Bulletin 50 / Août 2014

Balade à Fontaines autour de ses fontaines

par René Guye

Nous vous donnons, ci-après, un résumé de la conférence de René Guye à travers le village de Fontaine en évoquant les diverses fontaines sises sur ce territoire.

Cette localité doit son nom aux nombreuses sources situées sur son territoire. L’endroit est mentionné pour la première fois en 1228 dans le cartulaire de Lausanne sous le nom de Fontanes. La petite communauté citée y est mentionnée comme une paroisse spéciale. Les armes de la commune sont elles-mêmes très parlantes : « d’azur à une fontaine d’argent ». Sa devise est « Il ne faut pas dire, Fontaine je ne boirai pas de ton eau ». Son nom lui vient sans doute de l’abondance et de la bonne qualité de ses eaux : aussi fait-on bien de l’écrire avec un S. Au milieu du XIXe siècle, ce village n’avait que deux fontaines proprement dites, jaillissantes, mais à la fois très abondantes et intarissables.

La fontaine de la Forge

La première Fontaine, dite de la Forge, est la plus ancienne. La chèvre est datée de 1644. Elle est constituée de trois bassins. Le premier porte la date de 1754. Le 22 juin 1744, l’honorable communauté de Fontaines, par l’intermédiaire de Samuel Richardet, justicier en l’honorable justice de Valangin et Henry Cornu, tous deux gouverneurs de Fontaines, passe un contrat avec Jean-Jacques Rosselet, maître tailleur, habitant Neuchâtel. Ce dernier devra réaliser deux bassins de pierre. Celle-ci sera tirée de la carrière des Hauts-Geneveys et amenée à la rue Dessous (depuis 1998, la rue des Bassins), avant la fin du mois d’août 1754, afin de permettre le transport de ces bassins avant que les gens des Hauts-Geneveys ne sèment leurs froments et cela pour éviter des dommages. On trouve dans un premier cartouche, les initiales S.R. [Samuel Richardet] et H.C. [Henry Cornu], 1754. Dans un deuxième, I.I. R. [Jean Jacques Rosselet] et P.R. Le second bassin n’offre aucune indication lapidaire, mais il s’agit selon toute vraisemblance, celui de Constant  Thiébaud. carrier qui a passé contrat avec la commune le 21 août 1858. Il correspond exactement aux dimensions exigées, soit 14 pieds de Neuchâtel de longueur, 5 pieds et 4 pouces de largeur et une profondeur de 1 pied et 6 pouces. Le 13 décembre de la même année, le caissier de la commune, H. Lavoyer, règle selon le contrat à Constant Thiébaud, la somme de 580 francs fédéraux, plus 30 francs de bonne main pour frais de voiturage. Quand au petit troisième bassin, il reste un mystère. Il pourrait provenir de la Buanderie, aujourd’hui supprimée. Les goulots actuels, en bronze, pourraient dater de 1810, comme l’attestent les comptes de la communauté : leurs coûts s’élèvent à 80 batz, dont 8 batz pour « un pot de vin que nous avons bu quand nous avons eu posé les goulots qui allaient dans le marché ». 

La Buanderie

La communauté de Fontaines acquiert, le 5 février 1836, une parcelle de Closel pour y construire une lessiverie-buanderie et un réservoir d’eau en cas d’incendie, au lieu-dit Closel Maillardet. Le 15 avril 1842, une convention est passée avec Frédéric Maumary, charpentier du « Pasquiers », afin qu’il fabrique un couvert aux puits des buanderies [ce qui deviendra en quelque sorte] un petit salon lavoir. Selon Le Véritable messager boiteux de Neuchâtel de 1859, on nous dit » : « par exemple, l’eau du puits qui est à l’usage de la buanderie publique, a beaucoup d’analogie avec celle du Gournigel et la couleur rougeâtre des couches de terre, par lesquelles l’eau de la source arrive au puits, est aux yeux de plusieurs personnes, l’indice d’une propriété curative de cette eau, dont quelques malades ont fait usage comme remède contre des affections dartreuses ».

