Bulletin 52 / Août 2015

Un imposteur suisse devant la Cour de Justice de Haarlem en 1752

par Jos Kaldenbach

Dans le courant du mois d’avril 2014, M. Jos Kaldenbach nous a fait parvenir un texte qui sort de l’ordinaire pour notre Bulletin. La lecture de ce procès-verbal, en vieux français parfois bancal, n’est pas très aisée, malgré quelques petites corrections apportées à la ponctuation par la rédaction, mais l’histoire n’est pas banale. Difficile de dire si le « criminel » dont il est question est réellement neuchâtelois…

Jos Kaldenbach, habite à Alkmaar au Pays-Bas. Il est président d’un cercle de généalogie tourné vers la recherche d’ancêtres allemands (www.wgod.nl), ainsi que de la Société Néerlandaise de Généalogie (l’équivalent de la Société Suisse d’Etudes généalogiques dont elle est partenaire) une société forte de près de 9’000 membres. Au cours de ses recherches, il est tombé sur deux jugements de criminels suisses à Haarlem (NL), l’un en 1752, concerne un certain Guillaume D’Atre de la Roque, de La Brévine/Neufchâtel, l’autre, en 1753, concerne David de Haas, de Berne. 

Il nous écrit :
« De très nombreux immigrants sont arrivés en Hollande, et parmi eux beaucoup d’Allemands et de Suisses. On estime qu’environ cinq millions de personnes sont arrivées en Hollande durant les cinq derniers siècles (mais il faudrait déduire de ce chiffre ceux qui sont partis, puis revenus…). Certains sont restés quelques mois, d’autres plusieurs années. Le commerce avec les colonies hollandaises d’Orient exigeait les compétences de nombreux experts militaires, artisans et voyageurs de commerce… Mais à cette époque comme  aujourd’hui, parmi les nouveaux arrivants se trouvaient des gens qui venaient seulement chercher de meilleures conditions de vie dans un pays riche, sans réelles compétences à offrir. Dans cette catégorie d’étrangers, le pourcentage de criminels était relativement  haut. Il n’est donc pas étonnant de trouver leur trace dans les vieilles archives judiciaires de la province néerlandaise de Noordholland. Parmi ces étrangers qui ont eu maille à partir avec la justice, voilà un Suisse bien suspect, dont le procès-verbal du jugement a été dressé en deux langues, fait exceptionnel à cette époque. En voici la transcription. »

“Mr. Jean van Styrum, Grand Bailly de cette ville, R.O (d’office), demandeur en cas criminel contre Guillaume d’Atre, natif de La Rocque, âgé de vingt huit ans, à présent prisonnier.

Le demandeur fait dire [qu’il est] conforme à la vérité que le prisonnier a confessé volontairement et hors tortures et liens qu’il est venu tout seul de Leijden, samedi le vingt cinquième de novembre passé, le matin à onze heures et demi, pour aller à Amsterdam ;  mais qu’il est resté ici, parce qu’il n’avoit rien de quoi vivre, et qu’il a rencontré ce mesme jour à douze heures et demi deux personnes, dont l’un se nommait Pierre, mais de qui il ignore l’autre nom, comme aussi le nom de l’autre personne. Que cette autre personne, le camarade de ce Pierre, lui a offert sans qu’il le demande de lui fabriquer, ce qu’il a fait réellement, l’attestation dont étant prisonnier, il a fait usage pour demander de l’assistance, et qui contenoit en substance que le Pasteur et Ancien de l’église de La Brévine,  comté de Neufchatel en Suisse, certifioit que lui, prisonnier réfugié, avait demeuré dans la ville de La Brévine, comté de Neufchatel en Suisse, ci-dessus nommé, l’espace de cinq mois, et professoit la religion de ce Pasteur et Ancien, et qu’il estoit membre de leur  église, et que pour cela il attestoit de rechef, que lui prisonnier pendant ce tems là, avait mené une vie chrétienne sans scandale venu à leur connaissance, et qu’il avoit aux occasions requises participé à l’auguste sacrement de la sainte-cène du Seigneur Jesus-Christ, et qu’avant ils le recommandoit aux soins de l’Eternel et à la charité de leurs frères, et qu’il estoit donné à La Brévine ci-dessus nommé le vingt deuxième de septembre 1752, signé (??) Pasteur et ?? du Bois ancien et encore cacheté d’un sceau.

