Bulletin 52 / Août 2015

Analyse ADN appliquée à la généalogie des Marquis de Mervelier

par François Marquis

L’intérêt généalogique des tests ADN a été présenté dans le numéro 82 du bulletin du Cercle généalogique de l’ancien Evêché de Bâle. Le présent article va montrer ce que l’analyse ADN appliquée à la généalogie des Marquis de Mervelier a pu apporter comme  confirmations et comme nouvelles informations. La généalogie des Marquis de Mervelier des années 1500 à nos jours a été présentée dans le numéro 63 du bulletin de la société jurassienne.

Le chromosome Y permet de décoder le passé et de confirmer les liens du côté paternel

Les tests ADN pour la généalogie utilisent des techniques spécialement développées permettant de retracer notre passé en analysant les mutations lentes de certains secteurs d’ADN bien spécifiques du chromosome Y qui a la particularité de se transmettre à 100% de père en fils. Aux mutations près, un descendant aura le même chromosome Y que son ancêtre qui a vécu 10, 20 ou 50 générations plus tôt. Cette particularité de la transmission du chromosome Y de père en fils permet de confirmer avec une très grande certitude les liens supposés entre différentes familles ou patronymes semblables. Chaque descendant fait partie du même haplogroupe et doit avoir les mêmes marqueurs SNP. Les cas de non paternité (adoption, adultère) sont ainsi mis en évidence.

Deux sortes de marqueurs ont été identifiées sur certaines zones du chromosome Y afin de pouvoir reconstruire notre passé grâce à l’analyse des mutations qui se sont produites sur ces marqueurs au fil des générations passées: les marqueurs Y-STR et SNP.

Les marqueurs Y-STR, indicateurs de notre passé récent

Les marqueurs Y-STR sont utilisés pour analyser notre passé récent jusqu’à 2000 ans en arrière. Y indique qu’il s’agit du chromosome Y et STR signifie « Short Tandem Repeat » ce qui veut dire « répétition courte en Tandem ». Ses taux de mutation relativement rapides font qu’il n’y a plus beaucoup de lien avec les marqueurs de son ancêtre après 3000 à 4000 ans.

L’analyse Y-STR indique combien de fois un motif se répète dans 12, 37, 67 ou 111 zones bien spécifiques.

Le résultat d’une analyse Y-STR pour un individu est appelé haplotype qui permet de définir l’appartenance à un haplogroupe qui définit un groupe d’individus «cousins» ayant des marqueurs semblables souvent liés à certains peuples ou à un ancêtre commun.  L’haplotype est une suite de marqueurs ayant chacun un chiffre indiquant le nombre de répétitions observées.

Grâce à de nombreuses études et recherches effectuées ces dernières années, les différents haplogroupes du monde ont pu être classifiés par ordre alphabétique allant de A à T et ont été présentées dans le numéro 82 du bulletin.

Plus le nombre de marqueurs Y-STR est important, plus la détermination du peuple d’origine et l’estimation du nombre de générations séparant deux individus d’un ancêtre commun seront précises.

Afin d’avoir la meilleure analyse possible, les tests Y-STR ont été effectués sur 111 marqueurs.

Les marqueurs SNP, indicateurs fiables de notre passé lointain, jusqu’à plus de 100’000 ans.

Les marqueurs SNP (Singular Nucleotide Polymorphism), polymorphisme nucléotide singulier, sont la deuxième sorte de marqueurs utilisés pour la généalogie génétique. Ils permettent d’analyser notre passé lointain jusqu’à plus de 100’000 ans en arrière. Le marqueur SNP se distingue du fait que contrairement au marqueur Y-STR, il indique une mutation particulière d’une base dans une zone précise du chromosome Y qui sera transmise à tous les descendants mâles des générations suivantes. Les mutations sont très lentes et observées sur un très grand nombre de paires de bases.

Chaque haplogroupe a actuellement une liste de plusieurs dizaines de mutations SNP connues qui le caractérisent depuis son début il y a quelques dizaines de milliers d’années jusqu’à il y a 1000 à 2000 ans. Ces mutations SNP sont très stables et pratiquement non réversible sur des milliers d’années.

