Bulletin 53 / Décembre 2015

Agriculture, la 400e génération

notes de Françoise Favre lors de la conférence de Francis Kaufmann à la SNG le 31 août 2015

Francis Kaufmann, est agriculteur depuis trois cents générations !! Chez lui, on est paysan de père en fils et ses ancêtres, soleurois en dernier lieu, se sont établis le Jura neuchâtelois en 1871 pour y élever du bétail et vendre leur lait et leurs légumes aux habitants de la Chaux-de-Fonds. Francis Kaufmann et son épouse ont exploité le domaine familial du Bas-Monsieur avant de passer la main à la génération suivante. Il a aussi pratiqué différents petits métiers qui lui ont ouvert d’autres horizons. Toujours passionné par la vie publique et l’histoire, grande ou petite, il met à profit le temps de la retraite pour s’adonner à l’écriture, son violon d’Ingres. Il a ainsi publié en 2013 une autobiographie, « La fourche et la plume – Mémoires d’un Montagnon neuchâtelois ».

Les généalogistes, qui s’intéressent à l’histoire et aux modes de vie des temps passés, savent bien que dans notre canton, la grande majorité de nos ancêtres étaient des agriculteurs. Déjà au tout début de la Bible, dans le livre de la Genèse, on trouve une généalogie qui fait référence aux cultivateurs. C’est en Mésopotamie, il y a plus de 10’000 ans, qu’il faut aller chercher les débuts de l’agriculture.

Vers 1410, les magnifiques illustrations des « Très riches heures du duc de Berry » nous montrent des hommes et des femmes occupés à faucher. La même scène pouvait se voir à l’identique jusqu’au milieu du XXe siècle. Le métier n’avait pas changé, comme en témoignent les photos du photographe Fernand Perret, datant des années 1930. Le calendrier des Très riches heures du duc de Berry décrit les différentes tâches de l’agriculteur au fil des mois. Depuis le Moyen âge, « le geste auguste du semeur » n’avait pas changé et on pouvait voir dans nos campagnes les mêmes gestes, les mêmes outils, qu’utilisaient encore nos parents ou nos grands-parents. En quelques décennies, une génération, les machines ont révolutionné le métier et le travail s’est énormément rationalisé.

Après la Deuxième Guerre Mondiale, on a vu les premiers tracteurs dans les Montagnes neuchâteloises, et depuis, l’essor a été très rapide. Les machines ont été de plus en plus grosses, de plus en plus sophistiquées, de plus en plus performantes et ont remplacé ce qui se faisait depuis toujours à la main.

En 1950, le domaine moyen d’un agriculteur faisait dix hectares. Pour faire les foins, toute la famille se mettait au travail, et il fallait une journée de travail – un travail lent et pénible – pour faucher un hectare. Aujourd’hui, les machines modernes permettent à une seule personne de faucher dix hectares à l’heure, et un domaine moyen fait dix hectares. Autrefois, il fallait une semaine de travail pour étendre le fumier sur le domaine, un travail qui s’effectue aujourd’hui en une matinée. Autrefois, il fallait rentrer le foin charrette après charrette. Aujourd’hui, avec les machines, le foin est emballé en grandes bottes rondes et blanches qui sont laissées sur place. La traite, hier comme aujourd’hui, doit se faire en une heure ou une heure et demie. A la main, on ne pouvait donc traire que quelques vaches. Aujourd’hui, dans le même temps, on peut traire 80 vaches et donc augmenter son cheptel. Ce n’est pas seulement le matériel qui a évolué. La sélection a aussi produit des vaches qui produisent deux fois plus de lait. Si l’on compare une vache Simenthal de 1950 et une Simenthal d’aujourd’hui, on voit tout de suite la différence du pis ! Ces nouvelles races sont de véritables « usines à lait ».

La transformation des maisons aussi a été très lente. Quand le paysan avait un peu d’argent, il refaisait l’étable, la crèmerie ou la grange. Mais jamais la cuisine ou la salle. Les vieilles fermes sont donc restées comme elles étaient autrefois jusqu’à tout récemment.

Cette course en avant du matériel oblige les paysans à continuellement s’adapter aux nouvelles techniques. Aujourd’hui tout change, tout évolue à rythme effréné : est-ce pour le meilleur ou pour le pire ? Est-ce mieux aujourd’hui qu’avant ? Pas si sûr… Mais ce qui est sûr, c’est le métier de paysan est toujours un beau métier ! Il faut croire en l’avenir, à la force d’équilibrage de la nature et à la faculté d’adaptation du genre humain.