour de ce principe que se noue le problème de la France, notamment avec l’arrivée au pouvoir d’Henri IV qui, s’il s’est converti au catholicisme, reste favorable et ouvert aux protestants. La situation va se dégrader après 1610 et l’assassinat d’Henri IV. Le pouvoir royal va alors se désintéresser des protestants et chercher à les regagner au catholicisme. La liberté des protestants va être progressivement réduite. On verra toutes les grandes familles de la noblesse protestante revenir au catholicisme. Une pression systématique va s’exercer sur les protestants par une série d’interdictions destinées à empêcher la vie des communautés et à nuire à celle des individus. Jeannine Garisson parle « d’un étouffement à petites goulées ».
La dernière estocade sera portée par les dragonnades, notamment en Poitou (où l’on comptera 30’000 abjurations en six semaines) et dans le Languedoc.

La Révocation de l’Edit de Nantes, en 1685 sera l’aboutissement de cette politique. Les académies protestantes (où étaient formés les pasteurs) ont été fermées en 1680 et de nombreux temples ont été détruits. On considère que la religion protestante n’existe plus et que par conséquent l’Edit de Nantes est devenu inutile.
Face à la Révocation, trois possibilités s’offrent aux huguenots : l’abjuration, la clandestinité ou l’exil (au début tout du moins). Les pasteurs ont quinze jours pour quitter le pays. Un grand nombre de fidèles vont eux aussi chercher refuge à l’étranger, d’abord dans les Eglises françaises fondées par les premiers exilés, ceux qui sont partis un siècle auparavant, après la St-Barthélémy (1572).

Sur les un million de huguenots, environ 200’000 vont quitter la France ; le reste va abjurer, parfois du bout des lèvres, puisque cent ans plus tard, lorsque sera publié en 1787 l’Edit de Tolérance, un grand nombre de protestants se manifesteront en France.
L’impact de la Révocation de l’Edit de Nantes sera important non seulement au niveau politique et économique, mais aussi au niveau des idées, comme le montre l’œuvre du philosophe Pierre Bayle.

Cet exil massif va mettre en péril le système économique de la France. Aussi, très vite, le roi va mettre en place des mesures pour empêcher les huguenots de quitter le pays, obligeant ceux-ci à partir et à voyager dans la clandestinité. Au début, la fuite est plus  aisée pour les pauvres, qui n’avaient rien à laisser derrière eux, que pour les riches qui devaient d’abord réaliser leur biens. Par la suite, ce sera le contraire, les riches faisant jouer leurs relations à l’étranger. 
Les gens partaient généralement en groupe, rarement seuls, et les routes qu’ils empruntaient sont mal connues. Chacun faisait comme il pouvait, voyageant à pied, en chariot, en bateau, selon les possibilités et les chemins étaient multiples. L’examen des registres de charité témoignent des hésitations de ces réfugiés, certains reviennent sur leur pas, font des aller et retour, passent plusieurs fois au même endroit à la recherche d’un lieu où s’établir.
En 50 ans, 140’000 personnes traversent la Suisse. Par comparaison, c’est comme si actuellement 450’000 personnes déferlaient chez nous.

L’arrivée de tous ces gens ne va pas seulement créer des problèmes d’accueil, mais aussi un problème politique et juridique. La Suisse a signé un traité d’alliance avec la France, selon lequel elle doit renvoyer en France les criminels. Les Réfugiés huguenots sont-ils des criminels ? Les juristes bâlois interrogés vont répondre par la négative : ces gens n’ont commis aucun crime, ce sont des réfugiés de la foi que l’on n’a pas à renvoyer chez eux. Mais pour les politiques suisses, il n’a jamais été question de laisser les réfugiés  s’établir dans le pays. On les aide à passer et on les oriente vers ailleurs. Il y a de bonnes raisons à cela : des raisons économiques (le pays arrive à peine à nourrir sa population), géographiques (le pays est tout petit), politiques (la France fait pression). Il faut donc canaliser et organiser le flot de réfugiés.
A Genève, un « Résident » français (un ambassadeur) est installé et surveille la situation, renseignant le roi qui va renforcer sa pression sur le gouvernement genevois, lequel va exercer une politique d’autant plus prudente que Genève n’est qu’une toute petit ville  encerclée par la France.
Neuchâtel, qui compte 3’000 habitants voit passer 18’000 réfugiés. Le village de Dombresson, par exemple, va accueillir 1’600 personnes entre 1680 et 1715 et Le Locle 1’200 personnes entre 1690 et 1711.
Le canton de Vaud, qui avait souffert démographiquement à la fin du 17e, va accueillir un assez grand nombre de réfugiés.
La Suisse alémanique, pour dans raisons de langue en accueillera moins, mais Berne et Zurich en accueilleront beaucoup.
C’est sans doute la ville de Schaffhausen qui en a vu passer le plus (5’000 à 6’000 personnes par an, soit un total de 27’000 personnes).

Une très grande générosité va se manifester à l’égard des réfugiés. Cela représente un effort considérable, car les arrivants n’ont rien. Il faut les nourrir, les vêtir, les soigner et leur donner un pécule pour continuer la route. Ce qu’on appellera la « passade ». Ainsi par exemple, l’aide de l’Etat de Berne va représenter 20% de son budget. Des collectes sont organisées un peu partout, mais les autorités sont prudentes et on voit qu’elles ne dépenseront jamais la totalité des sommes collectées…

Au début, les huguenots sont persuadés que Louis XIV va revenir sur sa décision. Ils n’ont donc pas de volonté d’intégration. Ils vont rester entre eux et s’organiser entre eux, refusant les coutumes et les lois du pays. Au début du 18e siècle, ils vont comprendre que le roi ne reviendra pas en arrière. Leur intégration va alors surtout dépendre de leur profession. Pour ceux qui sont paysans, il n’y a pas de place, pas de terre. Ils doivent continuer leur chemin, notamment vers la Prusse où ils sont accueillis d’autant plus  généreusement que le pays a été ravagé et la population décimée par la guerre de trente Ans.
Par contre ceux qui exercent des professions novatrices, les horlogers, indienneurs, banquiers, etc., ceux là vont pouvoir rester. C’est pour cette raison qu’on associera longtemps les huguenots au luxe.

Si beaucoup de familles neuchâteloises se targuent d’une ascendance huguenote, en fait seul un petit nombre d’entre elles descend réellement de ces réfugiés arrivés à la fin du 17e siècle. Parmi ces familles, on peut citer les Bonnet, Gélieu, Cachelin, de Coulomb,  Divernois, Favre, de Luze, Monard, Pourtalès, de Reignier et Suchard.