Le fait que les marqueurs SNP positifs (ayant subi une mutation) restent inscrits une fois pour toute dans le chromosome Y de tous les descendants mâles des générations suivantes permet de suivre les mouvements migratoires des peuples et de créer des sous-groupes dans les haplogroupes en fonction de mutations SNP. Les marqueurs SNP dérivés (= positif, = ayant subi une mutation) permettent de confirmer définitivement l’haplogroupe estimé à partir les marqueurs Y-STR.

Premier test Y-STR sur la lignée Marquis-Natzi: haplogroupe I1, d’origine scandinave

Estimant plausible la théorie qui dit que l’on peut retrouver son peuple d’origine par analyse ADN, je me suis lancé dans l’aventure à fin 2011. Après 8 semaines d’attente, mon haplotype indiquait clairement une appartenance à l’haplogroupe I1 d’origine scandinave! La figure 1 [1] montre la répartition actuelle des individus I1 en tenant compte de l’origine écrite connue la plus ancienne (en général entre les années 1500 et 1800). On constate clairement une très forte concentration en Norvège et en Suède. Il est assez rare en Suisse, 5 à 10% des citoyens testés appartiennent à l’haplogroupe I1.

Figure 1: Répartition géographique de l'haplogroupe I1 d'origine scandinave [1]

L’haplogroupe I est apparu il y a environ 20000 ans pendant le maximum de la dernière glaciation terminée il y a environ 13000 ans. Cet haplogroupe possède une longue liste de marqueurs SNP sans branche indiquant une très longue période difficile avec la survie d’une seule lignée.

L’haplogroupe I s’est divisé en I1 (Nord) et I2 (Balkans), probablement un refuge durant les périodes froides de la glaciation.

D’après les spécialistes, l’haplogroupe I1 est apparu il y a environ 7000 à 8000 ans dans la région du nord de l’Allemagne et il s’est propagé en direction du nord (Danemark, Suède, Norvège) et de l’Angleterre. Cette hypothèse est basée sur l’observation des haplotypes et marqueurs SNP contemporains.

Cette origine scandinave des Marquis-Natzi peut paraître assez surprenante. Le fait que les « Suédois » (alliés des Français, avec de nombreux mercenaires étrangers) avaient été présents dans le Jura pendant la guerre de 10 ans (1635-1644) me vint tout de suite à l’esprit. Les « Suédois » commirent des saccages de villages vers 1636 (Courtedoux, Alle, Fontenais, incidents à Vermes, …). Le 2 juillet 1641, les Suédois sortirent et partirent de Delémont [2], et mon ancêtre direct Georges Marquis est né le 11.04.1641. Et si Georges était né d’un viol ou d’un adultère avec un soldat Suédois? Seuls des tests ADN sur plusieurs cousins Marquis des différentes lignées pourraient peut-être lever le doute.

Décision de faire des tests ADN sur des cousins Marquis afin de résoudre les énigmes

L’analyse des différentes branches Marquis de l’étude publiée dans le bulletin numéro 63 permet de constater que Georges (o1641) avait un petit frère Walther (o1651). Les lignées Marquis engendrées par les 2 frères, fils de Turs Marquis (o1609) sont les suivantes:

Georges Marquis (o1641): Lignées Natzi, Tambour, Baron, Gaspard, La Sente
Walther Marquis (o1651): Lignées Bron, Yorie, Bazaine, Miguy, petit-Basile, Prosse et Ignace

Les cousins des lignées soulignées ont fait un test ADN sur 111 marqueurs Y-STR. 

Si un descendant de Walther (o1651) appartenait également à l’haplogroupe I1, cela prouverait avec une très grande probabilité que leur père Turs Marquis (o1609) appartiendrait également à l’haplogroupe I1 et que par conséquent l’origine scandinave ne serait pas due à un soldat Suédois de la guerre de 10 ans.

Intrigué par l’origine scandinave de l’haplogroupe I1 de la lignée Marquis-Natzi, je pris la décision de contacter différents cousins très lointains des lignées concernées afin de les convaincre de faire les tests ADN tout en leur expliquant les règles de confidentialité que j’allais appliquer (voir paragraphe suivant).

