Bulletin 55 / Décembre 2016

Quand des Ducommun-dit-Veron deviennent Ducommun du Locle

par Françoise Favre-Martel

Connaissez-vous Camille du Locle, le poète et amateur d’opéra ? C’est ainsi que j’ai été interpellée par une amie parisienne. J’ai avoué que non, je ne connaissais pas cet individu, et je me suis précipitée sur internet. Ce qui m’a entraînée dans une nouvelle aventure généalogique…

Le fait que ce personnage soit presque totalement ignoré des Archives de l’État de Neuchâtel m’a un peu consolée de mon ignorance. Il y avait tout de même une fiche, une seule (je ne compte pas les fiches qui renvoient à un dossier particulier qui n’existe plus !)  intitulée « DUCOMMUN du LOCLE famille », qui mentionnait un article paru en 1948 dans le Bulletin de la Société historique et archéologique de Nantes et de Loire Inférieure, tome LXXXVII, p. 72-76. Ladite société m’a aimablement envoyé une copie numérisée de l’article sorti de la plume d’un neuchâtelois anonyme, intitulé « Les origines de la famille DUCOMMUN DU LOCLE ». C’est la source que j’appellerai « Source A » ci-dessous.

Je suis bien sûr allée faire des recherches dans les registres de l’état civil. Ceux de Neuchâtel ne m’ont pas été d’une grande aide, mais heureusement pour moi, les Français ont mis en ligne l’état civil de plus de 100 ans, ce qui m’a permis de consulter les actes à distance. Les Français étant aussi champion pour l’entraide généalogique par internet, j’ai pu dénicher le jugement du Tribunal civil de Nantes [1] autorisant le changement de nom, un document de trois pages que j’ai pu consulter en ligne. C’est la source que j’appellerai « Source B » ci-dessous.

Par contre, je ne suis pas allée à la recherche des Registres des régiments suisses cités, ni des dossiers militaires probablement consultables au Service Historique de la Défense à Vincennes (Paris) pour vérifier les assertions de mes deux sources. C’est donc sous réserve que je les mentionne.

L’auteur de l’article de la Source A commence ainsi : « La bibliographie dont nous disposons au sujet du sculpteur nantais Ducommun du Locle et de son fils Camille, auteur de livrets d’Opéra, se borne à indiquer que cette famille est originaire du Locle, petite ville du Jura suisse, en pays neuchâtelois (…) où, il faut bien le reconnaître [tous deux] sont totalement ignorés. ». Après une brève présentation du Locle, du canton de Neuchâtel et de son histoire, il remonte le temps pour partir de Josué Ducommun-dit-Véron, communier du Locle et de La Chaux-de-Fonds, reçu bourgeois de Neuchâtel en 1725. 

J’ai choisi un chemin inverse, allant du connu – Camille DU LOCLE – pour aller vers l’inconnu – la souche neuchâteloise de la famille, en donnant les preuves possibles. On verra que pour faire mentir leur patronyme, ces DUCOMMUN sont une famille peu commune !

1- Camille Théophile Germain DUCOMMUN DU LOCLE,
dit Camille DU LOCLE, est né le 16 juillet 1832 à Orange (Vaucluse, F).

C’est le fils de Daniel Henri Joseph DUCOMMUN DU LOCLE, receveur-percepteur des finances et sculpteur, et de Claire Adèle Collart-Dutilleul.
Une mention marginale portée sur son acte de naissance précise que : « Ce jourd’hui 25 mars 1863 a été transcrit sur le registre des actes de naissance de ladite année sous le 118/2, un jugement rendu par le Tribunal civil de cette ville le 12 mai 1863, qui ordonne qu’en vertu du décret impérial en date du 21 février 1861 Daniel Ducommun est autorisé à ajouter à son nom celui de du Locle et à s’appeler à l’avenir Ducommun du Locle. » Une mention étonnante, puisque le patronyme « Ducommun du Locle » est déjà utilisé dans l’acte de 1832 et que le père signe « Ducommun du Locle ». C’est donc que le nom double était déjà employée par la famille bien avant son officialisation. Camille, lui, se fera le plus souvent appeler tout simplement Camille DU LOCLE.
Il épouse Marie Henriette DOUX le 22 avril 1863 à Paris et il n’y a pas d’enfant connu pour ce couple.
Camille du Locle est poète, librettiste, impresario.
Il est décédé à Capri (IT) le 9 octobre 1903.

