Bulletin 6-7 / Avril 1997

Rencontre des clubs francophones du Jura (22 septembre 1996)

par Germain Hausmann

En ce dimanche 22 septembre 1996, notre section de la SSEG a l’honneur de recevoir ses consœurs jurassiennes, le Centre d’entraide généalogique de Franche-Comté, le Cercle vaudois de généalogie et la Société de généalogie de l’Ancien Evêché de Bâle. Nous avons rendez-vous à 9 heures sur le parking de la place Numa-Droz à Neuchâtel. Cette réunion a eu un plein succès, puisqu’elle a rassemblé 21 Neuchâtelois, 9 Vaudois, 28 Franc-comtois et 7 Jurassiens ou Jurassiens bernois, sans oublier un Valaisan représentant sa section cantonale. Malheureusement, la pluie – qui n’était pas souhaitée – a aussi pris rendez-vous avec nous.

Au cours de cette matinée, notre groupe est scindé en deux : les Suisses vont d’abord au Moulin de Bevaix, puis passent à Champréveyres, les Français prennent l’itinéraire inverse.

Le Moulin de Bevaix

Nous nous rendons d’abord au Moulin de Bevaix où nous arrivons à 9 heures 45. Nous y sommes reçu par M. Marcel Garin, l’un des défenseurs de cet ancien bâtiment. Des promoteurs avaient acheté la parcelle, voulaient détruire cette construction et construire sur cet emplacement pas moins de 16 villas. Un comité, composé de notre hôte, de MM. Alphonse Henry, Philippe Graef, Antoine Wasserfallen, de Mme Jacqueline Bourquin, etc., s’est alors réuni pour sauver cette maison. Il a tiré arguments de ses beautés architecturales, des peintures qu’elle renferme. Grâce à de nombreuses recherches dans diverses archives, les membres de l’association ont pu connaître le nom des architectes, des peintres qui y avaient travaillé. Tout cela leur a permis de faire ressortir sa très grande valeur au point de vue architectural et historique et, par ce fait même, de contraindre les promoteurs à renoncer à leur projet initial. Cependant, il a fallu partager la poire en deux, une quinzaine de villas vont être construites de part et d’autre du bâtiment du Moulin, sans que celui-ci cependant soit touché. Le reste du parc servira de promenade à d’heureux Bevaisans. Actuellement, la partie Ouest de cette maison est habitée par Mme et M. Jeannin, aussi nous ne pourrons pas la visiter.

Cette construction est située au Sud-Est du village de Bevaix, sur un petit coteau qui domine le lac. L’ancien moulin banal de la seigneurie y recueillait l’eau d’un ruisseau passant à proximité qui, canalisé grâce à une écluse et à un bief, faisait tourner ses rouages. Son existence se poursuivit modestement jusqu’au milieu du XIXe siècle.

En 1841, Antoine Borel prend la décision d’acheter ce bâtiment et travaille à le transformer en maison d’habitation. Il fait appel pour ce faire à l’architecte Hans Rychner. Désormais, cet édifice comprend deux éléments distincts : le corps de logis à l’Ouest (partie occupée par la famille Jeannin actuellement) et la galerie bernoise, moins haute, à l’Est. En outre, Rychner s’occupe de l’aménagement de l’intérieur.

Alfred, neveu du premier possesseur, fait dès 1866 de nombreuses transformations. A cette occasion, il emploie les capacités d’un architecte fort connu dans la région, Léo Châtelain. La galerie est améliorée, le jardin est redessiné, une maison est construite à l’emplacement des écuries. En 1874, une orangerie complète le tout.

Après cette introduction, allons visiter cette maison. A l’entrée, nous remarquons un buisson, il s’agit d’une aristoloche, plante grimpante à fleurs jaunes en tube. Elle est présente ici depuis plus d’un siècle. En souvenir de sa fidélité, son nom a été adopté en 1995 par l’association qui défend le Moulin.