Le fait de faire les tests ADN sur différents cousins lointains de lignées sélectionnées permettront de confirmer/infirmer et résoudre les points suivants:

  • Mon ancêtre Georges Marquis (o1641) est-il descendant d’un soldat Suédois?
  • L’hypothèse que tous les Marquis de Mervelier ont un ancêtre commun né vers 1510, fils ou petit-fils de Jean Girardin dit le Merchi (o~1455, +~1530), est-elle vraie?
  • Quel est le lien entre les Marquis de Mervelier et de Vicques? Ont-ils un ancêtre commun?
  • Dans le numéro 80 du bulletin, il a été établit que les Mergy d’Alsace sont des descendants de deux frères Marquis de Mervelier. Est-ce vrai?

Précautions à prendre concernant les tests ADN

Malgré que l’anonymat soit garanti par le laboratoire FTDNA [3], j’ai décidé d’appliquer les règles suivantes:

  • Tous les kits de test sont commandés et payés par moi
  • Chaque cousin reçoit son kit de prélèvement de salive et me le renvoie
  • J’envoie les kits au laboratoire de manière anonyme sous Marquis avec un prénom codé
  • Ma seule adresse email sert de contact
  • Les résultats de test personnels ne sont pas transmis aux personnes testées afin de ne pas révéler d’éventuels cas de non paternité
  • Cet article d’analyse des tests ADN sera envoyé à chaque cousin

De cette manière, il n’est pas possible pour le laboratoire de faire un lien avec la personne testée.

Bien que ne connaissant pratiquement aucun des cousins lointains, suite aux explications et à la description des buts recherchés, ceux-ci furent très enthousiastes et coopératifs, 90% des personnes acceptèrent de faire les tests demandés.

Tests des lignées des descendants de Georges (o1641) et Walther (o1651) Marquis

Les tests ADN Y-STR sur 111 marqueurs ont donné les résultats suivants:

Descendants de Georges Marquis (o1641)

  • Marquis-Natzi: haplogroupe I1
  • Marquis-Gaspard: haplogroupe I1
  • Marquis-Tambour: haplogroupe I1

Descendants de Walther Marquis (o1651)

  • Marquis-Bazaine: haplogroupe I1
  • Marquis-Prosse: haplogroupe I1

Analyse et conclusion:
L’appartenance de toutes ces lignées à l’haplogroupe I1 prouve avec une très haute probabilité que l’origine scandinave n’est pas due à un soldat Suédois de la guerre de 10 ans. En effet, un viol ou un adultère à 10 ans d’intervalle est très peu probable. Par conséquent, on peut fortement supposer que leur père Turs Marquis (o1609) appartenait également à l’haplogroupe I1.

Tous les Marquis de Mervelier ont-ils un ancêtre commun né vers 1510?

L’article sur la généalogie des Marquis de Mervelier du bulletin 63 arrive à la conclusion que tous les Marquis actuels de Mervelier sont descendants de seulement deux ancêtres probablement cousins:

  • Georges Marquis (o~1570) à l’origine de tous les Marquis sauf les Bernet et
  • Bartholomée Marquis (o~1570) à l’origine des Marquis-Bernet

De plus, le mariage du 26.11.1653 (mariage Nr22, registre paroissial) entre Bartholomée Marquis (o1633), petit-fils de Bartholomée (o~1570) et Marguerite Marquis (o1631), petite-fille de Georges (o~1570) indique qu’une dispense pour un degré de consanguinité 4 a été obtenue. La probabilité que ce lien provienne des Marquis est relativement grande mais n’est pas prouvée pour l’instant. Ceci laisse supposer (s’ils sont effectivement cousins) que leur ancêtre commun et à l’origine de tous les Marquis de Mervelier serait né  vers 1510.

