Bulletin 45 / Décembre 2011

Ferdinand Berthoud, de Plancemont (1727-1807)
Communier de Couvet en la Chastellenie du Vaulx Travers, principauté de Neuchâtel en Suisse
né dans une famille bourgeoise de Neuchâtel

Nous reprenons ici un texte écrit par Pierre-Arnold Borel et publié il y a quelques  années dans l’Impartial de la Chaux-de-Fonds.

Un enfant malicieux

C’est à Plancemont sur Couvet que naît Ferdinand, en 1727. (Il est baptisé le mercredi 19 mars 1727 au temple de Couvet par le pasteur Gélieu de Fleurier). Très tôt, ses parents remarquent sa vive intelligence et pensent qu’il pourrait faire un bon pasteur. Il se met avec zèle à l’étude du latin mais conserve cependant la malice des petits garçons de son âge.

Il ne comprend pas pourquoi un irascible voisin lui tire violemment les oreilles lorsqu’il foule l’herbe de son champ en courant avec son chien. Vexé, Ferdinand jure de se venger. Il guette l’occasion de faire une bonne farce à ce vieillard superstitieux. Un jour le vieux monsieur descend à Couvet pour ne remonter qu’à la nuit. Voici son astucieux plan d’attaque, prendre une roue de char, entourer le moyeu de paille, y attacher un chat, se poster au haut du chemin en pente et attendre son ennemi. C’est ce que fait Berthoud. Lorsqu’il le voit au bas du chemin, il boute le feu à la paille et lance la roue de toutes ses forces. Ce cercle enflammé bondit avec de lamentables miaulements de chat. Il passe comme une fusée à côté du bonhomme paralysé de terreur. Le pauvre homme est persuadé avoir vu le diable. Les jambes flageolantes, mort de peur il rentre péniblement chez lui pour se mettre au lit pour plusieurs jours !
« voilà, disait plus tard, Ferdinand Berthoud, en racontant l’histoire, comment j’ai fait tourner ma première roue ! »

Temps d’apprentissage

L’enfant s’intéresse de plus en plus à la mécanique. Ses loisirs se passent auprès de son frère aîné, Jean Henry, le pendulier. Il désire aussi apprendre à confectionner une de ces merveilleuses pendules à répétition. Ses parents le voyant irrésistiblement attiré vers l’horlogerie ont la sagesse de ne pas, le contrarier. A quatorze ans il commence donc un apprentissage chez son frère. C’est dans la vieille maison familiale qu’il construit sa première pendule neuchâteloise. Pour couronner sa formation, il se rend quatre ans plus tard avec son maître chez Jean-Henry Borel, le notaire de Couvet. Ce dernier prend sa plume d’oie et lui délivre une lettre d’attestation. Si nous nous penchons sur le parchemin nous lisons ce qui suit :

Le départ pour…

« Jean-Henry Berthoud, de Couvet, domicilié à Plancemont au Val de-Travers, en la souveraineté de Neuchâtel et de Valangin en Suisse, maître horloger pendulier, déclare et atteste par devant moi, Jean-Henry Borel-Petitjaquet, notaire à Couvet, bourgeois de Neuchâtel, que. Ferdinand Berthoud, fils de Jean, justicier, son frère, a travaillé chez lui pendant 4 ans à titre d’apprenti. Ce dernier a manifesté beaucoup d’assiduité, il est capable de faire et parfaire une pendule. Il le recommande à tous les maîtres horlogeurs» (13 avril 1745).

Cependant cette pièce seule ne lui permet pas de prendre la route de Paris. Il lui faut encore une attestation d’origine et de bonnes mœurs. Sur sa requête, la communauté de Couvet, se réunit à la sortie du culte le dimanche 4 avril 1745, pour délibérer et pour  l’établir.

Comme il lui manque encore l’argent nécessaire au départ il se rend à nouveau chez le notaire Borel, avec sa sœur Jeanne-Marie. Il emprunte 285 livres faibles au taux d’intérêt de 4,5 pour cent l’an et donne en garantie son pré des Coeubles situé derrière Boveresse. Cette somme. sera destinée à ses frais de voyage et à son installation à Paris.

Loin des grandes routes, sur une pente bien exposée, le riant hameau de Plancemont n’a pas changé d’aspect depuis des siècles. Vers 1400, Jehan, Jehannin est Jehanneret Berthoud possédaient déjà des terres et maisons au dit lieu. Quatre siècles plus tard on y trouve toujours des Berthoud; les Berthoud de Plancemont pour les différencier de ceux de Fleurier.

Entrons chez le père de Ferdinand, Jean Berthoud le justicier. Il ne lui suffit pas de cultiver son vaste domaine comme le font ses voisins, son ambition le conduit plus loin, Il sait construire des murs et lever une charpente, il n’en faut pas plus à cette époque pour se dire architecte. A la belle saison, il se met en route à la tête d’un groupe d’ouvriers qui vont de village en village construire des maisons. Pendant ce temps, sa femme, Judith, la fille à Baltazard Berthoud, dirige les domestiques, fait fructifier le domaine et s’occupe des marmots.

… Paris

C’est chez Julien Leroy Ferdinand affûte ses armes. Il travaille de pair avec le fils du célèbre horloger. Ils ont vite fait de mesurer leurs capacités réciproques. Tous deux y trouvent aussi une émulation qui favorise leurs recherches et leurs travaux. A côté d’une  excellente camaraderie, cette rivalité professionnelle durera toute leur vie. Dans le monde de la science, on parle beaucoup à cette époque de la détermination de la longitude sur mer. C’est-à-dire de savoir l’heure qu’il est sur le vaisseau en pleine mer, et au même instant l’heure qu’il est sur terre au point de départ de ce navire. Ce qu’il faudrait créer, c’est une horloge sans pendule, qui supporte le roulis et le tangage du bateau. L’Angleterre offre au créateur d’une telle horloge supportant, six semaines de mer sans être  détraquée, une prime de 20.000 livres.

