Bulletin 58 / Août 2018

Ah ... un -OZ, oh ... un -AZ

par Germain Hausmann

Comme vous le savez tous, les Français (surtout les Parisiens) ont la fâcheuse habitude de prononcer les lettres finales des noms de personnes ou de lieu. Ainsi, Chamonix (prononcez « Chamoni ») devient pour eux « Chamonicse », Tournus (prononcez « Tournu ») devient « Tournusse », Gérardmer (prononcez « Gérarmé ») devient « Gerarmère ». Heureusement, cette coutume, courante il y a trente ans, a tendance à disparaître. Les Parisiens n’ont plus l’arrogance d’antan et se mettent maintenant volontiers à respecter les façons locales de prononcer les toponymes provinciaux.

Il est cependant une coutume qui reste bien ancrée, c’est de prononcer « oze » ou « aze » les noms de personnes se terminant par –oz ou par –az. Chez nous, le « z » final reste, comme d’ailleurs souvent en français (« vous venez » ne devient jamais « vous venèze »). Quelle est l’origine de ces orthographes ? Voici quelques mots d’explication :

Il fut un temps où, dans nos région on parlait le latin, non pas le latin de Cicéron, langue littéraire déjà en partie pédante à son époque, mais un latin vulgaire, sans doute mâtinée de gaulois dans nos régions. Y a-t-il un ou plusieurs gaulois selon les tribus, nous ne le savons pas. Toujours est-il, qu’après la fin de l’Empire romain, le parler de chaque région évolua séparément. Il y eut trois grands ensembles de langage roman en France : au Nord la langue d’oil (les Jurassiens parlent des patois en langue d’oil), au Sud la langue d’oc, et à l’est, en gros sur le territoire occupé par les Burgondes, un troisième ensemble de langue que l’on a appelé longtemps « franco-provençal », mais qui est plutôt aujourd’hui dénommé « arpitan ». C’est le cas de l’immense majorité des patois de la Suisse romande.

Lorsque la France s’est construite autour de la dynastie capétienne, la langue de la région parisienne (le français, qu’il faut comprendre comme le patois de l’Île de France) devint peu à peu le langage qui comptait et est à l’origine du français moderne.

Mais, il y avait beaucoup d’autres patois en France. Un autre a profondément influencé une langue actuellement parlée internationalement. L’Angleterre fut envahie par les Normands en 1066 et les barons de cette région sont devenus l’élite « anglaise », mais ont continué à parler leur langue d’origine (le normand) pendant plusieurs siècles. Quelques mots normands (non français) sont donc passés à l’anglais et s’y retrouvent toujours maintenant. Le normand et le picard (on dit maintenant le ch’ti) ont une caractéristique bien spécifique dans le Nord. Le cainitial latin ne devient pas « che », mais « ke. Du « canem » latin, on ne passe pas à « chien », mais à « kien » (cf. le film « Bienvenue chez les Chtis »). Ainsi, « carrum » ne devient pas « char », mais « car » en normand, mot qui a passé à l’anglais où il désigne une voiture.

Mais revenons à notre français. Ce qui le caractérise, c’est que l’accent tonique latin y est toujours situé sur la dernière syllabe. Tous les sons qui suivent cet accent tonique d’origine ont été oubliés en français. L’exemple le plus extrême se trouve dans le nom de cette ville hexagonale, en latin [Dividurum] Médiomatricorum, qui a donné en français ….. Metz, car l’accent est sur la première syllabe et toute la suite a disparu. 

Ainsi, en français, on met toujours l’accent sur la finale, même lorsque les mots sont d’origine étrangère, mais ce n’est pas le cas ailleurs. En langue d’oc et en arpitan, l’accent latin a été conservé et les syllabes qui le suivent ont été conservées, quoique prononcées de façon plus légère. Ce qui est en français un « e » muet, est au Sud de la France un « a » ou un « o » que l’on dit amuït, car on le prononce à peine. On devrait écrire « a » ou « o ».

Ainsi, le prénom latinisé « Vuilliérmus » devient en français « Vuilliérme », en langue d’oc « Vuilliérma » (non Vuilliermá) et en arpitan plutôt « Vuilliérmo » (non Vuilliermó).

C’est une règle générale au Moyen Âge, lorsqu’une voyelle est prononcée à la fin d’un mot, on a tendance à la consolider par une consonne, que l’on ne prononce pas. Cela peut être un « t » (par exemple Jeannerat), un « d » (par exemple Junod), par un « l » [mais pas toujours] (par exemple Rossel) ou, pour notre malheur, par un « z ».

Pourquoi un « z ». Certains l’expliquent par le fait que les scribes sont sensés ne pas employer un « z » normal, mais par un « Ʒ » dont le trait se termine sous la ligne, marquant ainsi que la voix comme le trait doit descendre et que le son de la dernière syllabe ne se prononce que très peu.
Ainsi pour reprendre un autre exemple, le nom français Mérme devient au Sud de la France Mérmaz (nom d’un politicien français) (non « Mermáze ») et chez nous Mérmoz (nom d’un aviateur) (non « Mermóze »).

Donc, en résumé, l’apparition du français dans nos régions a eu pour conséquence que changer la place de l’accent tonique (mis systématiquement sur la dernière syllabe) et de prononcer une lettre purement décorative, le « z » final. Certains en souffrent, mais d’autres en sont tout contents. En effet, il est plus séant de dire « Crottáze » que Cróttaz, « Culóze » que Cúloz.

Noms de famille neuchâtelois concernés par ces orthographes 

(avec essai d’interprétation, mais chaque nom demanderait une étude particulière. Certains sont évidents, Mentha = Menthe, d’autres plus énigmatiques, Vouga = ??)

-a : Guéra, Leuba, Mentha, Tissot-dit-Choppia, Vouga

-d : Baillod, Henriod, Jacot-Guillarmod, Jornod, Junod

-l : Benguerél, Borél, Buchenél, Carél, Chanél, Chédél, Dardél, Donzél, Dumont-dit-Voitél, Duvanél, Franél, Ginnél, Grisél, Jean-Richard-dit-Bressél, Matthey-des-Bornél, Morél, Parél, Pettavél, Rossél, de Sandol-Roy, Soguél, mais Gaberel [vient de Gabriel]

-r : Donnier, Monnier

-t : Audetat, Baillot, Barbezat, Bellenot, Bersot, Bugnot, Burgat, Clodot-Billon, Gauchat, Gicot, Gorgerat, Gretillat, Guenot, Huguenin-Bergenat, Huguenin-Dezot, Jacot, Jacot-Guillarmod, Jeannot, Leschot, Piaget, Tillot, Tissot, Tissot-dit-Choppia

-z : Amez-Droz, Coulaz, Degiez, Deluz/Deluze, Donniez, Droz, Bastardoz, Leubaz, Maccabez, Matthey-Dupraz, Sandoz, Veluzat