Voici ce qu’écrivait à Julien Marquis-Bernet (o1897), descendant de Bartholomée (o~1570), le Dr André Rais, archiviste du Canton de Berne pour la partie francophone, le 25 mai 1948: « Le fondateur de la famille Marquis n’est autre que Jean Girardin, bourgeois de Corban dit le Merchi (Marquis titre de noblesse). En 1479, Jean Gyrardin est encore désigné comme tel. Il quitte Corban pour se fixer à Mervelier entre 1479 et 1493. En 1493 on l’appelle Hans Girerdin de Morswils dans un acte allemand. Il devait sans doute avoir  quelques biens, car c’est entre 1497 et 1528 que notre Jean Girardin recevra son surnom de Merquis. Dans les reconnaissances des terres du chapitre de Moutier nous rencontrons notre Jean Girardin dit Merquis de Mervelier en 1528 ».

Pour prouver ces points, il suffit de tester des descendants de la lignée Marquis-Bernet.

Les tests ADN Y-STR sur 111 marqueurs ont donné les résultats suivants:

Descendants de Bartholomée Marquis (o~1570)

Marquis-Bernet: haplogroupe I1 (testé sur 3 branches Bernet)

Analyse et conclusion:

L’appartenance de la lignée Marquis-Bernet à l’haplogroupe I1 prouve que:

  • Tous les Marquis de Mervelier ont un ancêtre commun né vers 1510, fils ou petit-fils de Jean Girardin dit le Merchi (o~1455, +~1530), premier ancêtre à porter le nom de Marquis
  • Jean Girardin dit le Merchi (o~1455, +~1530) faisait donc déjà partie de l’haplogroupe I1 et par conséquent l’origine scandinave des Marquis de Mervelier date d’avant 1455
  • Les affirmations du Dr André Rais, archiviste du Canton de Berne pour la partie francophone sont confirmées
  • Les taux de mutation observés confirment ces hypothèses

Quel est le lien entre les Marquis de Mervelier et les Marquis de Vicques?

Un lien entre les Marquis de Mervelier et de Vicques n’a jamais pu être établi jusqu’à ce jour.

Dans le livre des noms de famille jurassiens de Pierre Henry [4], on trouve les références suivantes pour le patronyme Marquis:
Mervelier: Jean Girardin dit Merquis (acte de 1528)
Vicques: Jean Merky (acte de 1538) 

Il est envisageable de penser que Jean Merky de Vicques soit le fils de Jean Girardin dit le Merquis (o~1455, +~1530) de Mervelier.

La montre d’armes de 1629 de Recolaine (Vicques) [5] montre la présence de 4 Marquis sur 31 soldats, preuve supplémentaire que leur présence date bien de 3 à 5 générations. On note également la présence de Merquis de Recolaine dans des actes notariés à partir des années 1590 [6].

Les tests ADN Y-STR sur 111 marqueurs ont donné les résultats suivants:
Descendant d’un Marquis de Vicques: haplogroupe I1

Analyse et conclusion:
L’appartenance d’un descendant d’un Marquis de Vicques à l’haplogroupe I1 prouve que:

  • Les Marquis de Mervelier et de Vicques sont bien liés par un ancêtre commun
  • Les taux de mutation observés confirment cette hypothèse
  • L’histoire montrerait que c’est plutôt un Marquis de Mervelier (Jean, fils de Jean Girardin dit Mercquis?) qui est allé à Recolaine (Vicques)

Les Mergy d’Alsace sont-ils bien des Marquis de Mervelier?

Il a été établi que les Mergy d’Alsace sont des descendants de deux frères Marquis de Mervelier, de la lignée Bernet, Pierre (o1649) et Georges (o1654), qui allèrent se marier à Hirsingue (bulletin 80). Marquis, souvent écrit Merquis vers 1600, s’est facilement transformé en Mörguis en phonétique alsacienne, puis en Mergy dans les registres d’église.