Premier chronomètre marin

Chronomètre de marine, 1763

Ferdinand Berthoud se met aussitôt au travail et lutte d’ingéniosité avec Pierre Leroy et l’Anglais John Harrison. C’est à qui des trois arrivera le premier à construire une horloge marine parfaite. En 1761, Ferdinand remet la sienne au roi Louis XV et au  gouvernement français. Après un essai de six semaines, on constate qu’elle donne la longitude à 1/4 de degré près, tandis que l’écart permis allait même jusqu’à un demi degré! Dès lors c’est la gloire et la fortune pour le petit paysan neuchâtelois, créateur du premier chronomètre marin. Le gouvernement anglais lui offre aussitôt le prix promis. Il le refuse généreusement, ne voulant pas en priver Harrison qui avait, lui, consacré toute sa vie à cette découverte.
Sur la demande de Louis XV, Berthoud livre d’autres horloges aussi parfaites que la première. L’Etat français lui offre une coquette pension et le roi y ajoute le titre d’horloger mécanicien royal. En 1795, l’Institut de France lui ouvre ses portes. Cette académie des sciences a été fondée par Colbert en 1666. C’est une réunion de mathématiciens, de physiciens et autres savants. L’Empire ne l’oublie pas, et Napoléon le crée chevalier de la légion d’honneur.

A l’Institut de France

Devant un parterre de savants, Berthoud expose ses découvertes. Il a peine à capter l’attention de ses collègues. 

Un académicien se met à griffonner un quatrain qu’il passe ensuite discrètement autour de lui. En le lisant tout le monde se met à rire. Berthoud ne se fâche pas et trouve l’aventure plutôt amusante.
Voici la teneur du billet :

Berthoud, quand de l’échappement
Tu nous traces la théorie
Heureux qui peut adroitement
S’échapper de l’académie !

L’on raconte encore une autre anecdote à son sujet… Lors d’un voyage en mer, Berthoud essaie de s’entretenir en anglais avec un étranger. Il a de la peine à s’exprimer et s’aperçoit que son commensal, lui aussi a quelque peine à parler cette langue. Ils finissent par se rendre compte tous deux que leur langue maternelle est le français.
Mais s’écrie l’étranger, après quelques minutes de silence, ce n’est pas du français de France que vous parlez !
– Non, répond Ferdinand, je suis Suisse.»
– De quel canton, je vous prie ?
– De Neuchâtel ! s’écrie Berthoud impatienté.
– A votre accent, vous n’êtes pas de la ville, insiste l’étranger.
– Que vous importe! dit Berthoud en se fâchant.
– Il m’en importe, que vous êtes du Val-de-Travers ! Et à votre accent, de Couvet, je parie !
Furieux, cette fois, devant tant d’insistance Berthoud réplique:
– Non, pas de Couvet, mais de Plancemont.»
– Et moi, dit l’autre en se jetant dans ses bras, je suis du Marais! (manoir qui se trouve entre Couvet et Môtiers), je suis le colonel de Sandol… 

Groslay

Notre ami a de la peine à s’adapter à la vie de Paris. Il pense, avec nostalgie à son Jura natal si verdoyant et si paisible. Sitôt qu’il le peut il achète une propriété de campagne à Groslay. Ce village se trouve à 20 kilomètres des portes nord de Paris, très près de Montmorency. Jean-Jacques Rousseau s’était aussi installé dans cette région, mais vingt ans plus tôt. Comme lui, Ferdinand aime à méditer et à se promener dans la paix des champs. C’est dans cet agreste nid de verdure qu’il installe sa jeune femme, mademoiselle Chatry de Lafosse, de Caen en Normandie. C’est aussi là qu’il accueille de nombreux amis suisses, entre autres Jacquet-Droz. Ce dernier avait demandé à Berthoud de l’introduire à la Cour de France et de le présenter à la reine Marie-Antoinette. C’est dans cette maison qu’il s’éteignit à l’âge de huitante ans, sains laisser de postérité.

Si vous passez au cimetière de Groslay, un monument vous signalera sa place. Sur la place du village, Place Berthoud, les Covassons sont allés remettre le buste en bronze, disparu en 1940. Ils avaient sa réplique sur le parvis du temple de Couvet, ce qui a permis de refaire facilement une copie.

Une promenade à Plancemont vous fera découvrir la maison Berthoud à laquelle est apposée une plaque commémorative. Vous trouverez également des chronomètres marins signés Berthoud au musée d’horlogerie de La Chaux-de-Fonds.

Relevé sur la pierre tombale de Ferdinand Berthoud au cimetière de Groslay:
« Bon fils et époux fidèle, ami sûr, homme bienfaisant, génie profond tel fut Ferdinand Berthoud dont cette pierre couvre les restes. Ils y furent déposés le 22 juin 1807.
Il naquit à Plancemont dans la Principauté de Neuchâtel en Suisse le 19 mars 1727.
Il appliqua le mécanisme de la mesure du temps à la découverte des longitudes en mer et en fixa la science par ses écrits, ainsi il assura la marche des navigateurs. Il mérita la reconnaissance et l’admiration du monde.
Il fut mécanicien de la Marine, membre de la Société royale de Londres, de l’Institut impérial de France et de la Légion d’honneur ».

Ferdinand Berthoud (1727-1807)