Bulletin 54 / Août 2016

Le sentier Bourbaki aux Verrières
Sortie du 4 juin 2016

rapportée par Françoise Favre, secrétaire de la SNG

Malgré le mauvais temps annoncé, ce sont vingt-six membres de la SNG qui se sont retrouvés devant la gare des Verrières, un bâtiment imposant pour un petit village de 700 habitants, mais qui témoigne du passé florissant de cette gare-frontière, tous prêts à partir à la découverte de la triste épopée des Bourbaki, sous la conduite d’Alexis Boillat, président de l’association du même nom.

Ce parcours didactique a été inauguré il y a juste un an, il est bien balisé et forme une boucle de 5 km environ qui compte neuf étapes. Chacune de ces étapes est documentée par des panneaux explicatifs… qu’Alexis Boillat agrémentera de commentaires et d’anecdotes personnelles fort bien racontées.

Petit rappel historique

La guerre franco-allemande de 1870-71, voulue autant par Napoléon III, soucieux de restaurer son autorité et la confiance des Français, que par Bismarck, qui espérait consacrer l’unité allemande par cette guerre, se solde très vite par la défaite de la France et la chute du Second Empire (le 2 septembre 1870). La République est proclamée et la défense nationale s’organise pour poursuivre la guerre, tandis que l’armée prussienne envahit peu à peu le territoire français jusqu’à Paris. C’est dans ces conditions que le général Bourbaki est appelé à former l’Armée de l’Est pour secourir Belfort. Après une victoire à Villersexel, il échoue devant Belfort. Dans le même temps, le siège de Paris est une nouvelle défaite pour la France, qui, épuisée et humiliée, capitule le 18 janvier 1871.

C’est l’oubli de Jules Favre, alors ministre de la guerre, et de Bismarck d’inclure l’Armée de l’Est dans l’armistice qui va être à l’origine de sa déroute. Dans l’attente de l’armistice, le général Bourbaki avait évité de procéder à des mouvements de troupes. L’armée prussienne en profite pour isoler l’Armée de l’Est du reste de la France, coupant ainsi tout repli vers Besançon. Acculé et face à une situation désespérée dans un Jura enneigé et glacial, Bourbaki fait une tentative de suicide. Le général Clinchant le remplace.

Le 31 janvier 1871, un télégramme de Léon Gambetta, ministre de l’intérieur, confirme au Général Clinchant que l’Armée de l’Est est exclue de la convention d’armistice et l’invite à se comporter comme un belligérant indépendant. Le jour-même, Clinchant négocie avec le général suisse Hans Herzog l’entrée en Suisse neutre de ses hommes. La convention d’internement est signée aux Verrières et le 1er février, 87’847 soldats épuisés, malades, affamés, vêtus de loques pénètrent sur sol suisse par Les Verrières, Sainte-Croix, Vallorbe, Ballaigues et la Vallée de Joux.

37’000 arrivent aux Verrières (qui comptait alors 1800 habitants). On les appelle « les Bourbaki ».

Le sentier didactique

« Humanité – Hospitalité – Neutralité ». C’est le slogan de l’association Bourbaki. Trois mots qui décrivent bien ce qui s’est passé aux Verrières. Lorsqu’on entre dans le village, on remarque un panneau sur lequel on voit un Bourbaki remettant son fusil à un soldat suisse qui lui donne en échange sa gourde. La population a fait preuve d’un formidable élan de solidarité et d’hospitalité en ouvrant ses portes à ces malheureux internés qu’il fallait soigner, nourrir, habiller, réconforter pour les remettre sur pieds.

Au cours de notre balade, nous découvrons peu à peu ces événements sous leurs différents aspects en fonction des lieux. Après une présentation du village des Verrières et un bref rappel historique, autour du petit kiosque qui marque le départ du parcours, nous nous dirigeons vers le temple, situé très à l’écart du village. C’est dans le temple et la cure toute proche qu’avait été installée une ambulance, c’est-à-dire un hôpital de campagne, pour accueillir les plus atteints. Devant le temple, une stèle rappelle que trente trois soldats français reposent ici. A côté se trouve le Tilleul de la paix (ou l’Arbre du souvenir) planté en 2013 lors d’une commémoration rassemblant les autorités communales de Lucerne et des Verrières et l’Association Panorama Bourbaki de Lucerne.

