Bulletin 48 / Mai 2013

Un plat d'étain de Jean-Jacques Rousseau et ses possesseurs successifs
(familles Besancenet et Barrelet, de Boveresse)

par Louis Barrelet, Neuchâtel

Rousseau n’a pas laissé aux Neuchâtelois que des lettres et des romans; il a aussi manifesté sa présence par des dons tels que des lacets de sa fabrication destinés aux demoiselles d’Ivernois et à Madeleine Boy de la Tour, et des plats en étain offerts aux corporations de tireurs comme prix. Il s’est installé à Môtiers-Travers de 1762 à 1765 et c’est de 1764 que datent les dédicaces des trois étains qui nous sont connus. Deux de ceux-ci sont décrits en quelques lignes par Louis Reutter dans le « Musée neuchâtelois » de 1919. L’un porte cette inscription « Donné par Jean-Jacques Rousseau 1764 à l’abbaye des Tireurs de Môtiers ». Il aurait fait partie de la collection F. Troyon. L’autre; « Donné par J.J. Rousseau 1764 ». Il appartenait à M. Léo Jeanjaquet, au château de Cressier. Un autre aurait été donné à un habitant de la Brévine. Le nôtre est un plat en étain de 22 cm de diamètre portant à l’intérieur l’inscription gravée : « Donné par M. J.J. Rousseau 1764 ». Le fabricant a mis son sceau : il s’agissait de C. Thonnet, à Neuchâtel.

Au dos de ce plat, il a été collé en son temps une notice écrite à la main et signée, disant : « Plat d’étain donné comme prix en 1764 par J.J. Rousseau àl’Abbaie de Môtiers (Val de Travers Canton de Neuchâtel) ». On montre encore à Môtiers la chambre que Rousseau a occupé pendant son séjour dans cette localité. Ce prix fut remporté par Abr. H. Bezencenet et conservé par son fils Abr. H.B. Bezencenet, lieutenant civil. A la mort de celui-ci, qui ne laissait pas d’enfant, eut lieu la vente de son mobilier, et ce plat fut adjugé au plus offrant « M. Louis Barrelet Vouga, mon beau-frère qui m’en a fait don à Môtiers, le 15 mai 1863, ce que je confirme par ma signature. Frédéric Troyon ».

Charles Thonnet (1720-1775), potier d’étain et marchand à Neuchâtel, fut un des fournisseurs des Mousquetaires et Fusiliers de 1760 à 1770. La corporation de tir de l’Abbaye de Môtiers reçut Rousseau comme membre. Les Barrelet en firent partie en tout cas depuis Louis V. Barrelet Vouga. Anciennement, et d’après le règlement de 1910, on est admis dans la société soit par droit de succession, soit par incorporation. L’accessibilité dans l’association par droit de succession appartient au fils unique d’un sociétaire décédé, ou à l’un de ses fils, s’il en a plusieurs, moyennant qu’il produise à l’appui de sa demande une déclaration de désistement de ses frères, dans le délai d’un an et six semaines après le décès de son auteur.

Notices biographiques concernant les propriétaires successifs

Abraham Henry Bezencenet (ou Besancenet) (Boveresse 1724-1798), troisième fils d’Abraham, ancien et accesseur du Vénérable Consistoire seigneurial, et de Susanne-Marie Bezencenet (petite cousine d’Abraham son mari). Notaire dès 1749, il devint justicier du Val-de-Travers la même année, ancien d’Église et aussi assesseur du Vénérable Consistoire seigneurial, lieutenant puis capitaine (1750) de l’honorable Compagnie des Mousquetaires de Boveresse, gouverneur de son village en 1764. Souvent roi du tir, il remporte plusieurs prix et, en homme cultivé, il possédait une riche bibliothèque et portait armoiries : d’azur à un triangle évidé d’argent soutenu d’un croissant du même, au chef de sable chargé de deux étoiles d’argent (émaux d’après un cachet venant d’Abraham Henri fils, meubles d’après un étain du père). Avec trois autres membres du Consistoire admonitif de Môtiers-Boveresse, il signe une requête au Conseil d’État en faveur de J.J. Rousseau en mars-avril 1765.