Les tests ADN Y-STR sur 111 marqueurs ont donné les résultats suivants:

Descendant d’un Mergy d’Alsace: haplogroupe I1

Analyse et conclusion:
L’appartenance d’un descendant d’un Mergy d’Alsace à l’haplogroupe I1 prouve que:

  • Les Mergy d’Alsace sont bien des Marquis-Bernet de Mervelier
  • Les taux de mutation observés confirment cette hypothèse
  • L’analyse ADN confirme les écrits

Analyse des mutations observées entre les lignées Marquis sur 111 marqueurs

Le très grand intérêt de cette étude sur 10 cousins Marquis est de pouvoir observer les mutations réelles sur 111 marqueurs Y-STR comparativement aux actes écrits, cela n’a jamais été fait à ma connaissance. D’ailleurs on peut se permettre d’étendre les générations jusqu’en 1510, grâce aux analyses ADN et au lien de consanguinité 4 mentionné dans l’acte de mariage entre deux Marquis en 1653. Cela est statistiquement très instructif par le nombre de personnes testées (10 branches différentes) ainsi que par le nombre de  générations (entre 5.5 et 12.5 en fonction des cousins).

Les estimations des taux de mutation actuelles proviennent principalement de tests entre père et fils et non de tests effectués sur une dizaine de générations.

Mutations observées entre les lignées Marquis sur 111 marqueurs:
Natzi-Gaspard: 3/111 (5.5 générations réelles, 9 estimées)
Natzi-Tambour : 3/111 (6 générations réelles, 9 estimées)
Natzi-Bazaine: 6/111 (9.5 générations réelles, 18 estimées)
Natzi-Prosse: 3/111 (9.5 générations réelles, 9 estimées)
Natzi-Bernet1: 8/111 (12.5 générations réelles, 25 estimées)
Natzi-Bernet2 : 4/111 (12.5 générations réelles, 12 estimées)
Natzi-Bernet3 : 6/111 (12.5 générations réelles, 18 estimées)
Natzi-Mergy : 7/111 (12.5 générations réelles, 21 estimées)
Natzi-Vicques : 6/111 (12.5 générations réelles, 18 estimées)

Le taux moyen de mutation souvent utilisé est de 0.29% par marqueur pour 111 marqueurs Y-STR, soit une probabilité de 32.2% d’avoir une mutation par génération, ce qui donne une mutation toutes les 3 générations en moyenne (taux utilisé pour les générations estimées ci-dessus).

Le taux moyen de mutation observé par rapport à la lignée Natzi est de 0.5% par marqueur (calculé uniquement sur 12.5 générations), ce qui donne une probabilité de l’ordre de 56% d’avoir une mutation par génération, soit environ une mutation toutes les 2 générations!

Le fait d’avoir une mutation par rapport à mon père augmente un peu artificiellement le taux de mutation. Si l’on prend mon père à ma place, on obtient un taux de mutation de 0.42% par marqueur (au lieu de 0.5%) et la probabilité de mutation par génération passe de 56% à 48%. On peut donc raisonnablement dire que la probabilité de mutation par génération observé sur les lignées Marquis est de 50% sur 111 marqueurs Y-STR, soit 1 mutation toute les deux générations au lieu de toutes les trois comme généralement appliqué.

Le taux de mutation moyen observé est donc environ 1.5 fois plus élevé que celui utilisé actuellement. En fait beaucoup de chercheurs utilisent des taux de mutation différents selon leurs sources. Il faut relever que le modèle statistique de ces 111 marqueurs est très complexe et que chaque marqueur a en fait un taux de mutation spécifique qui peut lui-même varier en fonction du nombre de répétitions STR et donc de l’haplogroupe! Ces mutations sont aléatoires et cela se remarque bien sur les exemples à 12.5 générations où l’on observe des variations allant de 4 à 8, mais avec une moyenne de 6. C’est là que l’on constate l’avantage d’avoir beaucoup de cousins testés, la moyenne se rapproche de la réalité. L’estimation du nombre de générations entre les lignées Natzi et Bernet donnerait une erreur d’un facteur 2 suivant que l’on prenne le nombre de mutations observé sur Bernet1 ou sur Bernet2. L’observation des mutations sur un nombre inférieur de générations (5.5 et 6) conforte également cette probabilité de 50% puisque l’on a environ 3 mutations pour 6 générations.

On peut donc admettre que la probabilité de 50% d’avoir une mutation par génération avec 111 marqueurs Y-STR est une bonne base de départ pour la famille Marquis.

