Bulletin 58 / Août 2018

Comment valoriser et transmettre sa généalogie ?

par Françoise Favre-Martel

Qu’il se l’avoue ou non, tout généalogiste souhaite que le fruit de son travail ne finisse pas avec lui et ne soit pas perdu. La transmission et la conservation du travail généalogique est d’ailleurs un sujet qui préoccupe de plus en plus le milieu des généalogistes, et plusieurs revues ont publié des articles à ce sujet.

Si les recherches dans les archives sont souvent un exercice solitaire, les découvertes que nous faisons méritent néanmoins d’être partagées. Très vite, sur la base de ma propre expérience, j’ai eu conscience qu’à défaut de pouvoir transmettre aux générations qui me suivent la passion qui m’a animée pendant de longues années, il fallait leur laisser une trace écrite de mes recherches. Les fiches, les notes, et même le contenu de notre ordinateur ne leur sera d’aucune aide, parce qu’ils ne sont compréhensibles et utilisables que pour celui ou celle qui les a élaborés. Aujourd’hui, nos enfants ou petits-enfants ne partagent pas notre intérêt pour leurs ancêtres ? Mais demain ou après demain ? Il faut donc leur laisser un écrit qui leur soit réellement destiné personnellement et qu’ils auront à leur
disposition le jour où ils le souhaiteront. La question, c’est comment passer le relais et comment s’y prendre ?

Définir ce qu'on veut transmettre, et à qui

On commencera par définir ses objectifs. S’agit-il de transmettre une généalogie complète, avec les fratries et les alliés ? Une histoire familiale, sur combien de générations ? Une branche (paternelle ou maternelle) de son arbre ou plusieurs branches ? Des histoires de vie ? S’adresse-t-on à sa descendance uniquement ? A la famille élargie ?

Ensuite, le choix du comment se fera en fonction de ses aptitudes et de ses perspectives. Si l’on a plutôt un esprit scientifique, où la logique et la précision prévalent sur le récit, on choisira peut-être d’écrire une chronique familiale complète qui recense toute sa famille. Si l’on est plus dans la relation entre les individus et dans l’affectif, et si l’on aime écrire, on choisira plutôt la forme d’un récit.

L'arbre généalogique est un incontournable

Il permet de visualiser la géographie familiale. Nos logiciels de généalogie savent très bien faire ça et offrent plusieurs modèles. On peut, par exemple, imprimer des sets de table avec l’arbre familial ou faire un grand mobile pour une fête de famille. On peut offrir un bel arbre comme cadeau de naissance ou d’anniversaire. Mais un arbre – si beau soit-il – sur lequel ne figurent que des patronymes et des dates, risque de ne pas susciter un formidable intérêt dans la famille. L’arbre ne raconte pas l’histoire familiale et ne transmettra qu’une infime partie de nos recherches. Il faut donc écrire cette histoire d’une façon ou d’une autre. Transformer la matière brute (nos fiches et nos notes) en un produit fini.

Deux écueils nous guettent dans ce projet : le désir d’en savoir plus et le manque de temps. La recherche est chronophage et elle est souvent hautement addictive ! Plus on cherche, plus on a envie d’en savoir plus et d’aller plus loin. Il y aura toujours un détail qui manque. Inutile d’attendre la fin de nos recherches pour se mettre à écrire, ce moment n’arrivera jamais. Mieux vaut donc écrire une histoire imparfaite, mais qui donnera l’essentiel sur les personnages majeurs de notre histoire familiale, sur ce qui mérite vraiment d’être transmis à nos descendants. Et rien ne nous empêchera de continuer nos recherches.

L’autre écueil, c’est le temps. Et le meilleur conseil qu’on puisse donner, c’est de ne pas attendre d’avoir le temps (ce qui risque de ne jamais arriver !) mais prendre le temps. Comme dit la pub, « Prenez le temps de vous faire plaisir »… ou de réaliser vos priorités !

