Bulletin 45 / Décembre 2011

Sortie d'automne, samedi 22 octobre 2011
Visite de la Borcarderie à Valangin

par Françoise Favre

Il est 14 h, le soleil n’a pas encore percé – mais cela viendra ! – et près d’une quarantaine de personnes sont réunies dans la cour, devant le château de la Borcarderie, à Valangin où la maitresse des lieux, Louise Berg née de Montmollin nous accueille.

« La Borcarderie », un drôle de nom que plus d’un déforme en « Brocarderie », qui semble mieux sonner à nos oreilles (à noter que notre guide en parle comme de « la Bor »). « La Borcarderie » donc. Le nom du domaine
viendrait tout simplement du premier propriétaire un certain Borcart, cité en 1498.
La visite commence dehors.

La date de 1583, sur l’entablement d’une fenêtre, témoigne de l’ancienneté du bâtiment, qui a toutefois subi bien des vicissitudes au cours des siècles. Par deux fois, le château a failli disparaître. 

En 1891, un violent incendie a ravagé les deux tiers du bâtiment, qui sera heureusement très vite reconstruit. En 1983, un deuxième incendie se déclare, ne faisant par chance que peu de dégâts. Enfin, dernière transformation et
derniers aménagements, le château a fait peau neuve en 2010 et sa sa façade ocre pâle est du plus bel effet.

En 1657, le chancelier Georges de Montmollin (1628-1703), fraîchement anobli pour service à la patrie, achète le domaine qui est toujours propriété de la famille. Dans les années qui suivent, il fera apposer un peu partout ses
nouvelles armes, des armes « géométriques », plus chic et plus modernes, qui remplacent les anciennes armoiries parlantes où figurait un moulin sur un mont. On peut voir ces armes, avec la date de 1677, au-dessus de la porte d’entrée.

Plusieurs générations se sont succédées ici, et le dernier résident du château fut Guillaume de Montmollin, le grand-père de notre guide, qui vécut ici le temps de sa retraite, de 1951 à 1971. 
Depuis, le château est devenu une résidence secondaire et n’est guère habité que l’été.

Avant de nous faire entrer dans le château, Louise Berg nous entraine vers le petit cimetière familial, un lieu de poésie, bien caché dans la forêt, toute proche. Cinq blocs de granit tous simples, rappellent les noms des trois dernières générations qui ont vécu ou fréquenté la Borcarderie: Blanche de Montmollin (1918-2007) et son mari Fernand Heusch (1908-1988), les parents de notre guide ; Guillaume de Montmollin (1884-1971) et son épouse Louise née de Chambrier (1886-1969) ; Henri de Montmollin (1842-1923) et son épouse Fanny Pannewitz-de Rougemont (1856-1929) ; et enfin le Dr René de Montmollin (1843-1923), médecin hors norme, dont on raconte que lorsqu’il avait à soigner des jeunes patients atteint de syphillis, il leur plâtrait une jambe pour les « calmer » ! Un médecin qui prenait soin de se laver les mains entre chaque patient – il était bien le seul à le faire – et qui s’est tout simplement endormi un soir dans le tram qui montait à Valangin pour ne plus se réveiller.

Passons la porte et entrons…
C’est en émaillant son récit d’anecdotes familiales et souvenirs d’enfance que Louise Berg va nous faire visiter les 3 étages de sa vieille demeure et la faire vivre sous nos yeux et bruire à nos oreilles. Une façon de faire de la généalogie in situ.

Entrons d’abord dans la lessiverie, qui présente les étapes de l’histoire de la lessive : la cheminée, garnie de crochets pour y suspendre les chaudrons dans lesquels on faisait alors la lessive, puis la lessiveuse et son fourneau, qui fonctionnait encore dans les années cinquante et enfin la machine à laver moderne.
Les murs blancs sont couverts de dessins au crayon, griffonnés en 1939 par des soldats en garnison. Ces dessins font actuellement l’objet d’une étude par la conservatrice du musée militaire de Colombier.

