Un petit infirme

Né dans le Wurtemberg en 1813, Mathias. Hipp passe une partie de son enfance alité à la suite d’une chute dans les rochers, alors qu’il pratiquait un de ses sports favoris: la varappe.

Le petit infirme de 8 ans apprend à vivre séparé de ses compagnons de jeu et de classe. Les livres deviennent alors ses amis, et il se plonge avec passion dans l’étude de la physique, de la chimie et de la mécanique.

Son handicap physique lui impose de choisir un autre métier que celui de son père, meunier, pour lequel il s’ingénie déjà construire un nouveau modèle de pressoir. La mécanique l’attire de plus en plus et il commence un apprentissage d’horloger dans son village natal, avant de se rendre à Ulm, où il continue sa formation. Au contact du fils de son patron qui revient du Locle avec un solide bagage d’horloger, Mathias décide de se rendre en Suisse, à St-Gall d’abord où il reste une année puis à Saint-Aubin, chez M. Savoie qui l’initie aux secrets de l’horlogerie suisse.

Le premier moteur électrique

Ses moments de loisirs sont consacrés à la recherche et à l’invention et il met au point une horloge dont le mouvement peut être actionné électriquement.

Après quelques années passées sur le Littoral neuchâtelois, le jeune inventeur repart s’établir dans son pays, à Reutlingen, où il se marie. De cette union naîtront un garçon, brillant violoniste et étudiant ingénieur à Zurich, malheureusement décédé à l’âge de 20 ans, et 4 filles dont l’une deviendra la grand-mère maternelle de l’ancien conseiller fédéral Max PetitPierre.

A peine installé à Reutlingen, M. Hipp continue à travailler à ses inventions. L’électricité en est encore à ses premiers balbutiements. C’est lui qui, en 1843, construira le premier petit moteur électrique et mettra au point plusieurs systèmes de télégraphes électriques.

Sa principale découverte concerne une horloge composée d’un pendule à palette dont le principe sera utilisé pour la construction du régulateur astronomique le plus constant, le plus parfait et exact installé plus tard à l’Observatoire de Neuchâtel et qu’il vend à l’industrie privée. Les nouveaux acquéreurs se nomment Gustave-Adolphe Hasler, ancien assistant de Hipp, et Albert Escher, ancien directeur de la Monnaie fédérale à Berne.

Neuchâtel, terre d’accueil

Lassé par certaines mesquineries bureaucratiques, déçu par quelques décisions fédérales, Mathias Hipp quitte Berne pour Neuchâtel, où il est appelé et attendu par un de ses amis, Adolphe Hirsch, directeur de l’Observatoire.

Vingt-cinq ans le séparent de sa première visite en Pays neuchâtelois, alors qu’il n’était qu’un compagnon horloger. Agé de 47 ans, il repart d’un nouvel élan et prend contact avec la Société des Sciences Naturelles, véritable foyer de vie intellectuelle et scientifique où il présente régulièrement les appareils de conception originale sortis de ses ateliers.

«Ses relations avec l’Académie (berceau de la future Université) concernant l’astronomie, la physique et la chimie sont empreintes de cordialité et Hipp ne ménage ni ses services personnels ou les conseils de sa longue expérience, ni le travail de ses mains dont  l’habileté fait l’admiration des praticiens les plus expérimentés», relate la brochure «Pionniers suisses de l’économie et de la technique », éditée par l’institut d’Études Economiques.

Entraîné par sa passion d’inventeur et de constructeur, Hipp songe alors à agrandir sa fabrique de  télégraphes et d’appareils électriques, installée dans l’immeuble Jacot-Guillarmod. Mais certains membres du Conseil d’administration s’opposent systématiquement à ses projets, de peur de voir Neuchâtel prendre un virage industriel, à l’instar de La Chaux-de-Fonds, plutôt que de rester la ville d’études et de pensionnats qu’elle doit être.

En 1862 cependant, M. Hipp transfère de la rue des Cassardes aux Terraux 9, dans l’ancien grenier de la Ville aménagé plus tard en halle de gymnastique.

L’usine déménagera ensuite au Mail avant de s’établir à Monruz en 1931, à l’endroit où trouve la Favag, hélas disparue aujourd’hui.

Première expérience de télédiffusion

Ses inventions se succèdent à un rythme accéléré. Après la construction d’un chronoscope qui mesure avec précision le millième de seconde et qui est utilisé par des savants du monde entier, Hipp invente un chronographe enregistrant sur bande les instants successifs d’une observation.