Sources utilisées pour la période avant 1600

Les registres d’église de Montsevelier pour Mervelier commencent en 1602. Les actes notariés commencent dans les années 1500, mais pour l’instant ils n’ont pas révélé de Marquis avant les années 1590 (Jean Henri Marquis de Recolaine 1595) [6].

La seule source utile a été les registres de Moutier-Grandval [7] qui mentionne entre autre un Renaud Marquis et son fils Claude de Mervelier dans un acte de 1555 puis 1570 (Renaud). Renaud et Claude sont peut-être des ancêtres directs. 

Figure 2: Registres de Moutier-Grandval, an 1555, mention de Renaud Marquis et son fils Claude [7]

Lignées des Marquis de Mervelier, de Vicques et des Mergy d’Alsace

Les analyses ADN ont permis de prouver que tous les Marquis de Mervelier, de Vicques ainsi que les Mergy d’Alsace ont un ancêtre commun Jean Girardin dit le Merchi né vers 1455. Son fils, mais plus probablement son petit-fils, né vers 1510 est à l’origine de tous les Marquis de Mervelier et des Mergy d’Alsace. Les lignées soulignées ont montré l’appartenance à l’haplogroupe I1 par test ADN.

Bernard Marquis (o1683) est à l’origine du nom donné aux Marquis-Bernet (Bernard ( Bernet).

Tableau 1 Lignées Marquis de Mervelier, Mergy d'Alsace et Marquis de Vicques

Découverte de cousins génétiques de Norvège, ancêtre commun né il y a environ 1000 ans

La base de données de plus de 280000 haplotypes de 37 marqueurs ou plus permet de chercher des cousins génétiques ayant relativement peu de mutations par rapport à soi. C’est par ce biais que j’ai découvert Robert Harklau, originaire de Norvège,  malheureusement décédé en 2011. Son haplotype Y-STR possède 7 différences sur 67 marqueurs indiquant un ancêtre commun né il y a environ 700 à 1000 ans. Ingelbricht Johannessen, son ancêtre connu le plus ancien, est né en 1694 à Groneng, Sogn og Fjordane, en Norvège, indiqué sur la carte de la figure 3. Avec l’ADN qui restait, j’ai reçu l’autorisation de sa famille de tester le SNP Z138 qui s’est révélé être positif comme pour les Marquis. Malheureusement il ne restait plus d’ADN pour d’autres tests.

Puis la chance fit qu’un autre cousin norvégien apparut dans la base de données en été 2013, Rune Olaf Steinset, avec également 7 différences sur 67 marqueurs. Après l’avoir contacté, il me confirma qu’il était cousin au 9ème degré avec Robert Harklau qui vivait aux USA, mais lui habite bel et bien en Norvège. Son ancêtre connu le plus ancien s’appelle Johannes Knutsen né en 1635 à Groneng également. Ses SNPs Z138 et Z2541 sont positifs comme pour les Marquis ce qui prouve définitivement l’appartenance au même sous-groupe I1/Z2541. Son haplotype sur 111 marqueurs possède 13 mutations, ce qui donne environ 26 générations à 35 ans en utilisant le taux observé chez les Marquis, soit environ 910 ans jusqu’à l’ancêtre commun, on peut arrondir à 1000 ans.

On peut ainsi affirmer que les Marquis de Mervelier et de Vicques ont un ancêtre norvégien qui est venu en Suisse entre les années 1000 et 1400 puisque le premier Marquis connu est né vers 1455.

Les Vikings ayant été de très grands voyageurs et commerçants entre les années 800 et 1200, il se peut que notre ancêtre soit venu par le Rhin pour faire du commerce à Bâle.

Confirmation de l’origine norvégienne par le test ADN autosomal (origines ethniques)

Le laboratoire FTDNA propose également le test ADN « family finder » qui est un test autosomal effectué sur les 22 autres paires de chromosomes, sans les chromosomes sexuels. Cela permet de trouver la composition des différentes ethnies composant l’ADN d’un individu par analyse de marqueurs SNP spécifiques. Seules 700000 bases représentant 0.024% de notre ADN sont analysées. Les marqueurs SNP analysés sont comparés à une référence d’individus fortement représentatifs de 22 peuples spécifiquement sélectionnés pour leurs origines très peu métissées.