Mettre en forme et écrire l'histoire familiale

Pour cela, on peut s’inspirer de ce que d’autres ont fait avant nous, et choisir parmi plusieurs modèles possibles (on trouvera plusieurs exemples dans la bibliothèque de la SNG) :

La chronique familiale. C’est l’arbre sous une forme rédigée et non pas graphique. Là encore, nos logiciels de généalogie sont une aide appréciable. Ils nous offrent un cadre tout fait, avec lequel on peut prendre des libertés aussi bien dans le contenu que dans la forme, et que l’on peut personnaliser selon ses envies pour en faire la chronique de sa famille.

On partira d’un ancêtre ou d’un couple, en le situant dans son contexte historique et dans son village, et on fera de même à chaque génération. On racontera ce qu’on a appris de l’enfance et de la jeunesse, du cadre familial, du métier, des engagements politiques, associatifs ou paroissiaux de ceux qui nous ont précédés, sans oublier les explications nécessaires. Nos petits-enfants savent-ils encore ce qu’est un régent, un justicier ou un ancien d’église ?

On peut écrire de la même manière l’histoire de sa famille à partir d’un village où d’une maison familiale.

Le livre-photo, enrichi de remarques et d’anecdotes est une autre manière de raconter l’histoire de sa famille. Cette alternative offre l’avantage d’associer des photos anciennes, des images d’archives et des commentaires personnalisés. Un livre-photo sur 3 ou 4 générations peut être un cadeau original pour les 20 ans de nos enfants ou petits-enfants. De nombreux sites spécialisés sur internet permettent de concevoir votre album en ligne très facilement, dans le format de votre choix.

Un jeu généalogique. C’est une idée originale proposée dans le numéro spécial de La Revue Française de Généalogie consacré à la transmission de sa généalogie (janvier 2018) pour initier les plus jeunes. A partir de photos de famille, créer un memory, un jeu de familles (dans la famille Dupont, je demande la mère…), ou un puzzle à partir d’une photo de toute la famille. L’association « Généalogie en Corrèze » a inventé un jeu de société « Génealogik »[1] pour jouer en famille (dès 8 ans), un jeu que l’on peut très facilement adapter à sa propre famille.

Les récits de vie. Parce que j’aime écrire, c’est le parti que j’ai pris, celui d’écrire la biographie de mes 2 parents, de mes 4 grands-parents et de mes 8 arrière-grandsparents [2]. Soit 14 biographies. Je me suis immergée dans leur époque, en élargissant mes recherches à l’histoire locale et à la grande histoire pour retrouver le contexte dans lequel ils avaient vécu. Mes arrière-grands-parents alsaciens ont connu la guerre de 1870 et ont changé de nationalité, mon arrière-grand-père parisien a été témoin de la révolution de 1848 et a vécu le siège de Paris en 1871, mes grands-parents et mes parents ont vécu deux guerres mondiales, et je suis la première génération qui n’a pas connu de guerre. J’ai essayé de penser comme eux, et j’ai raconté leur vie comme ça venait, en parlant de mes ancêtres comme j’aurais parlé de mes enfants à des amis. Mon objectif était non seulement d’intéresser mes lecteurs, mais de livrer un récit vivant, facile à lire, et de les faire vibrer

Le moment est venu de se mettre au travail

Le gros du travail, qui consiste à rassembler les informations, est déjà fait. Nous avons tout ou presque sous forme de fiches ou dans notre ordinateur. Nous avons collectionné des informations sur l’histoire et les conditions de vie de nos ancêtres, sur le métier qu’ils ont exercé ; nous nous sommes rendus sur les lieux où ils ont vécus, nous avons rassemblé des photos, etc.. La matière est donc là.

Nous avons choisi la forme sous laquelle nous voulons transmettre le fruit de nos recherches en fonction de ce que nous savons ou pouvons ou aimons faire. Il ne reste qu’à se mettre au travail ! Et de même que l’appétit vient en mangeant, la facilité et les idées viendront en créant. C’est le premier pas qui compte, les autres viendront tout seuls !

