Bulletin 55 / Décembre 2016

Une femme dans la tempête - 1914

par Françoise Favre, secrétaire de la SNG

Conférence de Berthe-Hélène Balmer

En ce lundi 15 août 2016, la SNG accueille Berthe-Hélène Balmer, venue nous présenter le journal tenu par Lina Bachmann de 1914 à 1919, un document précieux dont elle a hérité d’un cousin. Ayant compris tout l’intérêt et la valeur de ce témoignage unique, Berthe-Hélène Balmer s’est lancée dans un travail de recherches historiques afin de replacer ce journal dans le contexte économique et social de son époque. Pour commencer, elle s’est consacrée seulement au premier cahier (1914), qu’elle a publié à compte  d’auteur [1], en l’enrichissant de remarques tirées de ses recherches personnelles.

Lina Mafli est née en 1864 à Savagnier, dans une de ces familles bernoises venues tenir en fermage des domaines laissés libres par des Neuchâtelois convertis à l’horlogerie. La famille avait fini par acheter un domaine au bas des Saules (Maison Rouge). Elle épouse en 1890 à Valangin Albert Bachmann (né en 1862). Albert est lui aussi issu d’une famille bernoise établie dans le canton de Neuchâtel. Le couple achète un domaine à Boudevilliers et huit enfants naitront entre 1891 et 1906.

Quand elle commence d’écrire, Lina a donc cinquante ans et son mari est de santé fragile. Au moment où la guerre éclate, Lina retrouve un vieux cahier d’écolier à la couverture gaufrée joliment décorée. Bien que très occupée par la surcharge des tâches due à la guerre, elle va prendre le temps de noter chaque jour les évènements de la vie quotidienne, ce qui la préoccupe, ses soucis, la vie au village. Est-ce là le moyen qu’elle a trouvé pour se libérer de ses angoisses, face à cette guerre qui éclate si soudainement ? Elle ouvre en tout cas ce cahier en écrivant cette phrase qui souligne la solennité de son acte : « Quelques notes prises en l’absence de nos chers fils partis pour garder la frontière de notre chère patrie suisse pendant la guerre européenne. 1914. »

Le 1er août 1914, c’est l’annonce de la mobilisation générale ou de la « Mise de piquet de l’armée suisse ». Ce jour-là, Lina écrit « Les hommes du Landsturm sont partis aujourd’hui. Quelle triste journée. Aussi le 1er août n’a-t-il pas été fêté comme d’habitude, pas même un feu » Et deux jours plus tard, ce sont ses deux fils ainés qui partent à leur tour. Lina rend compte de l’émotion et du désarroi de la population, de la précipitation et du rôle de la communauté villageoise pour faire face à la nouvelle situation. C’est tout un équilibre qui est mis à mal, et il faut trouver dans l’urgence des solutions pour y remédier alors qu’on est en pleine saison des foins, et qu’il reste encore la moisson à faire.

Au fil des jours, elle couche sur le papier son quotidien, ses inquiétudes, la difficulté de mener de pair le train de ferme et le ménage, les problèmes dus au mauvais temps, les travaux à faire et à refaire, le souci pour ses fils partis à l’armée, mais aussi pour ses filles qui doivent assumer tant de charges. Elle a le cœur serré quand sa fille Madeleine (20 ans) « revient toute mouillée et gelée de Neuchâtel » où elle est allée livrer le lait. C’est le récit d’une existence simple, mais significative du dur labeur qui incombe aux femmes en temps de guerre. Et Lina ne cache pas sa fatigue.

Le journal ne donne pas ou peu d’échos de la guerre et de ce qui se passe hors des frontières. Mais Lina note des petits événement oubliés aujourd’hui : l’arrivée de pommes de terre de Hollande pour compenser la faible récole partout en Suisse, l’arrivée de réfugiés belges qu’il faut accueillir. Elle note « Cet après-midi il y avait assemblée au collège pour voir ce qu’il fallait faire pour les Belges. » et elle se rend à la société de couture « où ces dames ont déjà fait beaucoup pour nos soldats et pour les Belges ».

Au fil des mois, cette femme révèle sa force de caractère. Le cahier s’achève avec les fêtes de fin d’année. « 24 décembre. A nos côtés il y a la guerre et les hommes se tuent et tombent par milliers, oh que c’est triste ! ». Et un peu plus loin : « Voilà maintenant quelques notes depuis la mobilisation ; notes parfois bien tristes mais espérons qu’elles se changeront bientôt en paix et en joie ». Hélas, la guerre se poursuivra encore quatre années, et son espoir de ne plus jamais revoir la guerre ne sera malheureusement pas exaucées, puisque Lina est morte en 1945.

Au début de la soirée, notre oratrice se demandait quel rapport établir entre cette femme de la terre, née dans une famille d’immigrants bernois, épouse ensuite d’un paysan issu de la même immigration, et la généalogie neuchâteloise dont nous nous occupons. La réponse est dans la publication de ce petit livre. Voilà un bel exemple de la façon dont on peut valoriser les archives familiales par des recherches qui sont à notre portée. Le généalogiste peut alors non seulement « habiller » son arbre familial, mais transmettre un patrimoine compréhensible aux générations futures.

Notes

  1. « Une femme dans la tempête – Août 1914 », 2015, CHF 16. Disponible chez Payot.