Il épouse en premières noces, en 1743, Marie Madeleine Barrelet née à Boveresse en 1720, fille de Jacob et de Madeleine Boy de la Tour, dont 5 enfants et en deuxièmes noces, en 1769 à Môtiers-Boveresse, Jeanne Marie Dubied, née à Boveresse en 1739, fille de Jean Pierre et de Jeanne Marguerite Favre, dont un fils Abraham Henri qui suit.

Abraham Henri Bezencenet (Môtiers-Boveresse 1774 – Boveresse 1861), fils du susdit Abraham Henry, célibataire. Pendulier, il fut de 1831 à la Révolution dernier lieutenant de justice en la Baronnie et Châtellenie du Val-de-Travers, député 1816-1830 aux Audiances générales, membre du Tribunal souverain de la Principauté et assesseur de la Chambre d’Assurance contre les incendies. Le « Musée neuchâtelois » de 1881 parle de ses longues randonnées à cheval dans le vallon et au-delà. La famille Besancenet qui a donné plusieurs notaires et justiciers s’est éteinte au vingtième siècle.

Frédéric Louis Troyon (1815-1866) fils de Marguerite Raccaud, archéologue. Avec Gustave de Bonstetten, il fut un des pionniers de l’antiquité préhistorique en Europe. Auteur d’une « Description des tombeaux de Bel-Air » et d’écrits sur les habitations lacustres, il devint en 1852 conservateur des antiquités au Musée cantonal. Il était membre de nombreuses sociétés d’histoire et d’archéologie suisses et européennes. Il a épousé Susanne Julie Vouga, née à Cortaillod en 1816, fille de Abram et de Louise Elisabeth Mentha, soeur puînée d’Elise Vouga qui épousa Louis-Victor Barrelet qui suit, sans enfants. Les Troyon sont originaires de Cheseaux-sur-Lausanne dès le XVIème siècle. Abram Vouga est issu d’une lignée de justiciers de Cortaillod, communiers de Bôle, bourgeois de Boudry, d’une famille qui remonte au XVème et qui a donné plusieurs officiers de juridiction et quelques branches membres de la bourgeoisie de Neuchâtel.

La famille Barrelet, elle, est mentionnée dès le XIVème siècle, filiation continue dès le XVème à Boveresse, et elle a donné des chefs de juridictions ou des officiers au Val-de-Travers et au Pays de Vaud.

Louis Victor Barrelet, Môtiers 1813-1876, deuxième des 4 fils, d’Henry et de Rose Salomé Petitpierre, propriétaire foncier, un des trois plus gros contribuables de Môtiers. Il habitait Môtiers, mais fit partie des autorités de sa commune de Boveresse. Membre de la ligne cadette des Barrelet, sa postérité et ses collatéraux porteront les mêmes armes que la ligne aînée : d’azur à deux compas d’or, ouverts en chevron, accostés en chef et une croix latine renversée du même en pointe.

Il épouse, en 1834, Caroline Sophie Fath (Fleurier 1813 – Cortaillod 1838), fille de David, de Rittersweyer, Grand-Duché de Bade et de Marianne Jaques, dont deux filles. Il se remarie à Bôle en 1839, avec Elise Vouga (Cortaillod 1815 – Môtiers 1898), fille d’Abram, soeur aînée de Julie déjà citée, dont deux fils.

Charles Frédéric Barrelet (Môtiers 1839-1881), fils de Louis Victor et d’Elise Vouga ci-dessus. Il est propriétaire et maître boucher.

Il épouse à Môtiers en 1860, Rose Hélène Loup de Môtiers (1838-1868), fille d’Alphonse Gustave, de Rougemont, et de Judith Hélène Jeanrenaud. Veuf, il se remarie en 1871 à Môtiers avec Zélie Justine Rosselet (Les Bayards 1846 – Cortaillod 1919), fille de Louis Alphonse, du Grand Bayard et d’Eugénie Redard Jacot. Ils ont quatre enfants indivis jusqu’en 1931 :

Justine, 1872-1891.

Alfred, 1873-1947, qui épouse Jeanne-Louise Bille, 9 enfants dont 7 vécurent.

Mathilde, 1876-1972.

Jeanne, 1880-1963, épouse Adolphe Wolf.

Le 22 mai 1972, à Cortaillod, la succession de Mathilde Barrelet adjuge le plat à Pierre Barrelet, professeur à Berne * 1904, deuxième fils d’Alfred.