Que lui prisonnier ayant aussi librement confessé que ce camarade de Pierre avoit un modèle d’une telle attestation, qu’il y a aussi mis le cachet qu’on y trouve, mais que c’estoit le cachet de l’hôte de l’auberge, où ce Pierre et son camarade avoit emmenez lui prisonnier, qu’il avoit encore cacheté en mesme temps quatre papiers, et qu’il avoit aussi donné des instructions à lui prisonnier, comment il devroit agir avec cette attestation ; que de plus lui prisonnier a encore confessé, qu’il n’a jamais demeurez à La Brevine, et 
que quoi qu’il scavoit que cette attestation estoit fausse en tout, lui prisonnier a néanmoins eu l’impudence d’aller avec à la maison de Diaconie des passants de l’Eglise Wallonne de cette ville (que ce camarade de Pierre lui avoit montré) pour demander quelque assistance avec cette fausse attestation, disant et assurant qu’elle estoit véritable et autentique.

Que ce Diacre lui ayant fait dire qu’il fallut aller avec chez un des ministres de la dite Eglise Wallonne, lui prisonnier n’y avoit pas été, parce que (comme il dit) il ne scavoit pas où il demeuroit et que pour cela il estoit retourné presque incontinent chez le mesme Diacre sans avoir fait quelque effort pour chercher où trouver la maison des dits ministres, mais que pourtant ce mesme Diacre lui avoit encore une fois renvoyé aux dits ministres.

Qu’après que lui prisonnier a esté chez ce Diacre, les dits Pierre et son camarade lui ont conseillé ce qu’il devoit faire, comme aussi d’aller le lendemain à l’Eglise Wallonne ici, pour présenter là la dite attestation aux membres du consistoire et demander quelque
assistance.

Que selon ce conseil, lui prisonnier avoit encore eu l’impudence d’aller le lendemain dimanche après le sermon à cette église que le susdit camarade de Pierre lui avoit montré de loin, et de présenter là la dite fausse attestation pour véritable et autentique dans le consistoire où quelques membres d’icelle estoient rassemblés. Qu’un des ministres qui estoient présents, l’ayant lu et examiné, disant d’abord à lui prisonnier qu’elle estoit fausse pour diverses raisons et ne pouvoit estre véritable et autentique, lui prisonnier néanmoins eut encore la plus grande impudence (quoi qu’il estoit pleinement persuadé de la fausseté), d’assurer et soutenir hautement qu’elle estoit véritable et autentique. Que cette assemblée, persuadée des raisons que ce ministre donnoit pour la fausseté de cette attestation susdite, lui aiant dit et recommandé à diverses fois qu’il feroit bien de le confesser et de se retirer incontinent, lui prisonnier, au lieu de cela et au contraire, avoit continué opiniâtrement son premier langage ; ce ministre susdit lui dit qu’il la retiendroit, et la mettant en sa poche, disoit à lui prisonnier, qu’il ne la lui rendrait point. Que lui prisonnier protestant contre cela et faisant des semblances qu’on lui fit grand tort, on lui répondit que s’il ne se retiroit pas, on feroit venir des archers pour l’emmener  à une autre place, et que pour cela il prendroit bien garde à lui, il avoit eu pourtant encore la hardiesse et l’impudence d’attendre, jusqu’à ce qu’ils arrivoient pour le mener de là dans une prison.

Que cette impudence et entreprise préméditée de lui prisonnier d’utiliser une attestation fausse et fabriquée comme il scavoit pour tromper les personnes à qui est confiée l’administration et la distribution de l’argent des pauvres (…) seulement destiné aux véritables pauvres membres du corps d’Eglise susnommé et point du tout pour des personnes vagabondant comme lui prisonnier de l’une place à l’autre, sans avoir des buts honnêtes et fixés, estoit une chose de grande conséquence et pour cela ne pouvoit rester impunie.

C’est pourquoi le Demandeur R.O. (office), au non (!) de nos Seigneurs Les Etats de Hollande et Westfrise faisant demande, conclut que lui prisonnier, par sentence des Nobles et Vénérables Messieurs les Echevins de cette ville, Mr. Abraham de Pape, Mr. Jan van den Berg, Mr. Christoffel Jan van Dam, Mr. Daniel Jan Camerling, Mr. Cornelis Ascanius van Sijpesteijn, Mr. David van Lennep et Mr. Joost Huijgens, sera condamné d’être mené le 19 de décembre 1752 sur l’échafaud se trouvant devant la Maison de Ville ici, où on a coutume de faire exécuter les sentences criminelles, et estant lié là par le Boureau à un poteau, d’être rigoureusement fustigez avec des verges, et d’estre après banni hors de cette province de Hollande et de Westfrise pour le terme de vingt cinq ans, sans y retourner pendant ce temps, sous peine d’estre puni plus rudement.
Et qu’enfin lui prisonnier sera aussi condamné dans les frais de son appréhension et emprisonnement avec les apendances et dépendances d’icelles.
Les échevins déclarent que le prisonnier n’a pas de moyens pour payer. »

 

Source: Noordhollands Archief, indexe Hilarius, ORA Haarlem Schouts Criminele rolle 3111-55-8, feuille 113 et ss.

Adaptation : Françoise Favre