Nous entrons dans une galerie par un escalier extérieur. Autour de cette pièce, en haute, une frise montre des paysages agrestes symbolisant chacun l’une des quatre saisons. En médaillon, se trouvent quatre visages : la grand-mère Borel (Marie Marguerite née Payot) pour l’hiver, la mère (Sophie née Perrin) pour l’automne, la femme (Marie née Helbing, femme d’Alfred) pour l’été et leur fille (Anna Borel) pour le printemps. Les murs sont composés d’autres petits médaillons peints (l’un représente même le Moulin), délimités par des colonnes dessinées en faux marbre. Cet ensemble n’a pas été fait par une seule main et ne date même pas de la même année : nous y reconnaissons le travail du peintre Rinaldo Marocco, de Milan, (médaillons des parois), du décorateur Antonio Valentino (les colonnes de faux marbre, le plafond), d’Arnold Jenny (la frise) et du peintre neuchâtelois Auguste Bachelin (les portraits en médaillon). La présence d’une cheminée surmontée de trumeaux du XVIIIe siècle ne doit pas nous surprendre. Il s’agit en fait d’un réemploi provenant d’une maison de Neuchâtel que Hans Rychner avait alors la charge de démolir.

Nous passons à l’exposition de quelques pièces intéressantes découvertes dans les archives du Moulin. Nous y voyons plusieurs lettres portant des signatures connues. Nous y évoquons Maurice Borel, archéologue « amateur », et surtout cartographe. Ce personnage aimait aussi la généalogie et nous pouvons admirer une partie de ses travaux concernant les sires de Grandson, de Neuchâtel-Gorgier, d’Estavayer-Gorgier, d’Oron, de Rue, de Corbières, l’ascendance de l’empereur Guillaume II d’Allemagne, etc.

On y évoque aussi Alfred. Il avait été banquier en Californie où il gérait une caisse hypothécaire. A ce titre, il avait financé le célèbre tramway à câbles de San Francisco. De retour en Suisse, il participe aussi à la création des usines d’Ugine en Savoie.

Champréveyres

Il est déjà 10 heures 30. Il nous faut malheureusement partir. Nous nous rendons à Champréveyres sous Hauterive où M. Egloff, archéologue cantonal, nous fait visiter le parc archéologique qui y a été constitué.

Nous nous trouvons sur une partie du lac de Neuchâtel remblayée à l’occasion de la construction de l’autoroute qui traverse la région neuchâteloise. Aussi, la création de ce parc a été payée par le fonds des routes nationales, soit par les taxes pesant sur la vente d’essence aux automobilistes. Un musée d’archéologie y sera construit, à la charge presqu’exclusive du canton cette fois. Les plans ont été choisis, le crédit voté, il s’agit maintenant d’attendre la construction.

Ce que les archéologues veulent montrer ici, ce sont les étapes de la colonisation humaine dans le canton de Neuchâtel. La région se trouve sur le tracé d’une voie naturelle entre le Rhône et le Rhin, dans un espace resserré entre une montagne et un lac. La présence humaine y est donc très ancienne.

Sur ce site et à proximité, on a découvert les restes de trois cultures fort différentes : un campement magdalénien datant d’il y a plus de 400 générations, un village « lacustre » de 3810 avant Jésus-Christ, des scories rappelant la métallurgie du bronze datant de 100 générations environ. Nous ne parlerons pas d’une quatrième culture, l’actuelle, symbolisée par la fabrique Voumard qui continue à travailler le métal à une centaine de mètre d’ici.

Ce parc est accessible par la route (c’est ainsi que nous sommes venus), mais aussi par les transports publics, par le bateau et, pour ceux qui aiment les ballades à pieds, est traversé par un chemin pour piétons. Il porte le nom d’espace Vouga, du nom de Paul Vouga, archéologue cantonal, qui s’est particulièrement illustré lors des fouilles menées à La Tène. Il est divisé en un certain nombre de parcelles, toutes carrées pour rappeler la forme des espaces dégagés lors de fouilles. Les unes sont plantées de végétaux qui peuplaient nos régions il y 1000 ou 2000 ans. Nous y voyons des exemples de toundras, de forêts de chênaie mixte, etc.