Créer, inventer, écrire… Quelque soit le modèle choisi (chronique, livre-photo, livre-récit…) souvenons-nous de quelques principes incontournables pour qui veut léguer un travail sérieux. Premièrement on évitera de laisser son imagination gamberger là où il y a des lacunes ou de faire des extrapolations hasardeuses. Deuxièmement, il faut toujours citer soigneusement ses sources, quitte à vérifier certaines données en cours de travail. Troisièmement, il ne faut rien cacher. Aucune famille n’est parfaite et l’expérience prouve que les secrets de famille traumatisent plus nos descendants que la vérité, même difficile à révéler. Enfin, tant pis si on tord le cou à certains mythes familiaux, ces belles histoires transmises oralement dans la famille, mais qui n’ont pas résisté à la confrontation des
documents d’archives.

Il restera à choisir les illustrations. Plus on recule dans le temps, moins on a de photos. On peut pallier à ce manque en cherchant des alternatives : cartes postales, tableaux d’artistes, images en rapport avec la vie de nos ancêtres. Dans ce cas, il faut juste anticiper sur le type d’impression qu’on choisira (couleurs ou noir et blanc) et penser aux éventuels droits d’auteurs…

Relire et faire relire. Une fois votre projet réalisé, laisser-le reposer un peu, et attelez-vous à la relecture. Il en faudra plusieurs, en se concentrant à chaque fois sur un aspect différent : le contenu, les détails à vérifier, l’orthographe et la grammaire. Il peut être judicieux de demander une relecture à plusieurs personnes, voire à quelqu’un d’extérieur à la famille qui pourra faire des remarques pertinentes.

La mise en page. Si l’on n’est pas un as en informatique et à moins d’avoir choisi un livre-photo à faire sur internet, c’est un travail qui prendra beaucoup de temps et d’énergie ! L’idéal, c’est d’écrire avec Word directement dans le format souhaité (A4 ou autre), en étant attentif aux marges pour la reliure, et de créer des petits fichiers séparés (un pour chaque chapitre). On peut grouper les photos en fin de chapitre (le plus facile) ou les insérer au fur et à mesure dans le texte (plus compliqué avec Word, parce que les photos ont tendance à glisser et bouger).

L’impression. La première chose à faire est de convertir son ou ses fichiers au format PDF. Celui-ci « fige » votre document et vous assure un ouvrage conforme à vos souhaits. Ensuite deux options sont à choix. La photocopie avec une reliure spirale ou une reliure à chaud (format A4) ou l’impression d’un vrai livre (format A5 par ex.).

Pour faire fabriquer un vrai livre en qualité professionnelle, on peut s’adresser à un imprimeur qui travaille en numérique. Vous pouvez demander des conseils et un devis (qui englobe généralement la réalisation de la couverture). Ce mode d’impression permet de commander un petit nombre d’exemplaires et contrairement à ce qu’on pourrait croire, le prix reste très raisonnable.

Une autre solution est de créer son livre sur internet (un peu moins cher parce que l’impression se fait à l’étranger). Mais attention, vous n’aurez pas de conseils personnalisés et vous devrez respecter scrupuleusement les exigences de mise en page de l’éditeur. Il vous faudra aussi faire vous même la couverture en une seule pièce (avant, tranche et arrière). Mais vous aurez peut-être là l’occasion de requérir la collaboration des jeunes générations qui sont plus à l’aise avec l’informatique… et de les intéresser à votre entreprise ! 

Conclusion

Je suis intimement convaincue que la transmission fait partie intégrante du travail du généalogiste et que nous sommes des passeurs d’histoires : celui ou celle qui ouvre les volets sur le passé pour que les générations qui nous suivent puissent s’élancer vers l’avenir.  C’est à ce prix seulement que nos descendants – qui aujourd’hui regardent notre arbre d’un peu loin – pourront prendre le relais. Alors, continuons à soigner notre arbre familial pour laisser derrière nous un bel arbre que nos successeurs auront plaisir à regarder et à l’ombre duquel il fera bon s’asseoir…

Notes

  1. Voir sur internet 
  2. « Nos racines familiales » Françoise Favre-Martel – 2017. Peut être emprunté à la bibliothèque de la SNG.