Un peu plus loin dans la vallée, un vieux wagon et une réplique du panorama de Lucerne, mis en situation, racontent à leur manière le long défilé de ces hordes de malheureux… sans parler des chevaux étiques. Aux termes d’une ordonnance du Conseil fédéral, les Français doivent déposer les armes. On comptabilisera 284 pièces d’artilleries et mitrailleuses, 1158 chariots militaires, 64 000 fusils, sabres et épées qui seront conservés dans des dépôts et rendus plus tard à la France. Le séjour forcé des internés de l’Armée de l’Est prend fin après six semaines, à la suite des préliminaires de paix entre la Prusse et la France. Le retour en France débute à la mi-mars et plus de 15’000 hommes regagnent leur foyer par les Verrières, par là-même où ils étaient arrivés et dans des conditions climatiques identiques. La paix est signée le 10 mai 1871 à Francfort. Les frais de l’opération d’internement, évalués à douze millions de francs, seront entièrement réglés par la France le 12 août 1872.

Une fois désarmés, officiers, fantassins zouaves et autres spahis sont répartis dans 188 communes de tous les cantons suisses (sauf le Tessin), de Genève à Saint-Gall. C’est donc toute la Suisse qui a participé à l’accueil des Bourbaki. Un engagement humanitaire qui
constitue la première grande action de secours conduite par la toute jeune Croix-Rouge suisse. C’est ce que rappelle une colonne portant les armoiries de toutes les communes impliquée dans l’accueil des internés. Des 87 000 qu’ils étaient en arrivant, il en meurt
1700 (la plupart du typhus). A la fin du sentier didactique, une grande fresque réalisée par l’artiste français Benjamin Locatelli représente les principaux protagonistes, Herzog, Bourbaki, Clinchant et la Croix-rouge, et « rend hommage aux soldats et au peuple suisse qui ont su partager leur culture et faire parler les valeurs qui résonnent encore sur les murs des Verrières ».

Quant la France « profondément touchée par la noble conduite du peuple suisse, elle envoie à la Confédération helvétique l’expression de sa reconnaissance » le 4 mars 1871.

Courrier des lecteurs, paru dans le bulletin 55

par Françoise Favre, secrétaire de la SNG

Le compte-rendu de la sortie du mois de juin sur les traces des Bourbaki, paru dans le Bulletin 54 (p. 29-31), associé au « Mot de la présidente » (p. 2) a suscité quelques réactions, notamment de la part de nos lecteurs français.

Claude Thomas, de Lunéville nous a écrit :

« Voilà une sortie que j’aurais aimé faire…
Le silence de la télévision française [Ndlr : lors du passage du Tour de France dans le canton de Neuchâtel] ne m’étonne pas, la guerre perdue de 70 n’est pas le sujet de conversation préféré des Français, presque un sujet tabou… On connaît vaguement Gravelotte à cause de l’expression “ça tombe comme à Gravelotte” qui passe maintenant résolument aux oubliettes. On parle volontiers de l’annexion de l’Alsace-Lorraine (rebaptisée “Alsace-Moselle”), “du courage des optants de 1872 quittant tout pour rester français”, mais surtout pas de ce qui a mené à ce désastre.
Et les Bourbaki ? Je n’ai appris leur existence que lors d’une visite, à la Chaux-de-Fonds, chez mon “cousin” Pierre-Arnold BOREL. La honte ! De retour en France, je me suis rendue compte que j’étais loin d’être la seule à ne pas les connaître ! Les Bourbaki, eux, ne sont pas un sujet tabou, ces pauvres types sont complètement ignorés, ils ont été gommés de notre Histoire. Et ceux qui les connaissent entretiennent un certain flou…
Va-t-on les sortir de l’oubli pour le 150e anniversaire de la guerre de 1870 ? Merci d’y participer. »

De son côté, Marie-Claude Pinguet, de Domérat, a réagi aussi :