Au premier étage, on rentre dans un vaste hall dont le centre est occupé par un magnifique poêle à catelles bleu-vert, avec une frise blanche ornée de motifs bleus, un poêle qui dégage aujourd’hui une agréable chaleur. Tout autour, sur les murs, les armes des familles parentes et alliées. Un très vieux coffre en bois occupe une place d’honneur.
Nous entrons dans le bureau de Guillaume de Montmollin, resté à peu près dans l’état où il l’a laissé en 1971. Comme dans tout bureau, la bibliothèque occupe tout un pan de mur ! Et sur le dessus de la bibliothèque sont rangés des « colonnes » de bois sculptées en torsades creuses, un des passe-temps de Guillaume. Louise Berg attrape une boite à chapeau qui contient… le casque à pointe de son arrière grand-père Henri, soldat dans l’armée prussienne dans la 2e moitié du 19e siècle ! Un objet qui lui permet d’évoquer à la fois des souvenirs d’enfance, quand avec ses frères et sœurs, elle jouait avec ce casque à pointe, et le souvenir de ce grand-père tellement attentif à ses petits-enfants, un grand-père comme tous les enfants rêveraient d’avoir !

Dans le grand salon, elle nous fait remarquer les boiseries en noyer, le plafond à caissons, le poêle en faïence, jumeau de celui qui est dans le hall, les fauteuils en tapisseries où sont brodés des fruits exotiques aux couleurs vives, des motifs tout à fait inhabituels dans le canton de Neuchâtel. Mais le plus original, c’est le parquet, dans lequel sont incrustés des petits ronds blancs en ivoire. A quoi pouvaient-ils bien servir ? C’est tout simplement un jeu de quilles ! Une fois les tapis roulés, on place les quilles sur chacun des ronds  d’ivoire. On joue avec une grosse rondelle de bois d’environ 15 cm de diamètre et de 5 cm d’épaisseur, lestée de plomb, dont la surface de roulement est légèrement en biseau. Quand on la fait rouler, elle ne va pas tout droit, mais décrit une courbe. Dans ces conditions, faire tomber les quilles est tout un art ! Ambiance garantie pour les soirées familiales !

A côté, c’est la salle à manger. La table occupe toute la place. Elle a été fabriquée sur place par le grand-père Guillaume. Elle est magnifique, sur ses quatre pieds sculptés en torsades creuses, mais elle est si grande qu’elle ne pourra pas sortir de cette pièce ! Sur la table, des photos du château avant et après l’incendie de 1891. Tout autour, sur les murs boisés c’est une galerie de portraits de famille où les hommes posent en habits d’apparat et les femmes ont un air austère dans leurs robes sombres. Quant à dire qui est qui… même la maitresse des lieux s’y perd un peu !

Les 2e et 3e étages sont occupés par une succession de chambres – une quinzaine – un peu toutes les mêmes, sobrement meublées : un grand lit, une table, quelques chaises, des murs tendus d’indiennes aux couleurs passées. Et puis, modernité oblige, deux salles de bains ont été aménagées récemment. Il fallait bien que le 21e siècle laisse aussi sa marque dans ce vieux château !

Suivent les greniers, pleins d’objets les plus divers, amassés au fils des générations. Pourquoi se débarrasser de ce qu’on n’utilise plus, quand on a tant de place ! Alors, aujourd’hui, les héritiers retrouvent des tas de choses, comme autant de « trésors » qui leur  parlent de leurs ancêtres.

Le temps a passé, le soleil a fini par percer sans que nous nous en apercevions. Il est l’heure d’aller prendre le thé chez Weber, accompagné de tartes à la crème, aux noisettes ou aux fruits. Les conversations vont bon train, on fait connaissance de quelques nouveaux membres, on parle de généalogie, de la vie de château… et de bien d’autres choses encore !