Notes biographiques (Source internet) : En 1862, Camille DU LOCLE est l’assistant d’Emile Perrin à l’Opéra de Paris, avant de passer à l’Opéra Comique qu’il codirige avec Adolphe de Leuven de 1870 à 1874. Un engagement qui se termine par un désastre  financier, Camille n’ayant pas la trempe d’un gestionnaire. Il est l’auteur de plusieurs livrets d’Opéra pour Bizet et Verdi, ainsi que de nombreuses poésies et cantates. En 1877, il participe à un concours de poésie et reçoit le prix de l’Académie Française pour son  poème « André Chénier ». La critique est unanime à constater que cette poésie s’élevait au-dessus de la valeur ordinaire des concours et à en louer la composition ingénieuse et les beaux vers.
Après plusieurs déboires, ruiné et endetté, il se retire à Capri où il meurt le 9 octobre 1903.

2 – Daniel Henri Joseph DUCOMMUN
est né à Nantes le 18 Germinal An XII (8 avril 1804). C’est le fils de Joseph DUCOMMUN, pharmacien en chef de l’hospice civil de Nantes, et de Louise Laurence MARTIN. Une mention marginale à son acte de naissance indique que : « Par jugement du 17 juillet 1862, le Tribunal civil de Nantes ordonne que les mots du Locle soient ajoutés dans l’acte ci-contre au nom patronymique Ducommun ».
L’acte, rédigé au nom Ducommun (en un seul mot), est signé par le père et le grand-père de l’enfant Du Commun (en deux mots avec deux majuscules).

Daniel Henri Joseph épouse Claire Adèle COLLART-DUTILLEUL le 9 juillet 1831 à Paris. Ils auront deux fils, Camille, et Alfred Léopold François né le 2 janvier 1836 à Bayeux. Pour ce dernier, l’acte est au nom de Du Commun Dulocle (en un mot) et le père signe Ducommun du Locle. On sait qu’au XIXe siècle, l’orthographe des noms propres est encore flottante, mais dans ce cas, on peut penser que ces variantes traduisent déjà l’hésitation de Daniel DUCOMMUN entre l’intégration à son pays d’adoption et la fidélité à  l’origine de ses pères…
Il épouse en seconde noce Louise Albertine Augustine PRINCE le 10 octobre 1848 à Paris dont il aura un fils, Henry Samuel (1847-1908).
Il est décédé le 6 septembre en 1884 à Rethel (Ardennes) et enterré à Paris au cimetière du Père-Lachaise (39e Division).

Notes biographiques : Daniel DUCOMMUN est de nationalité française et a fait une carrière professionnelle dans l’administration des finances, ce qui l’a conduit à exercer dans plusieurs villes de France. Parallèlement, il est connu comme sculpteur sous le nom de David Ducommun du Locle. (ainsi par ex. dans le Dictionnaire des artistes suisses). C’est avec Bosio et Cortot qu’il a étudié la sculpture, et il laisse un certain nombre d’œuvres que l’on peut admirer à Orange, à Paris, à Nantes ou au Louvre. Son portrait  photographique, réalisé par Etienne Carjat, est conservé au Musée d’Orsay, à Paris.
En 1861, il fait une demande de rectification de son patronyme dont le Jugement du Tribunal civil de Nantes (Source B) donne la teneur : « Monsieur Daniel Henry Joseph du Commun du Locle, Receveur général des Finances demeurant à Valence (…) a l’honneur d’exposer (…) que c’est à tort que lui et son père ont été dénommés Ducommun en un seul mot, au lieu de Du Commun en deux mots qui est leur véritable nom patronymique… » Il demande par la même occasion que soit ajouté Du Locle à son patronyme. Finalement, le Tribunal considère que la demande d’écrire Ducommun en deux mots n’est pas suffisamment justifiée, mais autorise l’addition des mots du Locle, « puisque cette addition a été autorisée par un décret impérial du 20 février 1861, contre lequel aucune opposition n’a été formée dans l’année ». Les actes de naissance de Daniel Joseph Henri et de ses fils sont alors modifiés en conséquence. Pour étayer sa demande, Daniel Henri Joseph a dû fournir un certain nombre de pièces justifiant sa filiation et remontant jusqu’à Josué Ducommun-dit-Véron.
On trouve une brève nécrologie de cette « personnalité bien étrange qui n’a de neuchâtelois que son origine, Ducommun du Locle », dans le Véritable Messager Boiteux de Neuchâtel en 1886, p. 46 et 47.