« Je voulais aussi vous dire combien je partage ce que vous écrivez dans votre éditorial (…) Comme vous, j’ai regretté profondément que l’épisode des Bourbakis ne soit pas signalé au passage de la frontière [Ndlr : lors du passage du Tour de France dans le canton de Neuchâtel].
(…)Votre promenade du souvenir du 4 juin, qui fait l’objet d’un article de la revue, a une signification particulière personnelle. C’est à partir de la médaille militaire reçue à la bataille de Villersexel par un arrière-grand-père que le virus de la généalogie m’a attrapée. Après le décès de mon père en 2004, j’ai rencontré des cousins perdus de vue. Une sympathie s’est installée. Quand ils m’ont offert le cadre portant nom et date de la bataille de Villersexel (je pense parce que mon père s’appelait comme son grand-père), j’ai voulu  savoir ce qu’il avait fait. Malgré des aides conséquentes, je n’ai pas appris grand-chose. Mon aïeul ne s’était jamais remis des souffrances endurées, était mort à 38 ans, alors que l’aîné des 6 enfants était âgé de 11 ans. On n’en sait pas plus. (…) Voilà comment votre récente promenade a pu retenir toute mon attention. Je me souviens qu’un correspondant de la région d’origine de mon arrière-grand-père, maintenant décédé, m’avait répondu lorsque je l’avais contacté (…) : « … Il y a fort longtemps, un ancien me racontait que l’armée de BOURBAKI était arrivée à la frontière suisse dans un état de misère indescriptible : certains pieds nus dans la neige, les plus heureux en sabots car leurs souliers laissait passer l’eau comme du carton. J’ai eu la chance aussi d’écouter les vieux raconter leurs histoires de guerre en patois lorrain, le soir d’été sur le banc devant la maison. »
Cela rejoint cette volonté de transmission de la mémoire que vous évoquez à juste raison dans votre éditorial. L’écrit assure bien souvent une transmission orale qui peut s’avérer défaillante. MERCI, Madame. »

Plus près de nous, Philippe Decreuze nous a envoyé une image du monument élevé en 1872 à la mémoire des Bourbaki, qui se trouve dans le cimetière de Colombier. On y voit trois plaques, l’une portant un verset biblique « Veillez, car vous ne savez pas à quelle heure votre Seigneur viendra » (Matthieu 24, 42). Sur les deux autres on peut lire « Le 1er février 1871, quatre-vingt-mille Français commandés par Bourbaky se sont réfugiés en Suisse par le Val de Travers » et « Ici dorment dix-neuf soldats français enfants de la Charente. La mort les a frappés le 22 mars 1871 au moment où libres et heureux, ils rentraient dans leur patrie. » Ils sont morts dans un grave accident ferroviaire en gare de Colombier. On peut en lire le compte rendu dans Le véritable Messager boiteux de Neuchâtel pour l’an de grâce 1872, p. 34-35.
Les noms des 19 soldats sont inscrit sur le monument : Gilbert Jude – Diel Alexandre – Morlé Jules – Roses Laurent – Herrier Claude – Agard Barthélémy – Merceron Louis – Gindraud Jean – Albon Lucien – Bagouet Denys – Rocher Pierre – Deschemin Jean – Sallier Jean-Célestin – Petit Jean – Pinet Thomas-Amédée – Simon Pierre – Moraud Pierre-Justin – Abbon Jean – Legros Pierre

La «transmission de la mémoire » semble avoir de la peine à s’imposer, en France tout du moins ! Tout récemment, le 27 septembre 2016, le journal L’Impartial titrait « Imbroglio autour de la fresque Bourbaki – La fresque de l’Association Bourbaki-Les Verrières, au pied du château de Joux, est-elle condamnée ? » Le Service des Bâtiments de France a effectivement demandé que cette fresque soit recouverte, au motif qu’elle «porterait atteinte au patrimoine que représente le château de Joux. » Ce qui montre le peu d’égards avec lesquels la France traite l’épisode. Et Alexis Boillat, président de l’Association ajoute «Neuf manuels d’histoire français sur dix arrêtent l’histoire de la guerre franco-prussienne avec l’armistice du 28 janvier. Ils oublient simplement l’épisode Bourbaki. Quand je vais
faire des présentations de l’Association à Pontarlier, je demande toujours si les gens savent pourquoi ils ont une avenue de l’Armée de l’Est. Et ils sont peu à savoir que c’était une armée française. Ils pensent que c’étaient des Russes…»

Notre époque propose des commémorations de toutes sortes. Saura-t-on rendre hommage à ceux qui ont combattu pour la France en 2020, pour le 150e anniversaire de cette guerre ? 

Françoise Favre, secrétaire de la SNG