D’autres parcelles sont construites : nous sommes maintenant abrités de la pluie par une construction en ciment massif protégeant les foyers d’un campement de chasseurs magdaléniens. Ceux-ci nous ont laissé quelques petites statuettes qui constituent la première représentation humaine découverte en Suisse. A côté, nous voyons une maison « lacustre » reproduisant une construction de Cortaillod. Sept à huit personnes y habitaient. Cette population vivait d’agriculture, de pêche et de cueillette. Cette demeure a été reconstruite, il y a un an, selon les techniques anciennes.

Nous passons maintenant à la visite du parc proprement dit. M. Egloff nous fait alors remarquer que l’on peut voir d’ici plusieurs sites d’importance nationale, voire internationale : citons tout d’abord la plage de La Tène, modeste lieu-dit neuchâtelois connu dans l’Europe entière, car site éponyme du Deuxième âge du Fer; 2500 armes y ont été découvertes, la plus grande collection celtique d’Europe; le brouillard nous cache la montagne du Vully, siège d’une fortification gauloise; on pourrait l’appeler le Bibracte helvète, une citadelle dans laquelel on frappait des monnaies. Évoquons aussi les carrières d’Hauterive, où les habitants d’Avenches trouvaient leurs matériaux de construction.

Nous passons à côté d’un tumulus (reconstitué). Il s’agit de celui de la Baraque, près de Cressier. Il date de 1400 av. J.-C. et a été réutilisé en 600 av. J.-C. Un peu plus loin, en contrebas, nous voyons une forêt de pieux. Voici comment une station lacustre se présente aux fouilleurs. Il s’agit ici d’une reconstitution exacte du village de Champréveyres. Plus loin, se trouve un bassin d’eau surélevé. Il nous montre le niveau du lac avant la première correction des eaux du Jura et sert actuellement de pisciculture qui remplace les frayères aux poissons détruites par les remblayages.

Plus loin (nous n’avons pas pu nous approcher, car le temps nous manque, et la pluie nous glace), on aperçoit un débarcadère. Un pont celtique, reconstruit, y mène (ce pont traversait la Thielle quelques kilomètres en aval du lac de Neuchâtel). Un chantier naval y est installé. On travaille à reconstituer un chaland d’époque gallo-romaine trouvé à Bevaix, à proximité du Moulin que nous venons de visiter (très précisément au pied de l’Abbaye).

Parc archéologique de Champréveyres

Les débuts d'Internet

Mais, il est presque midi et demi. Il s’agit de nous rendre maintenant au château de Môtiers où un repas nous attend. Pour nous, le trajet se déroule sans encombre. Par contre, le car qui transporte les Français, bloqué dans un contour proche du Moulin, arrive au rendez-vous avec plus d’une demi-heure de retard. Tout cela n’est pas bien grave, mais nous retarde, si bien que nous ne pourrons pas visiter le beau village de Môtiers. Le temps pluvieux ne s’y prête d’ailleurs pas beaucoup.

A la fin du repas, M. Borel prend la parole. Il nous dit avoir été interviewé deux jours auparavant par des journalistes locaux, qui, à partir de cet entretien, ont écrit un article paru dans L’Express. Des photocopies de ce texte sont distribuées aux participants. 

M. Junod essaie ensuite de nous faire partager sa passion pour Internet. Ce système a été créé au CERN et par les chercheurs américains du DARP (Defence Advanced Research). Son but est de mettre en réseau, sans frontière et avec une grande souplesse un parc hétérogène d’ordinateurs. En outre, il doit être bon marché. L’information qu’il contient découle d’échanges et de partage de ressources.