J’ai effectué ce test et la majorité de mes origines ethniques est méditerranéenne avec un taux de 39%, suivi par la Scandinavie centré sur la Norvège avec un taux de 23%, comme on peut le voir sur la figure 3. Ce fait confirme par tous les autres chromosomes cette origine norvégienne déjà clairement indiquée par la lignée paternelle observée sur le chromosome Y.

Ce ne sont pas les % de l’ADN des différentes ethnies qui sont indiqués, mais il s’agit d’un indicateur statistique indiquant la proportion de la variance totale de l’ADN due à une ethnie particulière. Le total des variances fait toujours 100%, donc les 23% de variance due à l’ethnie norvégienne est très significative. Le haut pourcentage de 39% d’origine méditerranéenne s’explique probablement par des ancêtres descendant des Romains. Le pourcentage élevé d’origine scandinave centrée sur la Norvège est plus surprenant vu le nombre de générations nous reliant à l’ancêtre Norvégien et que l’ADN se dilue à chaque génération.

Le haut pourcentage de 23% concernant l’origine ethnique norvégienne peut s’expliquer de la manière suivante:

  • Le grand pourcentage de Marquis à Mervelier vers 1600 (19% des naissances entre 1602 et 1632) explique que l’ADN d’origine norvégienne s’est fortement disséminé dans les descendants de Mervelier vu que les couples étaient très souvent originaires du village.  Ainsi les gènes norvégiens sont pratiquement présents dans toutes mes ascendances paternelles
  • Du fait de son isolement et de son passé, le peuple norvégien a des marqueurs SNP particulièrement bien reconnaissables dans l’ADN, et cela ressort dans ce genre de tests
  • Il y a peut-être d’autres lignées avec une origine norvégienne dans mes ancêtres
Figure 3 Mes origines ethniques selon le test FTDNA "family finder" [3], Groneng en Norvège

« Clan Marquis » défini par des marqueurs Y-STR et des marqueurs SNP spécifiques

Comme on l’a vu précédemment, l’haplogroupe I1 est apparu il y a environ 7000 à 8000 ans au nord de l’Allemagne. Une nouvelle mutation SNP apparaît environ tous les 1000 ans avec la finesse d’analyse récente. Les tous nouveaux tests ont une résolution 10 fois meilleure et permettront d’analyser des mutations apparaissant environ tous les 100 ans.

Les principaux marqueurs SNP définissant l’haplogroupe I1 sont: M253, M307, P30, P40
Les marqueurs SNP récents définissant le sous-groupe de la famille Marquis sont:

  • Z58: apparu il y a environ 6000 ans
  • Z138: apparu il y a environ 4000 ans
  • Z2541: apparu il y a environ 3300 ans
  • Nouveaux marqueurs: vont être découverts avec les nouveaux tests plus fins

La lignée Marquis est donc définie par les marqueurs SNP M253/…/…/ …/Z58/Z138/Z2541

Une analyse fine des cousins génétiques les plus proches a permis de définir un « clan Marquis » possédant des mutations Y-STR très spécifiques sur 111 marqueurs:
DYS464D=15 DYSH4=11 DYS413B =24 DYS487=13  DYS638=10
22 cousins génétiques ont ainsi pu être identifiés avec des origines telles que la Norvège, l’Angleterre, l’Irlande, la Hollande, la Belgique, l’Allemagne, l’Italie et la Suisse. Les mutations varient entre 7 et 14 sur 67 marqueurs Y-STR, ce qui donne une fourchette allant de 1000 à 2000 ans pour les ancêtres communs. Les invasions des Vikings et les voyages ont bien contribué à disséminer les descendants.

Conclusion

Les tests ADN permettent de trouver son peuple d’origine de l’Antiquité et d’il y a quelques milliers d’année et résoudre certaines énigmes de familles en faisant tester des cousins lointains. Tout le secret de notre passé d’homme est enregistré sous forme de  mutations lentes (marqueurs SNP) et rapides (marqueurs Y-STR) dans le chromosome Y et qui se transmettent de père en fils. L’analyse de ces mutations ont permis de comprendre et décrire les migrations des différents peuples.