3 – Joseph DUCOMMUN
Il est né en 1776 (à Strasbourg selon la Source A, ce qui n’a pu été vérifié). C’est le fils de Henry DUCOMMUN, chirurgien militaire.
Joseph est pharmacien. Il est nommé pharmacien militaire à Nantes en l’an V (1796-97), puis pharmacien en chef à l’hospice civil de Nantes, fonction qu’il occupe en 1804 lors de la naissance de son fils Daniel Henri Joseph.
Il épouse Louise Laurence MARTIN le 19 juillet 1803 à Paris. (Selon la Source A, elle était veuve et habitait à Paris en 1827)
La date et le lieu du décès de Joseph DUCOMMUN ne sont pas connus.

4 – Henry DUCOMMUN
Il est baptisé le 19 juin 1742, fils de Daniel DUCOMMUN et de Elisabeth DUBOS.
L’acte de baptême se trouve dans le Livre de l’Église protestante du Régiment suisse de Wittemer (source A) et une copie est déposée aux minutes de Maitre Dubarle, notaire à Paris, ainsi qu’un acte des quatre ministres de la ville de Neuchâtel du 8 mai 1794 (Source B).
Henry suit la même carrière de médecin militaire que son père. 

Notes biographiques : « D’après un extrait de son dossier aux Archives du Ministère de la Guerre, il fut élève en chirurgie des hôpitaux de Metz, Longwy et Sarrelouis de 1754 à 1757, chirurgien sous-aide à l’Armée d’Allemagne d’avril 1757 à février 1762, chirurgien aide-major en Corse de 1764 à 1767. Reçu médecin à Strasbourg, il fut nommé chirurgien major du régiment de Quercy, devenu Rohan Soubise en 1767. On le trouve médecin chef de l’hôpital militaire de Carantan en 1778, médecin de l’Armée de l’Ouest en octobre 1793, médecin ordinaire de l’armée des Côtes de Brest en 1797 et enfin médecin de l’hôpital militaire de Nantes. C’est ainsi que la famille Ducommun arriva à Nantes, au hasard d’une carrière bien agitée. Henry Ducommun revendique la qualité de Français, qu’il
pouvait éventuellement déjà tenir de son père, car sous l’Ancien Régime, les militaires étrangers ayant servi au moins cinq ans en France étaient considérés comme régnicoles [2]» (Source A).

5 – Daniel DUCOMMUN
C’est le fils de Josué DUCOMMUN et Gertrude Vomberg. Bien qu’il soit dit dans l’acte de naissance de son fils Daniel qu’il est « natif de Neuchâtel » son acte de naissance n’a pas pu être retrouvé à Neuchâtel (pas plus que celui de sa sœur Anne Christine, marraine de Daniel).
Il épouse Elisabeth DUBOS (où et quand?) et le couple a trois enfants, Henry en 1742, un enfant le 30 septembre 1751 et un enfant le 21 octobre 1756, dont les actes de naissances sont déposés aux minutes de Maître Dubarle notaire à Paris (Source B).
Il est décédé le 28 février 1758 et son acte de décès a été déposé aux minutes de Maitre Dubarle, notaire à Paris, le 15 juillet 1861 (Source B).