Qu’y trouve-t-on : tout d’abord le courrier électronique, dit « e-mail », doit des lettres envoyées directement par ligne téléphonique à son correspondant. Puis, le courrier de discussion qui permet un échange de vue avec des interlocuteurs habitant dans le monde entier. Enfin, les services et les outils de promotions, le WWW (World Wide Web) qui offre aux entreprises le moyen de se faire connaître dans le monde entier de manière attractive. On peut aussi y inclure des informations, y proposer des services dans les domaines les plus variés.

Cette toile d’araignée (traduction de l’anglais World Wide Web) est soumise à des règles semblables (appelées protocole), utilise les lignes téléphoniques pour accéder aux autres serveurs. Voici quelle est la procédure : on commande à distance un correspondant des documents qu’il nous envoie à la vitesse de la lumière, soit presque instantanément. En généalogie, on a accès sans quitter sont ordinateur à des bibliothèques, à des archives, à des sociétés de généalogie. On peut consulter des listes d’immigrants, des annuaires téléphoniques, le site de collègues. On possède un réseau mondial d’informateurs. On doit pour ce faire avoir une certaine pratique de l’informatique, détenir un ordinateur, un modem, une ligne téléphonique normale. Les logiciels sont gratuits. Il convient aussi de s’approcher d’un serveur dans la région pour limiter les frais de téléphone. Tout cela coûte entre 20 et 25 francs suisses par mois, plus les frais de communications téléphoniques (les prix baissent car, il y a peu, les prix allaient de 30 à 50 francs).

M. Junod nous expose ensuite sa démarche personnelle : dans un premier temps, il a fait des recherches traditionnelles dans le canton de Neuchâtel en consultant l’état civil, les Archives communales de Lignières, les Archives cantonales. Il a élargi sa documentation en s’intéressant à l’histoire de sa commune d’origine. Il a ainsi réussi à établir une généalogie descendante depuis 1563. Ce mode de procéder ne lui a cependant pas permis de retrouver l’ensemble de sa famille, car on perd la trace des personnes qui ont émigré. Il se sert alors d’Internet, consulte des fichiers de noms, contacte tous les Junod dont il parvient à connaître l’adresse postale ou Internet. Il prend langue avec d’autres généalogistes pour les familles alliées. 7 % des personnes contactées lui répondent, 90 % appartiennent à d’autres lignées homonymes, mais une dizaine de branches ont été retrouvées par ce canal.

M. Junod crée ensuite un site sur Internet écrit en français et en anglais. Il y publie le résultat de ses recherches. Afin d’en permettre l’accès le plus large possible, il diffuse son adresse sur les différents index du réseau. Deux à trois demandes ou offres de renseignements lui parviennent chaque semaine par ce biais. Il arrive grâce à certaines d’entre elles à compléter son arbre généalogique par la découverte de nouvelles branches Junod, ou par des généalogistes de familles alliées. Des copies de documents et des photos complètent agréablement ses recherches.

Il ouvre aussi d’autres pages, pour les Archives de l’État par exemple, mais aussi pour la SSEG. Il y fait l’historique de notre section, donne les adresses des diverses sections de la SSEG en Suisse, se fend en conseils généalogiques, propose des généalogistes professionnels pour faire des recherches. Résultat : plus de 1000 consultations mensuelles, deux à trois « e-mail » par jour. Ce site contient en outre l’inventaire (actuellement en chantier) de toutes les généalogies déposées aux Archives de l’État ou faites par nos confrères de la SSEG. On veut ainsi éviter de faire des recherches à double.

Pour terminer, M. Borel souhaite un bon retour à chacun des participants à cette réunion. Souhaitons que de prochaines rencontres se feront encore entre nous tous.

Château de Môtiers

Pour en savoir plus...

Le moulin de Bevaix 

Laténium – Parc et musée d’archéologie

Les Junod de Lignières