Aujourd’hui, il n’existe plus de buanderie, ni de couvert. Ces constructions ont fait place à un espace partiellement occupé par des places de parc pour voitures.

La fontaine du Pavé

Les deux gouverneurs Jean Buchenel et Abraham-Henry Richardet passent contrat avec Abraham Matthey, maître tailleur de pierre du Locle, le 28 novembre 1755, pour faire « deux bassins ou auges de pierre, d’une longueur d’environ 11 pieds et pas moins de pieds à un bout et même davantage, s’il est possible et environ 6 pieds de l’autre » ; ces bassins devant provenir de la carrière de la Pute Mange « Pouette Mange », appartenant à Isaac Veuve, proche du chemin reliant la Vue des Alpes aux Vieux-Prés. Le 30  septembre 1758, marché est conclu avec Abraham Soller et la communauté et dont les coûts s’élèvent à 80 batz. Le 19 mars 1767, contrat est fait avec « La Jeunesse » de son nom de compagnon, alias Pierre Bigoudot, maître tailleur de pierre, pour fournir un bassin de pierre, qui est déjà tiré de la carrière de Chézard. L’aboutissement de ces tractations pourrait avoir abouti à la réalisation de la Fontaine du Pavé.

L’environnement à la Rue-Dessus au XIXe siècle

Citons encore Le Véritable messager boiteux de Neuchâtel de 1859. « Ce village n’a que deux fontaines proprement dites, deux fontaines jaillissantes, mais elles sont à la fois très abondantes et intarissables. Durant la longue sécheresse de l’hiver dernier, on allait tous les jours de Fontainemelon et d’Engollon puiser de l’eau dans le réservoir d’une de ces fontaines de quoi en remplir des bosses [tonneaux de grande contenance], sans qu’il en résultât un abaissement sensible du niveau de l’eau. Outre ces deux fontaines, il y a dans ce village des puits abondants, la plupart des maisons en ont un à leur portée. Toutes ces eaux sont d’une limpidité et d’une fraîcheur remarquables. Peut-être existe-t-il à Fontaines une source d’eau thermale; certains indices l’annoncent ». Ces descriptions ne sont pas  inutiles pour situer dans quel environnement vivait un jeune berger, originaire de Luterbach (canton de Soleure), né le 2 novembre 1868 à Fontaines, nommé Henri Meyer, qui a un rapport avec la dernière fontaine que nous visiterons. Fils d’un tailleur de pierre, le jeune Henri venait y faire abreuver ses moutons. La famille étant pauvre, il se voit privé de courses d’école, ce qui le frustrera profondément. Plus tard, il fera son chemin et nous verrons quelque temps plus tard une trace de son existence à Fontaines, au cimetière du village.

La fontaine du Temple

Dirigeons-nous maintenant vers le temple, qui est aussi le plus ancien bâtiment du village. Au début de l’année 1854, la constitution d’une association, dans le but de rechercher des eaux minérales à Fontaines et d’y établir des bains salutaires pour la santé, est en  cours de conception. La réalisation en est assez avancée. Pour preuve, les 21 et 22 juin 1854, Abraham Louis Tänniger, maître fontainier, fait un croquis de travail. Mais ce projet ne sera pas réalisé. Il se peut que celui-ci n’ait pas été assez convaincant. Mais durant les années 1856-1857, cinq personnes du village s’engagent à participer à l’établissement d’une fontaine vers le temple. Il faudra toutefois attendre le 19 novembre 1864 pour qu’un contrat soit signé avec un certain Joseph Ackermann pour enfin alimenter cette  fontaine depuis une source. Aujourd’hui, cette fontaine n’est plus la même. Sur le haut du fût, on peut y lire la date de 1929. Il devait y avoir au-dessus un élément de couronnement. On pourrait penser à un globe ou à éventuellement un gland. On pourrait aussi penser à un poisson ou tout simplement à une boule.

