Bulletin 60 / Décembre 2019

La descendance de Daniel MONARD, réfugié huguenot

par Paul Favre

Les Origines

De nombreux neuchâtelois aiment dirent que leur famille descend d’un réfugié huguenot. Si l’on considère la lignée paternelle et le patronyme, l’affirmation est fausse presque à coup sûr, car peu de réfugiés huguenots ont réellement fait souche dans notre canton. Cependant, si l’on considère aussi la descendance qui passe par les femmes, on pourra avoir la surprise de découvrir parmi nos ancêtres un réfugié huguenot.

Moi-même descendant de Daniel MONARD, arrivé du Dauphiné dans le canton de Neuchâtel en 1687, j’ai entrepris de rechercher sa descendance complète, c’est-à-dire aussi bien ses descendants mâles (qui portent le patronyme MONARD)  que ceux issues des femmes. Je n’ai bien sûr pas trouvé tous les descendants, mais j’ai découvert que de nombreuses personnes que je connaissais depuis longtemps en faisaient partie.

Au départ de ma recherche il y a ce document du Conseil d’État publié en 1710

Cet acte est l’application de la décision de Frédéric 1er, roi de Prusse, qui en 1709 promulgue un édit par lequel il offre aux réfugiés français qui se trouvent à Genève et en Suisse des lettres de naturalisation. Il leur assure ainsi un protecteur et une patrie, leur conférant ainsi des droits égaux à ceux des sujets prussiens [1].

Ce document nous apprend que Daniel MONARD est cardeur de laine, donc artisan, et qu’il vient de Charin en Dauphiné (aujourd’hui Charens, petit village dans la montagne au-dessus de Valdrôme où la Drôme prend sa source) et qu’il s’est installé à la Brévine avec sa famille.

Nous ignorons tout du chemin qu’a pris Daniel MONARD pour venir se réfugier en Suisse. Mais nous savons que le 14 septembre 1687, il reçoit une aide de la « Bourse française de Genève ». Il est cité avec sa femme, deux enfants et Claude Bouffier. D’autres personnes de Valdrôme sont sur la même liste des bénéficiaires de l’aide : Adam BRUNET, sa femme et deux enfants ; Raymons et Toinette BRUNET ; la veuve de Jean MORIN et quatre enfants ; Thomas FORACEL. Nous pouvons penser que toutes ces personnes qui se trouvent ensemble sur cette liste ont quitté leur village et voyagé de concert.

Les Genevois n’ont pas la possibilité de garder tous ces réfugiés qui affluent chaque jour. Après leur avoir donné les premiers secours, ils vont les aider à continuer leur chemin vers d’autres lieux de refuge. A travers les mentions portés dans les livres de charité des différents villes, nous pouvons suivre  leur voyage. Ainsi nous retrouvons la mention de Daniel MONARD et sa famille en novembre 1687 à Neuchâtel, puis, seul, à Schaffhouse. En décembre, il est de retour à Neuchâtel et se rend au Locle. Le 7 mars 1688, Daniel fait baptiser son fils Nicolas à Grandson. En décembre 1688, il reçoit une nouvelle aide à Neuchâtel. De 1689 à 1692, il recevra des subsides à Neuchâtel et à la Chaux-de-Fonds, et de 1693 à 1696 à Neuchâtel. Ensuite, il semble que sa situation se normalise, puisque les livres de charité ne font plus mention de lui.

Il faut remarquer que Neuchâtel a fait preuve d’une grande générosité. Elle a accueilli et soutenu quelques 23’000 huguenots et Vaudois du Piémont qui ont passé en ville. Seuls 250 s’y sont  établis. Mais il a quand même fallu loger et nourrir  provisoirement tous ceux qui n’ont fait que passer.

A son arrivée à Genève, Daniel MONARD est cité avec deux enfants. Il y a sans doute Pierre, dont nous savons qu’il s’est marié trois fois : d’abord avec Anne DROZ, puis avec Madelaine CONTESSE et finalement avec Marie Madeleine COSANDIER, mais il n’y a pas de descendance connue de ces trois unions. Quant au deuxième enfant cité à l’arrivée à Genève, je ne l’ai pas trouvé. A moins qu’il ne s’agisse de Nicolas, baptisé l’année suivante à Grandson, qui est l’ancêtre de la branche des Ponts-de-Martel. Puis vient un troisième enfant, David, né en Suisse vers 1697, l’ancêtre de la branche de Neuchâtel.

En 1713, signe de son intégration, Daniel achète un cheval, et son fils Nicolas est reçu paroissien des Ponts-de-Martel. L’année suivante, Nicolas se marie aux Ponts-de-Martel avec Madelaine JORNOD. C’est dans cette localité que naîtront leurs cinq enfants entre 1715 et 1726.

En 1723, Daniel achète une maison à la Brévine. L’année suivante, son fils David, qui est tailleur de pierre, épouse Neuchâtel Elisabeth GERVAIS. C’est dans cette ville que naîtront leurs neuf enfants entre 1725 et 1738.

En 1728, Nicolas commence la construction d’une maison aux Ponts-de-Martel. Il meurt l’année suivante et sa veuve épouse alors David SANDOZ (1701-1775).

En 1739, c’est la dernière mention trouvée de Daniel MONARD qui se rend chez le notaire Jean Fred DUCOMMUN aux Ponts-de-Martel pour faire une donation aux enfants de son fils Nicolas.