Notes biographiques : « Il reçoit un certificat du colonel et capitaine du Régiment suisse de Wittemer en date du 27 octobre 1747, et dans son acte de décès, il est désigné par sa qualité de Chirurgien du Régiment de Madame la Dauphine » (Source B). On trouve la mention de « Daniel Ducommun, au service de Sa majesté très Chrétienne » dans le registre des bourgeois de Neuchâtel, (Source A).

6 – Josué DUCOMMUN-dit-VERON
Il est né à La Chaux-de-Fonds (les registres de cette époque ont disparu dans l’incendie de 1794) fils de Guillaume Ducommun-dit-Véron. C’est la première mention de cette branche des Ducommun, qui sont communiers du Locle et de la Chaux-de-Fonds, bourgeois de Valangin.
Il est chirurgien et épouse Gertrude VOMBERG à Neuchâtel
Le couple a six enfants : Anne Marie (en 1705, qui fait sa Première communion en 1721 à Coffrane) ; Marie Madeleine (en 1717 à Corcelle-Coffrane) ; Abraham (en 1719 à Corcelle-Coffrane) ; Suzanne Elisabeth (en 1721 à Corcelle-Coffrane) ; Lucrèce ( en 1725 à Corcelle-Coffrane) et Daniel (lieu et date inconnues).

Notes biographiques : On trouve dans le fichier des Archives de l’État de Neuchâtel (AEN) plusieurs fiches au nom de Josué et de ses enfants.
« Un acte sur parchemin lui est délivré en date du 23 avril 1700 par le lieutenant de la Souveraineté de Neufchâtel, et un autre acte par les pasteur et ancien de l’Église de La Chaux-de-Fonds en date du 24 avril 1700. Il reçoit le 5 mars 1725 un brevet de chirurgien du Roi et de la Cour de Prusse » (Source B)
Il demeure à Corcelles où la plupart de ses enfants sont nés.

Le 15 octobre 1725, il est reçu bourgeois de Neuchâtel en reconnaissance de ses services à Neuchâtel pendant la peste (Fichier des AEN).
Il est décédé avant 1741, puisqu’à cette date, Gertrude Vomberg est dite veuve.
Elle même est enterrée le 14 octobre 1752 (Fichier des AEN).

7 – Guillaume DUCOMMUN-dit-VERON
Il est nommé justicier à La Chaux-de-Fonds le 4 novembre 1697 (Fichier des AEN – Manuel du Conseil d’État) où il demeure.
Selon Ch. Tomann « Les Ducommun-dit-Véron. branche locloise signalée dès le XVe siècle, se prévalait de pouvoir pêcher dans le Doubs. Leurs ancêtres étaient peut-être verriers au bord de la rivière (La Chaux-de-Fonds sous les Orléans-Longueville, p. 47).
Il est enterré le 27 juin 1708 (Fichier des AEN).

En conclusion

Si Camille DU LOCLE se targuait d’une origine locloise, celle-ci semble bien être justifiée. Mais il n’est pas sûr que Camille (ni son père) soit jamais venu au Locle !
Mais c’est à l’auteur anonyme de la Source A que je laisse le mot de la fin : « Chaque génération de la famille DUCOMMUN vit le jour dans une ville différente. Peut-on la blâmer d’avoir voulu se rattacher à sa souche la plus ancienne et la plus immuable ? On ne saurait certes pas en faire grief à un homme [Daniel Ducommun qui prit le nom de DUCOMMUN DU LOCLE] qui, par ses dons généreux, contribua à l’embellissement de sa ville natale et à l’enrichissement de son musée. »

Notes

  1. Archives municipales de Nantes, Registre des Naissance 1863 (cote 1E 1123), vues 22 et suivantes, consultable en ligne.
  2. Qui habite le pays où il est né, auquel il appartient comme citoyen par opposition aux étrangers (Larousse pour tous 1910)