Henri Meyer (1868-1943)

Né le 2 novembre 1868 à Fontaines, il est le fils d’un tailleur travaillant à la Vue-des-Alpes, enclave de la commune que nous venons de citer. Henri Meyer, originaire de Luterbach (canton de Soleure), a un rapport très étroit avec la dernière fontaine que nous  visiterons. Quelque temps après l’épisode de Fontaines, la famille déménage à Bienne. Il fait un apprentissage à la tréfilerie de Boujean, puis devient commis à Oméga. Il donne toutes ses paies à sa mère, mais garde pour lui les gratifications de fin d’année. Il  apprend les langues aux cours du soir. Puis un jour, il part au Caire pour rejoindre un frère aîné, directeur d’une fabrique d’engrais chimiques. Mais la vie de bureau lui paraît aussi monotone en Egypte qu’en Suisse. Il quitte bientôt son frère pour devenir interprète à l’Hôtel des Pyramides. L’idée lui vient de faire le tour du monde et part pour l’Amérique. Peu après avoir débarqué, on lui vole son unique paire de chaussures. Il continue son périple en chaussettes et pour parvenir sur les côtes de l’Océan Pacifique, se cache souvent sous des wagons. Arrivé aux Indes, malade et sans ressources, il demande de l’aide à son frère pour poursuivre son voyage jusqu’en Egypte. Il renouvelle bientôt son tour du monde, mais en qualité de représentant de la fabrique d’engrais. En 1925, son frère est assassiné sur le bateau qui le ramène en Suisse. Henri Meyer est appelé au poste de directeur et fait fortune. Il achète à bas prix des terrains incultes aux environs du Caire, et au milieu de ceux-ci, fait construire une mosquée, à l’intérieur de laquelle il fait  apposer un écusson neuchâtelois. Des fellahs construisent des maisons autour de la mosquée et un village prend forme. A Embabeh, au bord du Nil, il fait construire un casino magnifique avec des vitres en verre de Bohême. Sur l’une des parois, un peintre illustre représente la célèbre danseuse, la Pavlova. Cet édifice, appelé Kit-Kat sera légué à la commune de Fontaines. La politique de nationalisation de Nasser privera la commune de cet acte de générosité.

Henri Meyer revient passer chaque année ses vacances en Suisse. Il soigne ses rhumatismes au Grand Hôtel de Macolin, où il est client du docteur Stauffer (1854-1951), de Neuchâtel. Lors d’un de ses passages, il présente au Conseil fédéral un projet de dévaluation du franc suisse. Il refait un troisième tour du monde, mais cette fois, en cabine de luxe. Lors d’un de ses séjours en Suisse, il se rend incognito au Val-de-Ruz. C’est peut-être à ce moment-là que germe en lui l’idée de faire un legs pour la commune de Fontaines et de s’y faire enterrer. Dans son testament, il note que sa tombe sera surmontée d’un obélisque de sept mètres de haut « sans socle ». Il doit être en granit de Baveno. Cette pierre est extraite de la région de Stresa, au Tessin. Mais l’obélisque a une hauteur d’environ trois mètres cinquante. S’agit-il de l’œuvre des « Lèche-beure-cannes » (sobriquet donné aux habitants de Fontaines, par rapport à leur réputation de « radinisme »). L’inscription sur l’obélisque n’est pas visible en plein jour. Elle apparaît clairement au crépuscule et on peut y lire : Henri Meyer, du Caire, né à Fontaines, 1868-1943.