Appliquée à la famille Marquis, l’analyse ADN a permis de découvrir une histoire et un passé à la fois étonnant et original nous menant jusqu’à Groneng en Norvège, permettant de repousser de quelques centaines voire quelques milliers d’années l’histoire familiale, là où la généalogie traditionnelle s’arrête. Cette analyse ADN effectuée sur autant de cousins avec des traces écrites remontant aussi loin est une première et sera certainement une référence dans la nouvelle aventure qu’est la généalogie génétique.

L’analyse ADN sur la famille Marquis a permis confirmer et mettre en évidence les points suivants:

  • Tous les Marquis de Mervelier, de Vicques et les Mergy d’Alsace descendent du fils ou du petit-fils de Jean Girardin dit le Merchi né vers 1455
  • Toutes les lignées pères-fils appartiennent à l’haplogroupe I1 d’origine scandinave, apparu il y a environ 7000 à 8000 ans au nord de l’Allemagne, pour ensuite se déplacer en Scandinavie
  • La base de données du laboratoire FTDNA a permis de découvrir 2 cousins génétiques norvégiens dans la région de Groneng dont l’ancêtre commun avec les Marquis est né il y a environ 1000 ans, en plein dans la période Viking. Un descendant de notre ancêtre  norvégien est donc venu dans le Jura entre 1000 et 1400, peut-être par le commerce sur le Rhin
  • L’analyse autosomale sur tous les autres chromosomes que Y a définitivement confirmé l’origine norvégienne de la lignée Marquis-Natzi
  • Le marqueur SNP Z2541 a confirmé l’appartenance des cousins Norvégiens au même sous-groupe I1/Z58/Z138/Z2541 que les Marquis
  • Un « clan Marquis » a pu être établi sur la base du marqueur Z2541 ainsi que des marqueurs très spécifiques Y-STR 111. On y trouve des cousins génétiques de Norvège, d’Angleterre, d’Irlande, de Hollande, de Belgique, d’Allemagne, d’Italie, et de Suisse, un peu la route des Vikings, les ancêtres communs sont nés il y a 1000 à 2000 ans
  • La probabilité observée d’avoir une mutation sur 111 marqueurs Y-STR par génération est de 50%, donc une mutation toute les 2 générations alors que c’est plutôt toutes les 3 générations qui est pratiqué, mais basé sur des études pas forcément très représentatives

De nouveaux tests permettent de tester tout le chromosome Y ce qui va faire faire des progrès énormes sur la compréhension de notre passé (lignée paternelle) et probablement permettre de décoder les liens qui lient les cousins du « clan Marquis » entre les 2000 et 500 dernières années.

Remerciements

Je tiens à chaleureusement remercier tous mes lointains cousins Marquis avec qui j’ai pu faire connaissance et sans qui cette merveilleuse aventure jusqu’en Norvège n’aurait pas pu être possible. J’ai pu constater que l’esprit d’aventure Viking et la chaleur humaine sont toujours bien présents dans leurs gènes. J’ai aussi une pensée émue pour mes deux cousins Marquis-Tambour qui ont tragiquement disparu en montagne lors d’une reconnaissance pour la patrouille des glaciers de ce printemps et je leur dédie cet article en hommage.

Références

  1. http://www.eupedia.com/europe/Haplogroup_I1_Y-DNA.shtml
  2. Les Suédois dans l’Ancien Evêché de Bâle, traduit sur l’original latin du P. Sudan, J. Trouillat, 1862
  3. http://www.familytreedna.com/
  4. Les noms de famille jurassiens, des origines à 1978, Pierre Henry, ISBN 2-940043-30-2, 2005
  5. Montre d’armes de Recolaine de 1629, B243/2, AAEB Porrentruy
  6. Jean H. Wicka, notaire, Delémont, 1591-1635, microfilm 306 item 2/vol462, AAEB Porrentruy
  7. Prévôté de Moutier-Grandval, A55/Band 47A, AAEB Porrentruy