A la direction des télégraphes

La notoriété scientifique de Mathias Hipp le précédera à Berne, où il est appelé pour diriger l’atelier de construction des télégraphes et nommé à la direction technique de l’administration de ces derniers. 

Les appareils Morse signés Hipp rencontrent un grand succès et les commandes affluent. Il côtoie des physiciens et des astronomes de toute l’Europe, ce qui ne l’empêche pas de collaborer à la Société des Sciences Naturelles de Berne où il présente régulièrement ses nouveaux appareils.

On fait appel à lui en Suisse comme à l’étranger pour bénéficier de son expérience. Appelé par exemple à Turin afin de mettre au point un métier à tisser électrique, Hipp construit trois métiers de conception différente. Lors de la présentation de ces modèles devant les hauts dignitaires de l’époque, il fait apparaître une inscription dédiée au comte de Cavour, président du Conseil des ministres, dans le dessin même de l’étoffe. Cette bande de soie, rouge et argent, appartient aujourd’hui à une descendante neuchâteloise de  l’inventeur.

En 1856, Mathias Hipp construit un câble électrique de 5400 m. reliant Bauen à Fluelen, à travers le lac des Quatre-Cantons, innovant dans les techniques d’étanchéité et d’isolation.

Mais ses succès lui créent des envieux et lui valent des ennemis. Certains le désapprouvent d’exposer sous son nom des appareils construits dans les ateliers de Berne, d’autres ne voient pas d’un bon œil les bénéfices de ces ateliers officiels, bénéfices relevant de l’exportation des appareils de télégraphie suisses. Au Parlement, des voix pour déclarer qu’un service fédéral n’est pas là pour faire concurrence à l’industrie privée. Les autorités fédérales se décideront finalement à désétatiser ce service. 

Reprenant ses études et créations horlogères, puis les recherches et inventions liées à d’autres domaines, Hipp brevette une pendule électrique et crée le prototype de l’horloge secondaire à minute. En 1861, il est mandaté pour doter la cité d’un réseau d’horloges électriques publiques, par la Ville de Genève, bientôt suivie par Neuchâtel, puis par de nombreuses autres villes suisses et étrangères comme Milan, Nice, Stuttgart, Berlin, Bochum, Cologne, Gènes, etc.

De concert avec M. Hirsch, il met au point la diffusion télégraphique de l’heure au départ de l’Observatoire de Neuchâtel. Les efforts combinés de l’horloger et de l’astronome aboutissent à la construction d’un des garde-temps les plus précis: la pendule  astronomique.

Spécialiste des chronographes, M. Hipp cherche également à transmettre la voix humaine et fait breveter un microphone à contact de platine au tout jeune téléphone inventé par Bell. Il tente une première expérience de télédiffusion musicale à Neuchâtel, entre la fabrique des Terreaux et le Théâtre de la Ville. Il met au point un télégraphe imprimeur et un télégraphe autographe chimique destiné au Japon.

Son piano électrique, premier instrument de musique électro-automatique, est présenté à l’Exposition universelle de Paris, en 1877.

Les inventions se succèdent

Jusqu’à 70 ans, Mathias Hipp continue à étonner par ses inventions, passant de l’enregistreur automatique du niveau d’eau des réservoirs des villes à l’avertisseur d’incendie installé à Bâle, d’un appareil de contrôle de la vitesse des trains à un sismomètre indiquant l’intensité, le genre et l’instant exact d’un tremblement de terre, d’un anémomètre enregistreur électromagnétique à un gyroscope électrique. 

Pionnier de la lampe à arc, il sera le premier à équiper ses ateliers de l’éclairage électrique.

Comblé par les distinctions et les récompenses, couvert de diplômes, honoré par les savants du monde entier, chevalier de l’Ordre de François-Joseph, docteur honoris causa de l’Université de Zurich, Mathias Hipp s’éteint le 3 mai 1893 à l’âge de 80 ans.

Ses appareils et ses inventions ont ouvert des sillons dans les domaines les plus divers. Mathias Hipp laissera à ses successeurs le soin de les élargir, de les prolonger, de les faire fructifier. Ce sera l’œuvre et le mérite de Favag. Une rue de Neuchâtel porte le nom de cet inventeur génial dans le domaine de l’horlogerie, de l’électricité et des télégraphes, à qui revient l’honneur d’avoir ouvert, en Suisse, l’ère des télécommunications.