La branche des Ponts-de-Martel : celle de Nicolas MONARD

Le nombre de descendants augmente à chaque génération. Nicolas a eu 5 enfants (dont 4 filles) et 8 petits-enfants ; puis, la croissance continue : ils sont 28 à la génération suivante, la quatrième,  97 à la cinquième, 219 à la sixième et 334 à la septième, la dernière que j’ai étudiée. Ce qui fait au total 692 personnes.

Les porteurs du patronyme MONARD sont les plus nombreux : ils sont 160 dans ces 7 générations. Viennent ensuite :

les BENOIT sont 85, dont 34 à la dernière génération,
les PERRENOUD sont 82 dont 41 à la dernière génération,
les ROBERT sont 46 dont 18 à la dernière génération,
les BERTHOLET sont 45 dont 18 à la dernière génération,
les HUGUENIN sont 37 dont 22  à la dernière génération,
les VUILLE sont 35 dont 24 à la dernière génération.

Il reste 42 noms de famille qui sont représentés moins de 20 fois, certains n’apparaissant qu’à une seule reprise.

 

A quoi sont employés les descendant des Nicolas MONARD dans la seconde partie du dix-neuvième siècle ?

Le plus grand nombre travaille dans le domaine de l’horlogerie : 184 personnes. 
Beaucoup aussi travaillent la terre. J’en ai relevé 29, mais il y en a certainement plus.
L’administration et les banques  occupent 27 personnes.
La couture et le soin du linge, 28 personnes, essentiellement des femmes.
Le commerce, 14 personnes.
Le domaine de la santé (médecins, infirmières ou pharmaciens) 10 personnes.
Enfin on trouve 11 patrons d’atelier (horlogerie ou scierie)

 

Les membres de cette branche restent en grande partie dans le haut du canton de Neuchâtel ou le Val-de-Travers. Toutefois, dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle et au début du vingtième, on voit que certains sont allés se marier à Angers, Auxerre, Besançon, Bourges, Marseille, Menton, Paris, Rouen , Cologne ou même Bucarest. D’autres sont morts à Besançon, Le Caire, Naples ou Yokohama. Trois familles sont parties s’établir aux Etats-Unis. Signe que nos ancêtres voyageaient plus qu’on ne veut bien le dire.  Pour les mêmes raisons qu’aujourd’hui, probablement : la recherche d’un travail.

Parmi les membres célèbres de cette branche, citons Alfred MONARD (1886-1952), docteur es-sciences naturelles, explorateur en Angola, créateur du musée d’histoire naturelle de la Chaux-de-Fonds. Il a écrit le « Petit botaniste romand », un livre que tous les écoliers neuchâtelois ont eu entre les mains.

Citons aussi Georges HALDAS (1917-210), écrivain poète, qui a publié une soixantaine de livres et a reçu le prix Schiller en 1971 et en 1977.

 

La branche de Neuchâtel, celle de David MONARD

Les MONARD de cette lignée ne deviendront originaire de Neuchâtel qu’en 1863. Jusque là ils sont toujours dits « sujets de l’état, descendants de réfugié huguenot ».

David a eu 9 enfants dont seuls 2 garçons ont eu de la descendance, 18 petits-enfants, puis la croissance continue, ils sont 37 à la génération suivante, la quatrième,  83 à la cinquième, 116 à la sixième et 139 à la septième, la dernière étudiée. Ce qui fait au total 403 personnes.

Le patronyme MONARD est le plus représenté. Ils sont 146. Viennent ensuite :

les APOTHELOZ avec 58 représentants, dont 41 à la dernière génération,
les RAMSEYER avec 34 personnes dont 7 à la dernière génération,
les ROSALAZ sont 26 dont 3 à la dernière génération,
les ROSSELET sont 20 dont 4 à la dernière génération.

Il reste 34 noms de famille qui sont présents moins de 20 fois, certains n’apparaissant qu’à une seule reprise.

 

A quoi sont employés les descendant de David MONARD dans la seconde partie du dix-neuvième siècle ?

Ils – ou  plutôt elles – travaillent essentiellement dans le domaine de la couture (30) et de la lingerie (26).
Dans l’industrie on trouve :
35 ouvriers ou ouvrières en horlogerie,
17 mécaniciens et 2 graveurs,
47 sont employés dans les administrations, les banques ou les transports,
41 personnes travaillent la terre, paysans, vignerons, jardiniers.
29 personnes travaillent dans le commerce,
10 dans la santé et 10 dans l’enseignement.
Du dix-huitième au vingtième siècle on trouve 56 personnes travaillant dans la construction :  tailleurs de pierre (comme l’était David) , maçons, peintres ou artisans divers.

Les descendants de David MONARD  sont restés concentrés autour du lac de Neuchâtel. On trouve cependant un mariage et un décès en Amérique et quelques décès à l’étranger : à Mölding et Vienne en Autriche, à Paris et Strasbourg en France.

L’ancien Conseiller fédéral Max PETITPIERRE (1899-1994) est un illustre représentant de cette branche.

Conclusion

Cette étude montre que les réfugiés huguenots des XVIIe et XVIIIe siècles se sont si bien intégrés et fondus dans la population locale, que trois siècles plus tard, on les a oubliés !

Elle montre aussi une nouvelle façon de pratiquer la généalogie, qui s’intéresse plus aux individus qu’aux patronymes et qui fait la part égale aux hommes et aux femmes.  Aujourd’hui, le généalogiste amateur ne recherche plus uniquement sa lignée paternelle (patronymique), mais s’intéresse aussi à ses grands-mères et leurs origines. Il recherche l’histoire de sa famille plus que qu’une enfilade de noms, une histoire qui remonte parfois à un migrant…

Notes

  1. Musée Neuchâtelois septembre-octobre 1900, p.199 et 258