La fontaine Henri Meyer

Maintenant, passons à une fontaine du XXe siècle, pour laquelle nous rappellerons à notre bon souvenir le nom de Henri Meyer. En effet, sur le bassin, on peut y lire l’inscription suivante : « Henri Meyer à la commune de Fontaines, 2 IX 1951 ». Henri Meyer décède subitement d’une pneumonie le 17 avril 1943 à Locarno où sa famille s’était retirée. Se souvenant de sa situation passée, où petit berger, il faisait abreuver ses bêtes à la fontaine du village qui coulait en permanence, il fait un legs de 10’000.- francs pour les pauvres et  le fonds des courses scolaires, afin qu’aucun des élèves ne soit privé de l’excursion annuelle, et 15’000.- francs pour l’érection d’une fontaine en pierre du Jura, à l’avant du préau du collège. Par testament, il faisait encore bénéficier sa commune d’origine de Luterbach (canton de Soleure), son village natal de Fontaines, ainsi que diverses corporations et institutions des gros revenus du Casino « Kit-Kat » au Caire. Au terme d’une période de 99 ans, ces dispositions tomberont et le casino deviendra(it) la copropriété des communes de Luterbach et de Fontaines. La nationalisation Nasser fera capoter ce projet. La réalisation des biens du défunt se heurtera à toutes sortes de difficultés dues à la guerre d’abord, puis aux restrictions du commerce des devises. Il faut vendre des terrains en Égypte et ailleurs, des immeubles parfois à l’état de décombres et satisfaire le fisc. Les exécuteurs testamentaires ne pourront pas remettre aux bénéficiaires les sommes qui leur revenaient avant l’année 1950.

Dotée de moyens, la commune décide que la fontaine ne serait pas qu’un bassin pourvu d’un goulot, mais une œuvre d’art. Elle fait appel au sculpteur André Ramseyer (1914-2007), de Neuchâtel, pour la réaliser. Des blocs sans faille sont choisis dans la carrière de  Champ-Monsieur, à mi-hauteur de Chaumont. La fontaine est inaugurée le dimanche 2 septembre 1951, date inscrite sur le bassin. Selon l’article de Maurice Jeanneret paru dans Le Véritable messager boiteux de Neuchâtel de 1953, « Ce fut en effet le 2 septembre
1951 (date inscrite sur le bassin), que le village en fête inaugura sa nouvelle fontaine. Tous y prirent part, jusqu’aux enfants des écoles qui chantèrent, et à la fanfare qui conduisit un joyeux cortège. Divers orateurs se firent entendre, du lieu ou du chef-lieu, dont  l’artiste lui-même, qui dit sa joie de son captivant travail à lui confié ; les esthétiques de la fontaine furent soulignés et Fontaines félicitée de son heureuse fortune ». Dans le même article, voici la description de cette œuvre :

« Elle consiste en un épais bassin rond, monolithe, flanqué de deux hautes stèles, monolithes aussi, lesquelles répètent et soulignent le rythmique parallélisme des arbres plantés régulièrement de part et d’autre. Toutes deux portent, sculptés en haut-relief de la conception et de la main de l’artiste, des sujets rustiques; à droite un berger porteur d’un agneau, allusion à l’ancien gardien de moutons, à gauche une fière maternité, en souvenir de la courageuse mère du donateur, de même que tout le monument impeccablement taillé est un hommage au métier du père ». Rappelons que son père Gregor était tailleur de pierre à la carrière de la Vue-des-Alpes (alors enclave de la commune de Fontaines). A ce titre, il a aussi contribué à construire des bassins de fontaine, et notamment à la  Grande fontaine de l’Avenue Léopold Robert, à La Chaux-de-Fonds.

Dans la famille Meyer, tout le monde ne garde pas forcément un bon souvenir de Fontaines. L’un de ses frères prénommé Émile a déclaré : « Moi, je n’aurais pas légué ma chemise à la commune de Fontaines ». Accusé à l’âge de sept ans d’avoir mis le feu à la ferme Buchenel, il est incarcéré au château de Valangin, puis mis en surveillance chez le régent des Loges. Peu de temps après, une servante avouera en être l’auteure.

La fontaine de Nivarox

Il existe une fontaine plus récente. Elle est sur un terrain privé et date de 1966. Elle est érigée dans la cour de l’usine « Fabrique d’horlogerie de Fontainemelon, Nivarox ». Elle a près de cinq mètres de haut et est constituée de deux bassins situés de part et d’autre d’une chèvre surmontée d’un magnifique acrotère représentant un berger et son chien. On doit cet ouvrage aux dirigeants de la fabrique qui l’on fait ériger. La statue a été conçue et sculptée par Paulo Röthlisberger. Si vous voulez la visiter, il faut y aller aux heures d’ouverture de l’usine.